Immigration : Sur les traces des exilés à Casablanca
Casablanca est une ville de passage pour les immigrants en situation irrégulière dans leur route migratoire vers le Nord du Maroc. Des jeunes migrants sans abri font preuve de résilience s’insèrent tant bien que mal avec les habitants des quartiers populaires. Dans ce reportage, nous suivons la route de cette population vivant à la marge de la société.
Gare routière Ouled Ziane à Casablanca, les autorités locales lancent une opération expéditive et punitive pour déloger quelques dizaines de migrants des alentours de ce point chaud de la ville.
Ce type d’opérations est une routine dans la vie de ce quartier populaire. Chaque trois mois, les forces de l’ordre débarquent pour démanteler les abris de fortune de ces exilés. Les autorités choisissent la tactique de l’épuisement des migrants. Ces opérations questionnent la volonté et les capacités des responsables de la ville à trouver des solutions viables au séjour de ces migrants. Ces derniers multiplient les stratégies de résistance et d’esquivement pour éviter toute confrontation avec les autorités. Dans leur long périple, l’objectif immédiat est de maintenir leur maigre acquis : un refuge où dormir chaque soir, à l’abri des agressions des brigands de Al Mahata (la Gare).
Déséquilibre des forces
Il est 11h du matin, les agents de l’autorité locale sont à pied d’œuvre avec motivation et excès de zèle pour « terminer le travail ». Couvertures, matelas vétustes, vêtements, vaisselles, etc. tout est jeté dans deux camionnettes. Sur le même trottoir, les jeunes exilés assistent impuissants à la destruction de leurs abris. Ils ont pu sauver leurs sacs à doc avec quelques vêtements. « Dégagez d’ici », crie un membre des forces auxiliaires sur un groupe de jeunes exilés. Ces derniers obtempèrent sans résistance.
Dans un deuxième squat, les agents d’autorité poursuivent leur opération sous le regard des caméras des journalistes, appelés en force à l’occasion pour couvrir cette démonstration de force. Alors qu’un des agents se préparent à jeter un carton rempli de vaisselles, un immigrant intervient : « Vous n’avez pas le droit de me prendre ces affaires », s’insurge-t-il. Les esprits s’échauffent. Policiers et forces auxiliaires encerclent le jeune migrant. Courageux, ce dernier ne cède pas, il tient sa vaisselle dans ses mains, avec force. C’était une bataille symbolique. L’enjeu : préserver la dignité du groupe. Un responsable de la police intercède en faveur des migrants. Les agents de police restituent la vaisselle confisquée. Le groupe emporte ce carton comme un « butin de guerre ». Dans cette bataille inégale, les migrants de la Gare tentent de réduire les dégâts de l’opération. Nous suivons le groupe dans une ruelle adjacente. Ces jeunes originaires du Burkina-Faso, en majorité, refusent de nous donner des déclarations.
Dans un deuxième temps, un exilé laisse exploser sa colère : « Nous ne voulons rien. Juste qu’ils nous laissent un refuge où dormir. Pourquoi on nous traite comme des animaux ? », s’interroge Osman, parmi les plus jeunes du groupe.
A bout de souffle, ce jeune de 23 ans n’est pas prêt à abandonner son rêve entamé il y a quatre ans : rejoindre « l’Eldorado européen ».
A bout de souffle, ce jeune de 23 ans n’est pas prêt à abandonner son rêve entamé il y a quatre ans : rejoindre « l’Eldorado européen ». « J’ai traversé tout le désert du Grand Sahara. Du Niger à l’Algérie, j’ai fait des dizaines de kilomètres à pied. J’ai survécu à des trafiquants de tout genre. Rien ne me fera reculer de mon objectif », lance-t-il déterminé. Le groupe reprend son chemin…vers une destination inconnue.
Une brève histoire d’Ouled Ziane
Casablanca, 4 millions d’habitants et autant de violences sociales au quotidien. « Al Ma7ata » comme l’aime l’appeler les Casablancais est un concentré de cette violence urbaine en tout genre. Des enfants de la rue côtoie des mères célibataires, des mendiants professionnels partagent les carrefours avec des pickpockets. C’est un espace de passage névralgique entre le nord et le sud du pays. Cette gare est ainsi un lieu de traversée pour les marginalisés et les exclus.
A partir de décembre 2015, les migrants ont commencé à s’installer en petits groupes autour de la gare pour des périodes courtes ou longues, selon la situation de la frontière au Nord du Maroc. Entre 2016 et 2019, un campement informel s’est construit sur un terrain limitrophe de la Gare. Ce camp est devenu le plus grand au Maroc avec environ 1000 migrants durant la saison hivernale. Les autorités toléraient le camp. Les habitants des zones alentours vociféraient contre la présence migrante. Ils ne manquaient pas d’adresser des plaintes contre les désagréments bien réels créés par la présence d’un groupement humain dans des conditions sanitaires déplorables. Les habitants accusaient les migrants de « vol et l’existence de réseaux de prostitution et de trafic de drogues au sein du camp ». Ces accusations n’étaient pas sans fondement mais elles souffraient de généralisation et contribuaient à stigmatiser l’ensemble des migrants. Les autorités ont ignoré autant les plaintes des habitants locaux que celles de différents groupes nationaux de migrants qui ont déposé également des plaintes contre certains résidents du camp pratiquant des vols et du trafic de drogue. Les responsables locaux ont préféré faire jouer le temps. Le 1er juillet 2019, une explosion de plusieurs bobonnes de gaz et un feu géant débarrassent les autorités de ce camp. « Un fait divers » qui permettra à moindres frais d’en finir avec ce campement. Depuis cette date, le camp se reconstitue partiellement au travers de petits groupes.
Tous les squats sont détruits. Les jeunes exilés se retrouvent sans toit, une nouvelle fois.
Vivre ensemble malgré tout
Malgré plusieurs épisodes de tension et d’actes racistes, la coexistence entre les riverains et les migrants demeure marquée par un élan de solidarité de la part de Marocains. « Le vivre-ensemble n’est pas du tout facile. Notre religion nous enseigne à apporter de l’aide aux personnes de passage (Aâbir sabil). Ces jeunes sont dans leur grande majorité respectueux, mais quelques groupes peuvent être violents », avance Ahmed, un mécanicien près de la gare routière.
L’opération se poursuit sans relâche dans les ruelles autour de la gare. Tous les squats sont détruits. Les jeunes exilés se retrouvent sans toit, une nouvelle fois. « Dans quelques jours, ils reprendront place dans ces mêmes lieux, le temps que les choses se calment », tempère un habitant du quartier, habitué à ce remue-ménage. Cette routine de la chasse aux migrants à Casablanca accentue leur grande précarité en ces temps de Covid-19. Nous quittons la gare routière pour rejoindre un autre point de rassemblement de migrants à Casablanca.
Sans toit, sans alternative
Nous sommes dans le quartier des Roches Noires à Casablanca, non loin de la gare ferroviaire. Une dizaine d’exilés avaient trouvé un refuge sur un terrain vague. « SDF Marocains et étrangers partageaient ce squat », nous explique Gueck Beyeth, président de l’association Bank de Solidarité. A partir du mois de janvier, les autorités ratissent ce squat en plein hiver. « Nous sommes toujours sous le choc par l’ampleur de cette opération durant la période du grand froid. Des migrants ont été arrêtés. Les sacs en plastique que nous distribuons aux migrants ont tous étaient détruits », poursuit cet acteur associatif casablancais. Et d’ajouter : « On ne peut pas détruire ces abris et ne pas proposer des solutions de rechange à ces personnes se trouvant dans la grande précarité ».
« Nous ne sommes pas contre les opérations de démantèlement des, mais à condition de penser à des alternatives, surtout en hiver ».
Gueck Beyeth, président de l’association Bank de Solidarité
L’association Bank de solidarité a mené avec un collectif associatif des opérations de distribution de dons alimentaires durant les derniers mois. « La destruction des squats rend ces actes de solidarité difficile à réaliser. Le squat est un point de rencontre régulier. Or aujourd’hui, les migrants sont en errance. La distribution devient difficile à faire », regrette Beyth qui réside à Casablanca depuis une décennie.
Sans alternative, les exilés continuent leur périple casablancais. « Nous ne sommes pas contre les opérations de démantèlement des squats si elles constituent un risque de sécurité, mais à condition de penser à des alternatives, surtout durant la période de l’hiver, accentuée cette année par la pandémie de Covid-19. Le bilan de l’hiver 2021 était alarmant », poursuit le président de la Bank de solidarité.
La situation à Casablanca est loin d’être une exception. Des opérations régulières sont menées Rabat, près de la gare routière d’El Kamra et dans les quartiers où résident les personnes en migration. Les mêmes pratiques ont été observées à Tanger en mars dernier. Pour sa part, Nador demeure un cas à part, cette ville du Nord-est vit sous le rythme de la chasse permanente aux migrants.
Les opérations de l’année 2021 rappellent celles menées à partir d’août 2018. A cette période, les autorités avaient décidé d’arrêter et déplacer des exilés du nord vers le sud du pays. 6500 personnes ont été visées, selon les données recueillies par le Groupement anti-raciste d’accompagnement et de défense des étrangers et migrants (GADEM). Cette ONG dévoile les contradictions de la politique migratoire : « Le Maroc joue un jeu périlleux et contradictoire entre une politique extrêmement répressive et violente à l’encontre des personnes étrangères et migrantes présentes sur son territoire, un rôle de « leader » du dossier migration au sein de l’Union africaine, et une position qu’il tente de maintenir fermement face à l’Espagne, à l’Union européenne et aux autres États membres ». La situation sanitaire dictée par la Covid-19 n’a pas empêché les autorités de poursuivre leurs opérations, avec des conséquences sur la santé mentale des personnes en migration.
Seuls à Casablanca
Cette recherche sociologique menée par le centre de recherche Economia, l’association Humanity & Inclusion et Oxfam a conclu que « les personnes migrantes, particulièrement celles en situation administrative irrégulière, font face à un isolement social qui se traduit par le manque ou la précarité des relations avec les personnes et les groupes de leur environnement immédiat ».
L’étude met en garde contre les implications de cette situation sur leur santé physique et psychologique : « Les migrant.e.s n’ont que très peu de contact avec les Marocain.e.s et vivent souvent à l’écart de la population nationale, limitant les espaces réels de cohabitation. Plus souvent qu’autrement, ils et elles sont relégué.e.s dans des espaces marginaux, comme des foyers ou encore des camps. Cet isolement social affecte la santé mentale et physique ainsi que les capacités cognitives ». Cet isolement est aussi professionnel : « L’isolement professionnel qui les réduit à de simples mendiants dans les rues et à un repli, souvent forcé, au sein de la communauté migrante. ». Bien que la mendicité de cette population soit très visible dans l’espace public, sa pratique demeure minoritaire parmi les migrants. Selon une enquête de l’Association marocaine pour les études et les recherches, 18,8% des migrants en situation irrégulière pratique la mendicité au Maroc.
Dans le camp d’Ouled Ziane, nous avons rencontré des jeunes marginalisés et exilés, épuisés mentalement par manque de sommeil et par la peur constante des campagnes de délogement. Néanmoins, “Ouled Ziane” ne reste qu’une étape sur le chemin de la souffrance des immigrés dans la ville de Casablanca. Dans leur conversation avec nous, ils n’oublient pas leur objectif principal, comme le résume Omar originaire du Mali : « Nous sommes que de passage par ici, nous poursuivrons notre chemin vers la mer et rien ne pourra nous arrêter », jure-t-il, point levé au ciel.
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