Silence, on exploite les sans-papiers !
Au Maroc, l’exploitation de la main-d’œuvre originaire d’Afrique de l’Ouest et Centrale s’intensifie. Des employeurs sans scrupules profitent de la situation juridique irrégulière d’une partie de ces travailleurs. Portraits de trois forçats du travail.
Justin est camerounais, il est arrivé au Maroc il y a dix ans. Ce jeune de 31 ans a cru à la promesse de l’intégration au Maroc. Depuis son arrivée, il a enchaîné les petits boulots à Rabat, mais toujours avec le statut de « sans-papier ».
Justin dans le labyrinthe de l’informel
Je me retrouve bloqué au Maroc sans papier ni travail stable. Ma seule option possible est un travail où je serai exploité.
Justin
« Les conditions de travail étaient toujours difficiles et avec un statut de journalier précaire », se rappelle-t-il. En 2014, une lueur d’espoir éclaire son parcours. Il obtient sa carte de séjour au Maroc, dans le cadre de l’opération exceptionnelle de régularisation lancée dans le sillage de la Stratégie nationale d’immigration et d’asile (SNIA). Le précieux sésame décroché, il se met à chercher un emploi dans le secteur formel, avec un contrat de travail. Sans succès. Il retrouve les méandres du travail informel. Son dernier travail : plongeur chez un traiteur à Rabat. Salaire journalier : 80 DH, payé au noir. « J’ai travaillé avec eux un an et demi. Puis la gérante m’a obligé à faire de nouvelles tâches qui ne faisaient pas partie de mon travail au départ, avec le même salaire. Le travail était éreintant. Je travaillais toute la nuit, j’avais à peine quelques heures pour rentrer chez moi et dormir. Si je cassais de la vaisselle, c’était déduit de mon maigre salaire », raconte-t-il la gorge nouée par le calvaire de ce travail qui l’a réduit au servage.
Depuis 2016, Justin n’a pas pu renouveler sa carte de séjour. Il se trouve pris dans un labyrinthe. Sans contrat de travail, impossible d’obtenir une carte de séjour, lui répond le responsable du Bureau des étrangers. « Je me retrouve bloqué au Maroc sans papier ni travail stable. Ma seule option possible est un travail où je serai exploité », désespère-t-il, floué par autant de pénibles expériences professionnelles. La période de la pandémie l’a mis à terre.
La situation de Justin est loin d’être exceptionnelle. Les travailleurs migrants font l’objet d’exploitation par un marché de travail à la quête d’une main-d’œuvre corvéable à merci. Faute d’alternatives et d’accompagnement adéquat, ces nouveaux arrivants sur le marché de l’emploi subissent souffrance en tout genre pour assurer leur survie dans le pays d’accueil.
Georgina, des débuts difficiles
Georgina est également originaire du Cameroun. Dès son arrivée au Maroc, ses connaissances lui trouvent un travail d’aide-ménagère. Cette femme de 31 ans nous raconte ses mésaventures avec son premier employeur à Casablanca.
Mon employeur ne voulait plus me laisser partir en me menaçant de me séquestrer et ne pas payer mes jours de travail.
Georgina
« J’ai accepté de travailler avec elle pour 1000 DH par mois. Nous avons même signé un contrat travail de deux mois. Mon horaire de travail était fixé d’avance (6h30 à 17h30), soit 11 heures par jour. Au fil des jours, les tâches se sont multipliées et avec la durée du travail qui est passé à 14 heures par jour. C’était invivable ! », s’indigne-t-elle. Georgina refuse les nouvelles conditions et exige son dû. « Mon employeur ne voulait plus me laisser partir en me menaçant de me séquestrer et ne pas payer mes jours de travail », accuse-t-elle. Il a fallu l’intermédiation d’une de ses connaissances pour mettre fin à cette première expérience traumatisante. Des histoires comme celle de Georgina sont légion.
Le secteur du travail domestique représente un vivier de travail pour les femmes en migration des pays d’Afrique qui trouvent une demande dans les centres urbains. Sauf que cette demande n’est pas toujours réglementée par des contrats de travail et des droits sociaux. Ce qui ouvre la porte aux abus rapportés régulièrement par le syndicat des travailleurs migrants, l’ODT-I.
Ramsses face à la violence du racisme
Ramsses, compatriote de Georgina et Justin, n’est pas mieux loti. Ce jeune de 26 ans a travaillé au sein d’une entreprise d’évènementiel en 2016 pour une durée d’une année. Son salaire journalier était de 120 DH. D’autres travailleurs migrants travaillaient avec lui.
J’étais ahuri par ce traitement raciste et discriminant. Nous avons dû passé la nuit entre les équipements. Le patron avait payé l’hôtel juste pour le staff marocain.
Ramsses
Il nous raconte cette expérience qui a failli lui coûter la vie : « J’ai accepté ces conditions malgré tout, jusqu’au jour où j’ai fait un accident sur mon lieu de travail. Je suis tombé d’une échelle. Suite à cet accident, mon patron m’a donné 500 DH et m’a demandé de ne plus venir au travail. Je me suis senti humilié et jeté comme un malpropre. Pourtant ma situation était critique. J’étais blessé à la tête et j’ai eu un arrêt de travail de deux mois ».
Mais la plus grave blessure subie par Ramsses est celle de la discrimination et du racisme. Lors d’un déplacement avec l’équipe de son employeur à Tanger, les travailleurs migrants seront exclus de l’hébergement à l’hôtel réservé pour ses collègues marocains. « J’étais ahuri par ce traitement raciste et discriminant. Nous avons dû passé la nuit entre les équipements. Le patron avait payé l’hôtel juste pour le staff marocain ». « Nous ne nous sentions pas comme des êtres humains. Eux ils dormaient dans l’hôtel et nous on dormait entre les bâches comme si on était des sous-hommes », raconte-t-il avec amertume. Ce traitement discriminatoire a été vécu aussi par Justin. « Le personnel subsaharien était traité de manière différente et dégradante », regrette Justin.
Durant la dernière année marquée par la pandémie de la Covid19, Justin, Georgina et Ramssess ont subi les effets de cette crise avec une insécurité sanitaire et économique. Justin n’a réussi à tenir que grâce aux aides financières reçues de la part de sa famille au pays. Il est toujours à la recherche d’emploi. Georgina et Ramsses ont pu travailler lors de cette période. Georgina a trouvé un travail d’aide-ménagère chez une famille de Rabat. « L’expérience était meilleure. J’ai bien traité par mes employeurs », confie-t-elle. Ramesses a travaillé comme maçon pour 80 DH la journée. « C’était un travail de survie », poursuit-il. Sans cartes de séjour, ces trois jeunes Camerounais continueront à subir les affres de l’exploitation sur un marché de travail sans pitié.
Ce contenu a été réalisé dans le cadre d’un partenariat entre le RMJM et Oxfam au Maroc. Son contenu ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Oxfam au Maroc.