Reportages

À Casablanca, Interdiction et chape de plomb

A Casablanca, les familles des disparus durant les Années de plomb ont subi une interdiction de leur action symbolique pour « la mémoire et la vérité ». Reportage sur une interdiction devenue « ordinaire », sous prétexte du Covid19.

Nous sommes le 10 juin, il est 17h au centre-ville de Casablanca. La Place des Nations-Unis est bouclée. Un ruban rouge et blanc interdit l’accès à la place aux piétons. Tous les cafés situés au sein de cet espace sont également fermés. « Que se passe-t-il ? », s’interrogent les passants, inquiets par l’importante mobilisation des services de sécurité au sein et autour de cette place.

Les derniers irréductibles

Près de l’avenue Hassan 1Er, un groupe de trois personnes presse le pas pour rejoindre la place. Trois irréductibles militants transportent des banderoles et quelques pancartes. A peine installés aux abords de la place, ils sont vite rattrapés par des policiers en tenue civile, qui leur ordonnent de quitter les lieux, sous peine de se voir confisquer leurs matériels. Le groupe de militants membres du Forum Vérité et Justice (FVJ) compte organiser un sit-in « en mémoire et pour la vérité des personnes disparues durant les années de plomb, et en solidarité avec les actuels prisonniers politiques que connait le Maroc ». Cette mobilisation symbolique est interdite, sans ménagement, sous prétexte de « l’état d’urgence sanitaire ».

Cette action a été organisée par le Forum Vérité et Justice et le Comité des familles des disparues.

Ce sit-in organisé conjointement entre le FVJ et son Comité de coordination des familles des disparues et des victimes de la disparition forcée visait à appeler les pouvoirs publics à « accélérer l’instauration du mécanisme national indépendant sur la vérité, car c’est la seule garantie possible pour éviter l’impunité », insistent les organisateurs. Ces actions du mouvement des anciens prisonniers politiques et leurs familles se font de plus en plus rares. Et ce raison de l’affaiblissement des différentes organisations portant cette lutte, depuis la mise en place de l’Instance Équité et réconciliation (IER), en 2004. Ces voix contestent le récit officiel autour de la « réconciliation ».   

Anciens et nouveaux prisonniers politiques

Driss Radi et Fatiha Cheribi, parents d’Omar Radi ont été présents à ce sit-in.

Dr Abdelkarim Manouzi, membre du FVJ et président de l’Association médicale de réhabilitation des victimes de la torture (AMRVT), est surpris par la réaction « excessive » des autorités face à cette mobilisation. : « Les conditions sanitaires permettent largement de tenir ce sit-in », estime Manouzi, dont la famille compte deux personnes toujours portées disparues (Houcine et Brahim Manouzi) depuis les Années de plomb. Et de compléter : « Cette interdiction contredit les promesses de ce qu’ils appellent le nouveau règne ».  

Driss Radi, père du journaliste et prisonnier politique Omar Radi, et qui représente la nouvelle génération de prisonniers d’opinion au Maroc. Le père et militant prend la parole pour dénoncer la première interdiction d’une manifestation publique sous le nouveau gouvernement : « Ce gouvernement ne peut être légitime que s’il rouvre l’espace public pour l’expression populaire et citoyenne », fulmine -t-il, dans une prise de parole improvisée, sous le regard impatient des sécuritaires.  

Abdelkarim Ouazzane ( à gauche) membre du Comité proteste contre l’interdiction des autorités.

Les responsables sécuritaires présents en nombre, sonnent la fin d’un sit-in qui n’a pas encore commencé. Le sit-in espérait rappeler aux autorités à leurs engagements en matière de disparition forcée. Abdelkarim Ouazzane est membre du Comité. Son père, Belkacem, fait partie des disparus suite à la révolte avortée du 3 mars 1973 dans le Moyen-Atlas. Il rappelle les objectifs de ce sit-in : « Notre action coïncide après quelques jours du dépôt du Maroc de son rapport au Conseil des droits de l’homme de l’ONU sur les disparitions forcées. Un rapport plein de contre-vérités. A titre d’exemple, l’Etat nous dit qu’il ne subsiste que 2 cas de disparitions forcées. Or au sein du Comité, nous avons 70 cas de disparitions forcées documentées », avance-t-il. Le chemin vers la vérité et la réconciliation est loin d’être retrouvé…

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