SANS DROITS : Le quotidien des migrants dans le sud du Maroc
La route des Canaries est désormais première route migratoire depuis le Maroc vers l’Europe. Cet afflux conjugué à la pandémie de la Covid-19 a mis le respect des droits humains à rude épreuve.
Privation de liberté et détention arbitraire, non-accès aux droits fondamentaux dont le droit à la santé en pleine période de la pandémie, privation de la liberté de circulation et accusations de discriminations et de racisme, la liste des griefs d’un collectif associatif (Réseau Euro-Med, Association marocaine des droits de l’Homme, Plateforme des Associations et Communautés Subsahariennes au Maroc et Réseau marocain des journalistes des migrations) sur la situation des personnes étrangères dans le sud du Maroc durant la pandémie de la Covid-19 est longue.
Ce travail d’investigation et de collecte d’informations sur le terrain est arrivé à une conclusion principale. Ce collectif associatif constate « une situation de violations des droits humains élémentaires pendant cette période. La pandémie de la Covid-19 est utilisée comme un autre instrument de contrôle et de privation des libertés de circuler pour les personnes étrangères. Ils se retrouvent sans accès à plusieurs de leurs droits ». Ces faits ont été constatés entre les mois de mars et septembre 2020 dans le sud du Maroc. Une situation qui se poursuit depuis la parution de ce rapport d’enquête. Cette note s’est intéressée principalement à la situation des ressortissants étrangers originaires d’Afrique de l’Ouest et Centrale résidant dans deux régions du sud : Laâyoune-Sakia El Hamra et Dakhla-Oued Eddahab depuis l’annonce de l’état d’urgence sanitaire au Maroc.
Afflux et disparition en mer
Depuis 2019, la route du sud Atlantique depuis les côtes de Dakhla, Tarfaya et Laâyoune a été très active, ainsi que depuis le Sénégal et la Mauritanie. Des personnes originaires de ces régions d’Afrique ont emprunté cette route. En des proportions plus faibles, des ressortissants de pays asiatiques ont également fait cette route de l’Atlantique pour atteindre les Îles Canaries. Cette situation s’explique « par le tour de vis sécuritaire mené par les autorités espagnoles et marocaines pour réduire le nombre de traversés depuis le nord du Maroc », observe la note du collectif.
« Malgré le contexte sanitaire difficile, les autorités marocaines ont intensifié leur lutte contre les migrations irrégulières contribuant ainsi au contrôle des frontières de l’Union européenne (UE), au détriment des droits des personnes étrangères », poursuit le collectif associatif. D’ailleurs, la Direction générale de la sûreté nationale avait annoncé dans son bilan 2020 l’arrestation de 6.162 ressortissants étrangers candidats à l’immigration sur le territoire marocain.
Entre janvier et décembre 2020, 23.023 personnes ont atteint les Îles Canaries après une traversée en bateau depuis les côtes de l’Afrique de l’Ouest et du Maroc. « Ce chiffre représente une augmentation de 756% des arrivées par rapport à la même période en 2019 », s’inquiète l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Cette route est extrêmement périlleuse. 849 migrants sont décédés sur cette route en 2020. Des chiffres sous-estimés car des centaines de personnes sont toujours portées disparues. L’association espagnole Caminendo Fronteras alerte de manière régulière sur cette situation intenable (voir graphique).
Privés du droit d’accès à la justice
Abdoulaye témoigne : « J’ai passé les trois mois du confinement enfermé dans le centre à Laâyoune, j’ai vécu les pires moments de ma vie. J’étais détenu sans motif valables. Pourtant, je travaille à Laâyoune et j’ai un domicile. Mon épouse était enceinte et elle avait besoin de moi, mais les autorités n’ont rien voulu savoir. Toute cette période, j’étais détenu sans qu’on nous explique les raisons de cette détention ».
Ce ressortissant sénégalais faisait partie des 80 personnes étrangères arrêtées à partir du 20 mars 2020 et hébergées par les autorités locales au sein de la Maison des Jeunes Al Qods au quartier Al Massira, officiellement pour « violation de l’état d’urgence sanitaire ». « Les autorités locales expliquent aux personnes arrêtées qu’elles seront maintenues en quatorzaine, sans fournir de documents officiels sur cette procédure aux intéressés », observe le collectif.
Un deuxième centre provisoire au statut juridique flou a été utilisé à Tarfaya pour placer en détention d’autres personnes, à la suite de tentatives d’atteindre les Îles Canaries à bord d’embarcations. Au sein de ces deux autres centres informels, les personnes n’ont pas bénéficié d’une prise en charge sanitaire adéquate, pourtant vitale durant cette période de la pandémie.
Renvoyés de forces vers leurs pays d’origines
A partir de fin septembre, toutes les personnes privées de liberté ont été relâchées, sauf les Sénégalaises, les Maliennes et les Guinéennes. « Leurs autorités consulaires ont procédé à leur identification. Elles ont ensuite été renvoyées de manière forcée dans leurs pays d’origine et ce, y compris des mineures non accompagné-e-s (mineurs guinéens non accompagnés). », précise le collectif. Précisons que concernant ces renvois dans les pays d’origine, qu’ils ont eu lieu alors même que les frontières marocaines étaient fermées de manière hermétique en pleine période d’état d’urgence.
Dans le détail, le 27 septembre 2020, les autorités marocaines ont procédé à une première opération de « renvoi forcé » vers le pays d’origine des détenu-e-s dans ces centres. 72 présentés comme ressortissant-e-s sénégalais-e-s ont été renvoyés de force à Dakar par voie aérienne. Le 28 septembre, une deuxième opération similaire a eu lieu visant 28 femmes et 2 enfants ressortissants de la Guinée Conakry. Ces renvois forcés ne sont pas basés sur des critères juridiques et se sont fait sans aucun contrôle judiciaire. Ces deux opérations violent la loi 02-03 relative à l’immigration et les engagements internationaux du Maroc, notamment pour le renvoi des mineur-e-s non accompagné-e-s. Des opérations réalisées avec les autorités diplomatiques et consulaires de ces deux pays (Sénégal et Guinée).
Au même moment, et durant le mois de septembre, les autorités ont aussi procédé à plusieurs opérations de déplacements forcés dans des centres vers Agadir depuis les provinces du Sud.
Une situation qui pousse ce collectif à conclure : « L’état d’urgence sanitaire semble avoir renforcé l’intervention des sécuritaires et de l’administration, sans aucun contrôle judiciaire, en justifiant les opérations sécuritaires relatives aux arrestations et à l’enfermement des personnes non ressortissantes marocaines par le non-respect de l’état d’urgence sanitaire ou la protection contre la Covid-19 ».
Privés de liberté de circulation
Khadim témoigne : « Je réside à Agadir et je dispose d’un titre de séjour valide au Maroc. Au mois de septembre, je me trouvais à Laâyoune pour visiter des proches. J’étais surpris par la visite d’un agent d’autorité qui a exigé que je quitte la ville sous peine d’être déplacé de force. Après des allers et des venues au niveau du siège de l’autorité locale de ce quartier, j’ai compris que je n’étais pas le bienvenu à Laâyoune. J’ai dû repartir à Agadir, contre mon grè. D’autres personnes ont été empêchées de prendre les autocars pour rejoindre le sud ». Ce migrant régularisé fait partie des personnes en situation régulière ayant été privées de leur droit à la liberté de circulation.
Au sud comme au nord du Maroc, « des personnes non ressortissantes marocaines, particulièrement les personnes en situation administrative irrégulière, ont rencontré des difficultés pour obtenir l’autorisation de circulation délivrée par les autorités, ce qui a entravé les déplacements autorisés, notamment pour subvenir à leurs besoins. Elles étaient également exposées aux arrestations et aux difficultés d’accès aux droits fondamentaux (travail, soin, etc.) », observe la note.
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Privés de l’accès au droit à la santé
Mohamed témoigne : « Mon épouse travaille dans une usine de conserve de poissons à Laâyoune. Lorsqu’un foyer du Coronavirus a été découvert dans cette unité industrielle, ils ont enfermé les ouvrier-e-s marocain-e-s et subsaharien-e-s dans l’usine toute une nuit. Le lendemain, les autorités l’ont déplacée à un hôtel. Elle n’a pas reçu d’alimentation ou les soins nécessaires le premier jour. J’ai tenté de lui apporter à manger, mais en vain. Les autorités nous ont empêché de s’approcher de l’hôtel ».
Cette période de crise sanitaire a montré également les grandes difficultés pour les personnes étrangères se trouvant dans la région d’accéder dignement aux services de santé et sans discrimination. Les centres aménagés pour la détention des migrants ne permettait aucune distanciation sociale, ni mesures d’hygiènes spécifiques pour se protéger de la Covid-19. Cet isolement forcé s’est fait sans une prise en charge sanitaire adéquate. « Les détenus étaient entassés dans trois grandes salles. Les toilettes et les douches étaient dans un état déplorable. Cinq femmes, dont une accompagnée de son enfant de 2 ans, ont été également enfermées dans ce centre durant trois semaines, avant d’être libérées », détaille le rapport associatif.
En agissant ainsi, les autorités marocaines ne se conforment pas aux recommandations du Haut-commissariat des Nations unis aux droits de l’Homme qui avait insisté dès le début de la pandémie pour « libérer les personnes étrangères qui ont un endroit pour rester dans la communauté » et d’assurer « l’accès aux tests, à la consultation médicale et au traitement de tous les résident-e-s des centres d’immigration ».
Le Commission régionale des droits humains dans la région Laâyoune avait fait le suivi de certains cas de violations et a tenté d’apporter sa médiation pour résoudre certaines situations critiques. Ce rapport associatif a été remis par ce collectif au Conseil national des droits de l’Homme et la délégation interministérielle des droits de l’Homme pour avis et commentaires. Aucune n’a été reçue de la part de ces instances officielles.
Chronologie de la situation dans le sud du Maroc :
- Janvier 2020 : Progression des départs des pateras depuis les côtes sud du Maroc vers les Îles Canaries.
- Le 20 mars : Le Maroc déclare l’état d’urgence sanitaire en raison de la pandémie de la Covid-19.
- A partir du 20 mars : Un premier centre est ouvert pour maintenir en détention des personnes en migration à Laâyoune. Ce centre appartient à la Jeunesse et sport. Il comptait 80 personnes.
- 1er mai : Une mutinerie éclate dans ce centre suite aux protestations des personnes étrangères, exigeant leur libération.
- 14 juin : Deux pateras arrivées aux Îles Canaries depuis Tarfaya. Sur les 70 personnes à bord, les autorités espagnoles détectent 31 cas de la Covid-19. C’est l’état d’alerte du côté marocain.
- 21 juin : Vague d’arrestations à Tarfaya et Laâyoune ciblant les communautés des ressortissant-e-s étranger-e-s suite à la découverte de foyers de la Covid-19 dans les deux villes.
- 22 juin : Ouverture d’un deuxième centre de détention au sein de l’école Dchira. 46 personnes étrangères y sont enfermées et bénéficient d’une prise en charge sanitaire et de tests PCR.
- 25 juin : Les personnes détenues protestent contre le manque de transparence de la procédure de test PCR et exigent leur libération.
- 21 juillet : 63 personnes portées disparues après un départ depuis les côtes sud du Maroc.
- 2 août 2020 : Une embarcation transportant 60 personnes a chaviré causant la noyade de 20 personnes à bord, dont 13 toujours portées disparues.
- 5 août : 10 personnes perdent la vie et 10 autres survivent suite au naufrage d’une embarcation, près des côtes de Dakhla.
- 27 septembre : Les autorités marocaines procèdent au « renvoi forcé » de 72 personnes présentées comme ressortissant-e-s sénégalais-e-s depuis l’aéroport de Dakhla.
- 28 septembre : Les autorités marocaines procèdent au « renvoi forcé » de 28 personnes présentées comme ressortissantes de la Guinée Conakry, ce groupe compte un mineur non accompagné.
- 22 octobre : Le président du gouvernement régional des Îles Canaries convoque « d’urgence » le Consul général du Maroc à Las Palmas pour lui exprimer la «préoccupation» de son gouvernement face à la hausse des arrivées des personnes étrangères aux côtes canariennes.