Droits des femmes, Justice Environnementale, Reportages, UNE

À Tasselmante, les femmes démystifient l’énergie solaire

Au pays du soleil et du vent, à quelques kilomètres de Ouarzazate, se trouve le village de Tasselmante, voisin du complexe Noor-Ouarzazate. Les bonnes feuilles du reportage

Reportage par Oumaima Jmad

Note de l’éditeur :

ENASS publie en partenariat avec la maison d’édition En Toutes Lettres deux extraits exclusifs de l’ouvrage collectif Maroc : Justice climatique et urgences sociales, 2021. Désertification, sécheresse, pollution, disparition d’écosystèmes, menaces sur la biodiversité… la dégradation de l’environnement constitue déjà dans toutes les régions du Maroc un grave problème de société, qui aggrave la précarité des plus fragiles, met en péril des savoir-faire et des modes de vie patrimoniaux et questionne les orientations économiques et politiques. Contre les pratiques de prédation et de greenwashing, une véritable prise de conscience est là, plaidant pour une approche verte et solidaire. A travers ce livre, douze journalistes et universitaires ont mené des enquêtes et reportages sur les questions environnementales et du changement climatiques avec un travail en profondeur sur les effets de ses changements sur les populations locales.

Tasselmante vit dans l’espoir d’un lendemain meilleur […]. Le complexe Noor-Ouarzazate offre ses promesses de développement à une population marginalisée. Construit à proximité du village, le projet est élaboré dans le cadre de la Stratégie énergétique marocaine qui vise à porter la part des énergies renouvelables dans le mix électrique national. Afin de mener le programme solaire marocain, une société privée a été créée avec des fonds publics en octobre 2010 : l’Agence marocaine pour l’énergie solaire (MASEN). Depuis 2010 et jusqu’à nos jours, le projet prend forme, mais qu’en est-il du développement local ? Comment ce projet a-t-il influencé la vie des femmes du douar ? La réponse sort de la bouche des villageoises, Rabha, Fatna, Rachida et Mama.

[…]

Un bâtiment est particulièrement saisissant. Il s’agit d’un local qui regroupe plusieurs associations qui ciblent les femmes, les jeunes, la culture et le développement. Une adresse parfaite pour se procurer toutes les réponses et déchiffrer toutes les énigmes. Mais encore faut-il y trouver quelqu’un. C’est là que Rabha intervient, une femme dans la quarantaine transformée en dos de mulet qui rentre des champs, essoufflée mais sans perdre son sourire, elle répète tel un leitmotiv : « Merhba ! Merhba ! Merhba !… »

De sa maison qui se trouve à quelques mètres des associations, sortent ses quatre enfants, trois filles et un garçon, souriants, ainsi que son mari. Rabha est la seule de sa famille à affronter le soleil brûlant et le froid glacial en s’aventurant loin de chez elle dans les champs. Son accueil chaleureux étanche la soif… ou presque. Rabha ramène une gourde en terre cuite remplie d’une eau fraîche mais presque imbuvable. « C’est l’eau que nous buvons ici. Nous boycottons l’eau minérale », déclare-t-elle, sarcastique. Elle rit et couvre sa bouche avec son haiq pour cacher ses dents abîmées.

« La centrale ne manque jamais d’eau à transformer en vapeur et donc en électricité. Mais nous, nous manquons d’eau. »

Rabha, habitante de Tasselmante.

Dans cette région semi-désertique, l’eau est un trésor à préserver, à protéger. L’or bleu est vénéré, mais il se fait rare. Le barrage de Mansour Eddahbi, situé à une dizaine de kilomètres, a été construit pour répondre aux besoins de la population locale, mais à présent, estime Rabha, il répond surtout aux besoins de la centrale : « Il y a un barrage pour qu’on ait l’eau et l’électricité, mais nous devons payer pour la moindre lampe ou le moindre verre d’eau. » Après un silence nerveux, elle poursuit : « Une station de pompage d’eau est construite à côté du barrage. La centrale ne manque jamais d’eau à transformer en vapeur et donc en électricité. Elle ne manque jamais d’eau pour que ses miroirs soient toujours propres et les bureaux de son personnel aussi. Mais nous, nous manquons d’eau. » Les propos de Rabha, tout comme l’eau, laissent un goût amer. Le paysage hollywoodien se transforme en mirage avec ses terres qui sont affectées par la sécheresse, tandis que la centrale, le golf et les hôtels resplendissent.

Le siège de l’association locale est fermé.

Rabha est analphabète et n’a jamais mis les pieds à la centrale, mais elle est au courant de son fonctionnement grâce à ses quatre voisines du douar qui lui racontent ce qui s’y passe. Elles y travaillent en tant que femmes de ménage. Seules quatre femmes du douar ont été recrutées sur le projet, pour y être agentes de nettoyage et d’entretien – les autres continuent à s’occuper de leur foyer. Leur travail se situe dans le prolongement des fonctions domestiques, car elles sont invitées à exercer un métier de care. Le projet de parc solaire avait en effet promis « d’initier des activités économiques génératrices de revenus qui permettent l’insertion des femmes dans le tissu économique et social ». Concrètement, cela s’est traduit par le fait que le local de l’association s’est vidé. Rabha se rappelle avec beaucoup d’amertume l’inauguration de l’association et le temps où les femmes s’y retrouvaient pour tisser des tapis.

[…]

Un avenir vraiment durable pour les femmes ?

Noor Ouarzazate I et II sont des centrales de technologie thermo-solaire à concentration (CSP) à miroirs cylindro-paraboliques. Noor Ouarzazate III est une centrale thermo-solaire de technologie CSP à tour solaire, et enfin Noor Ouarzazate IV est une centrale de technologie photovoltaïque (PV). Imane s’interroge sur ces technologies choisies par le MASEN. Le décalage entre les promesses et les réalisations du projet solaire se mesure dans sa dimension sociale, psychologique, économique, mais également technique, selon la jeune électricienne.

Imane décrit avec précision les technologies : « La structure CSP utilise des miroirs courbes pour concentrer la lumière du soleil sur un tube rempli d’un fluide caloporteur, qui est l’huile synthétique. Un liquide à base de sels fondus collecte l’énergie thermique et la transporte au bloc usine où elle est convertie en vapeur, puis en électricité par l’entremise d’une turbine. C’est le même principe pour la tour solaire, qui soutient un capteur dominé par un champ équipé de nombreux miroirs orienteurs qui suivent le soleil. Comme pour les miroirs cylindro-paraboliques, le liquide transporte l’énergie vers la centrale énergétique. Pour ce qui est du système PV, l’effet photovoltaïque permet la transformation du rayonnement solaire en électricité dans un matériau semi-conducteur photosensible, composé majoritairement de silicium, qui absorbe le flux lumineux du rayonnement solaire et produit une différence de potentiel électrique entre deux points du matériau capable de générer un courant électrique continu. »

[…]

Retrouvez l’enquête complète dans l’ouvrage Maroc : Justice climatique et urgences sociales, En Toutes Lettres, 2021. Pour commander ce livre, c’est ici.

* Oumaima Jmad, doctorante en socio-anthropologie et membre de l’Association marocaine pour les droits des femmes. Elle lauréate du programme de formation Openchabab

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