Editos, MIGRATIONS

2021, l’année des migrations

Salaheddine Lemaizi, rédacteur en chef de ENASS 

Nous tournons la page d’une année, où les migrations et les mobilités humaines ont été au cœur de l’actualité, pour le meilleur et pour le pire. Cette thématique globale continuera à avoir des implications locales sur nos vies. Loin des sommets somptueux et des déclarations généreuses en promesses et avares en réalisation, les migrations comme réalité sociale et actualité médiatique devraient être encore présentes l’année prochaine. Comme toute activité humaine. En ce moment de bilan, voici quatre faits qui méritent d’être signalés avant d’entamer une nouvelle année, sous Covid-19.

Merci les Marocains du monde (MdM) ! Les transferts de fonds effectués par les migrants marocains à l’étranger ont battu tous les records. Ils se sont chiffrés à 72 milliards de dirhams au cours des neuf premiers mois de 2021, contre 50,46 MMDH à fin septembre 2020, selon l’Office des Changes. Ces transferts sont ainsi en hausse de 42,5% en une année. C’est une aubaine inespérée pour le trésor public, en difficulté à cause de la crise économique. Ces transferts sont, souvent, d’un grand secours pour les familles des MdM en ces temps difficiles. Pourtant, ces mêmes MdM continuent d’être privés de leurs droits civils et politiques (le droit de vote notamment).

Les Marocains du monde continuent d’être privés de leurs droits civils et politiques

Ces transferts s’invitent également dans les discours de l’extrême droite en Europe qui veut désormais les taxer et les réduire. C’est un nouveau front pour les migrants et pour les pays du Sud qui doivent plaider pour préserver cette ressource financière qui représente plus que l’Aide au développement.  

Visas français contre refoulement, non merci !  S’il faut accorder la palme de la mesure honteuse de l’année, celle prise par le gouvernement français de réduire le nombre de visas accordés à l’Algérie, le Maroc et la Tunisie a toutes les chances de la remporter. Les pays Maghrébins ont été « punis » par l’ancienne puissance coloniale car elle juge ces trois pays « peu coopératifs » sur la réadmission des expulsés de France ». Le discours des officiels français est belliqueux et parle de « menaces ».

Cette décision rappelle une nouvelle fois la crise du régime de mobilité entre les pays du Sud et ceux de l’Union européenne.

Ces mesures de rétorsion françaises incluent le patronat marocain qui s’en est plaint publiquement. Cette décision s’explique en premier lieu par le contexte pré-électoral français marqué par la montée des xénophobes. Cette décision rappelle une nouvelle fois la crise du régime de mobilité entre les pays du Sud et ceux de l’Union européenne depuis l’instauration de l’espace Schengen. Cette crise enterre définitivement toutes les promesses du Partenariat de mobilité. Enfin, la division des pays du Maghreb face à l’UE ou à l’ancienne puissance coloniale affaiblit leurs positions dans ce bras de fer. Ce dossier devrait rester dans l’agenda migratoire pour 2022. 

Les haragua, cette arme diplomatique. La crise politique entre le Maroc et l’Espagne d’avril-mai 2021 a révélé au grand jour deux éléments. Le premier, c’est le retour en force de l’émigration irrégulière des Marocains. Déjà observée depuis 2017, cette tendance s’est confirmée, de manière effarante, durant les évènements du printemps dernier aux portes de la ville occupée de Sebta. Les Marocains sont désormais la première nationalité de départ depuis le nord (3500 migrants interceptés) ou le sud du Maroc (12 000 migrants interceptés) en 2020. Les nationaux dépassent les migrants d’Afrique de l’Ouest et centrale.

Les Marocains sont désormais la première nationalité migrants en départ depuis les côtes nord et sud du Maroc.

Cette vague peut s’expliquer par la crise économique et sociale, l’absence de perspective et la répression politique (Hirak du Rif) dans le pays, ainsi que par l’absence de voies de mobilité légales comme promis par le Pacte mondial. Le deuxième point à retenir de cette crise, c’est l’usage des personnes en migration comme arme diplomatique. Faute d’une explication officielle sur ce qui s’est passé entre les 16 et 18 mai 2021, on ne peut pas encore comprendre l’afflux massif de 12 000 Marocains vers l’enclave. L’explication est à chercher, peut-être, dans les nouvelles alliances diplomatiques du pays. Le Maroc se rapproche du groupe de Visegrád, composé de gouvernements anti immigrants comme la Hongrie de Victor Orban. Face à une Europe occidentale qui réduit les visas et se barricade, le Maroc tente la voie de l’Europe de l’Est. Mais pour quels résultats ? Affaire à suivre, de très près, en 2022.

Bye bye la SNIA. C’est avec beaucoup de regret que l’année 2021 confirme le recul sur les engagements publics du Maroc en matière d’immigration et d’asile. La Stratégie nationale d’immigration et d’asile (SNIA) annoncée en 2014 a fini par se diluer au fil de sept années de mise en œuvre indécise. Dès 2018, les pouvoirs publics (ou du moins ceux qui gèrent directement ce dossier) ont souhaité mettre fin à l’ambition de la SNIA. La suite est connue : arrestations de migrants, déplacements forcés du nord au sud, refoulement de personnes mineures non accompagnées (aout 2020), blocage autour du projet de loi sur l’asile, non renouvellement de cartes de séjour, retour de l’immigration irrégulière, morts en mer, etc.

Dès 2018, les pouvoirs publics ont souhaité mettre fin à l’ambition de la SNIA.

Ces reculs donnent raison aux observateurs critiques qui estimaient que la mise en agenda des questions migratoires à partir de 2013 au Maroc n’obéissait qu’à une fenêtre d’opportunité liée au retour du Maroc dans l’Union africaine. Passée cette séquence diplomatique, ceux qui gèrent le dossier de l’immigration au Maroc sont revenus vers le tout sécuritaire. Entre-temps, une large partie de la société civile travaillant sur les migrations a été embourbée dans les projets, les financements et les compromissions. Restent quelques irréductibles, auxquels on doit tirer notre chapeau.

Nos meilleurs vœux à ces organisations et aux personnes en migration.   

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