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Réadmission: Chantage permanent pour le Maghreb

Dans son nouveau livre, l’universitaire marocain, Abdelkrim Belguendouz, apporte une critique documentée au nouveau Pacte européen sur la migration et l’asile. Il alerte aussi sur les sous-traitants de cette politique au Maroc. Tribune, en deux parties.

Par Abdelkrim Belguendouz *

Partie 2 ** 

Relevons que depuis 2003, année du lancement du dialogue formel (après deux années de discussions informelles) euro-marocain pour l’établissement d’un accord communautaire de réadmission des immigrés irréguliers avec l’Union européenne (Marocains en situation administrative irrégulière en Europe et migrants présumés avoir transité par le Maroc, principalement Africains subsahariens), les responsables européens  au niveau communautaire ou à celui des États de l’UE, n’ont cessé d’exercer d’énormes pressions et chantage pour amener Rabat à s’y soumettre. Cette obsession de la réadmission a été présentée soit pour rappeler l’importance cruciale d’un tel accord, soit pour regretter la non signature du Maroc ou alors pour donner un “ ultimatum” ou fixer de manière arrogante une date impérative de conclusion de l’accord par le Maroc. Prenons quelques exemples parmi tant d’autres.

Dans sa déclaration à l’occasion du 5ème Conseil d’association UE-Maroc tenu le 23 novembre 2005, l’UE note, avec un brin d’irritation et d’impatience à peine retenues,  que: «  le projet d’accord sur la réadmission a déjà fait l’objet de huit cycles de négociations. Elle invite le Maroc à poursuivre les progrès en vue de conclure un accord de réadmission avant la fin de cette année ».

Chantage certain et d’une nette conditionnalité

Trois années plus tard, lors du septième Conseil d’association UE-Maroc tenu à Luxembourg le 13 octobre 2008, on observe la formulation d’un chantage certain et d’une nette conditionnalité dans la Déclaration de l’UE sur le statut avancé accordé au Maroc, Bruxelles ayant recours à son poids politique et économique pour tenter de faire plier Rabat, en l’acculant à finaliser l’accord communautaire de réadmission et satisfaire ainsi son exigence. Dans le point 26 de ce document, il est mentionné que l’approfondissement du dialogue bilatéral pour la concrétisation de ce statut avancé qui renvoie à un vaste domaine, nécessitant une approche globale, est conditionné et subordonné plus particulièrement à la prise en charge de manière responsable et sérieuse par le Maroc de la réadmission par la signature en la matière d’un accord communautaire avec l’UE. Sur ce plan, l’UE déclare clairement sans la moindre réticence ou hésitation, qu’elle est « prête à développer sa coopération avec le Maroc (…) dès que les négociations avec la Commission européenne et le Maroc relatives à l’accord de réadmission auront été achevées avec succès ». 

En clair, tant que l’accord de réadmission n’est pas signé, il ne peut y’avoir de possibilité de développement ou d’approfondissement de la coopération et du partenariat bilatéral dans ses aspects et dimensions multiples. Or cette politique de conditionnalité suivie par l’UE est aux antipodes du principe de réciprocité et de l’esprit partenarial, consacré nettement par le partenariat euro-méditerranéen de Barcelone.

En termes moins diplomatiques encore et prenant une attitude de maître à élève, l’ambassadeur en poste à l’époque de l’UE à Rabat, Eneko Landaburu, s’était habitué à exercer le forcing sur le Maroc, à le sommer à des échéances à respecter coûte que coûte.

  • C’est ainsi que dans une longue interview accordée au journal casablancais « Akhbar Al Yaoum » du 22 mars 2010, il déclarait notamment : « Pas de partenariat avancé avec le Maroc sans reprise des immigrés clandestins ayant transité par le Maroc».

Pour l’ambassadeur de l’UE de l’époque, cette exigence devrait se concrétiser impérativement courant 2010…

  • Fin février 2011, lors d’une conférence de presse, le même ambassadeur déclarait de manière catégorique: «  il n’y a aura pas d’avancées sur la facilitation des visas sans qu’au préalable, un accord soit trouvé et signé sur la réadmission » (La Nouvelle Tribune du Maroc, n°733 du 3 mars 2011).

Cet aspect a été fréquemment soulevé par les responsables et les diplomates UE à Rabat pour que l’opinion publique marocaine elle-même, qui ne cesse de demander l’assouplissement de l’octroi du visa européen, exerce de fortes pressions sur le gouvernement marocain pour qu’il cède à cette « ouverture » et « générosité » de l’UE.

L’autre exemple de chantage est la « Déclaration conjointe établissant un partenariat de mobilité entre le Royaume du Maroc et l’Union européenne et ses États membres » (7 juin 2013), qui prévoit que l’accord sur les possibilités de facilitation de délivrance des visas, ne peut être conclu que si de manière parallèle, simultanée et comme condition incontournable, le Maroc signe avec l’UE l’accord communautaire de réadmission avancé par la Commission européenne depuis s l’ouverture des négociations en septembre 2000.

Par ailleurs, datée du 6 mars 2016 sous le titre « rapport d’avancement sur la mise en œuvre  de l’agenda européen en matière de migration », la communication de la Commission au Parlement européens et au Conseil européens précise à la page 14 : « Des négociations sont en cours avec le Nigeria, la Tunisie et la Chine et celles avec le Maroc devraient reprendre rapidement. Lorsque cela est nécessaire, un plus large éventail de leviers, relevant de toutes les politiques pertinentes de l’UE, devrait être actionné en étroite coordination avec les leviers utilisés au niveau des États membres. La politique de l’UE en matière de visas a déjà contribué à faciliter les négociations sur la réadmission et le mécanisme de suspension de l’exemption de visa a aidé à contrôler étroitement les obligations dans le domaine de la réadmission » (COM (2019)126 final).

Dix-sept rounds formels depuis 2003

Cependant, après quelques 17 rounds formels depuis 2003 et quatre ateliers sur le flagrant délit (ces derniers organisés par l’OIM), et en dépit de la pression continue, de la conditionnalité permanente, du forcing et du chantage incessant, la résistance marocaine a été continue jusqu’à nos jours en juillet 2021, selon toute vraisemblance d’après nous, sur directives du sommet de l’État marocain, ce qui n’empêche nullement Bruxelles de continuer à insister, persister et signer en la matière.

Dernièrement, à la suite des événements de Sebta de fin mai 2021, le Parlement européen, au lieu de combattre les accords communautaires de réadmission comme contraires aux droits humains, s’est inscrit dans la même logique. Dans sa résolution du 10 juin 2021 sur la migration des mineurs marocains, il critique au même moment de façon indirecte le Maroc pour tarder à signer l’accord général de réadmission avec l’UE, puis plus particulièrement le Maroc afin de passer très rapidement à son exécution, comme si ce type d’accord devrait être conclu coûte que coûte et qu’il ne soulevait pas des objections majeures à prendre en compte nécessairement.

*Abdelkrim Belguendouz est un analyste et observateur actif de la scène migratoire marocaine. Cet universitaire marocain est l’auteur de plusieurs ouvrages et d’études en matière de migration et d’émigration notamment sur les politiques publiques adressées à la communauté marocaine résidante à l’étranger.

** Maroc, réservoir de talents et de compétences…Pour l’UE. Alerte au nouveau pacte européen CONTRE la migration et l’asile…des Africains, Rabat (2021).

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