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Un Makhzen « vert » et des Écologistes hybrides

ENASS publie une synthèse de l’étude inédite « Les mouvements écologistes au Maroc : Aspects généraux et chemins de réflexion », en partenariat avec la Fondation Heinrich-Boll Rabat *. Pour prolonger le débat, ENASS donnera la parole à des acteurs de terrain pour apporter leur analyse sur l’évolution de ce mouvement au Maroc. Partie 2

Le Maroc vit une crise profonde écologique, comme l’attestent différents rapports nationaux et internationaux et pourtant « le mouvement écologiste au Maroc peine à émerger », signale l’étude. Ce document rappelle les principales caractéristiques de cette crise : la pollution des eaux superficielles, souterraines et marines, la dégradation des ressources naturelles et de la biodiversité, la pollution de l’air, le stress hydrique et l’insécurité énergétique. Pour faire face à cette situation, l’Etat poursuit une politique environnementale sur plusieurs registres : production d’un discours sur la crise écologique et ses raisons, mobilisation de stratégies et d’acteurs institutionnels, réponse législative et animation et promotion d’OSC pouvant porter le discours de l’Etat au sein de la société. 

Stratégie de l’État

Avant cette nouvelle stratégie, l’État avait toujours le monopole sur les questions de la gestion des ressources naturelles et de l’environnement. « Le monopole de l’État sur l’écologie est historiquement apparu dans la politique de construction de barrages hérités du colonialisme français par le Maroc, et a été utilisé politiquement pour illustrer l’un des rôles historiques de l’État central du Maroc », décortique l’étude. A la domination d’un seul acteur, l’État choisit, depuis le début des années 2000, de multiplier les intervenants dans le domaine de l’environnement. Une stratégie qui a permis de faire émerger un nouvel acteur déterminant, le secteur privé. Ce qui répond aux besoins de redéploiement de l’État et la mise en œuvre des partenariats public privé (PPP). Ces alliances permettent l’émergence des acteurs du Green business fortement liés aux OSC. 

En revanche, l’Etat s’investit dans les politiques énergétiques qui sont désormais du domaine de la « souveraineté », c’est-à-dire en l’occurrence du ressort du souverain marocain. L’Etat aussi s’est investi dans la diplomatique climatique, à travers les participations aux différents forums internationaux depuis Rio 1992. Ainsi vingt-huit discours ont été consacrés à ces sujets. En 2001, cette stratégie est couronnée par la création de la Fondation Mohammed VI pour la protection de l’environnement. Quelques années après sa création en 2011, le Conseil économique et social se transforme en Conseil économique, social et environnemental, poursuivant la densification de l’architecture institutionnelle, spécialisée ou couvrant les questions de l’environnement. 

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Au niveau législatif, le Maroc accuse un retard qui s’explique par les pressions des différents lobbies qui pourraient être touchés par des textes de lois contraignants (littoral, sable, carrières, mines, qualité de l’air, de l’eau, des hydrocarbures, etc.).  Sur le plan des programmes, le Maroc compte de nombreuses feuilles de route, qui manquent de transversalité. L’étude en a recensé six, couvrant les domaines suivants : qualité de l’air, pollution industrielle, assainissement liquide, déchets ménagers, qualité du sable de plage, qualité des eaux de baignade. L’exécution réelle de ces programmes est très variable selon chaque domaine. La caractéristique de ces projets c’est qu’ils multiplient les partenariats et les financements avec les OSC. Ceci a un effet sur l’action des associations comme le rappelle l’étude : 

« Le monopole matériel et symbolique de l’État dans le domaine de l’environnement ainsi que la gestion centralisée de cette économie politique n’apparaît pas seulement au niveau des institutions politiques centrales, mais apparaît également dans la production d’une société civile environnementaliste bâillonnée. Des OSC qui limitent les problèmes du changement climatique, du réchauffement climatique, de la pollution, de la préservation de l’environnement à une vision simpliste et cantonnée à l’éducation à l’environnement ou aux campagnes de propreté. Ce qui produit un plaidoyer prudent ». Et pourtant, les problèmes, bien réels, sont patents…

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Un mouvement hybride 

Imider est un symbole des luttes écologiques locales et radicales.

Imider, Jerada, Moulouya, mine de Kettara à Marrakech, Mouvement Akal, etc. Ces mouvements sociaux épars, souvent ruraux, éloignés des grands centres urbains sont-ils l’embryon du mouvement écologiste au Maroc ? L’étude apporte une réponse nuancée. « Les acteurs actifs autour des questions de la défense de l’environnement peuvent être classés selon plusieurs critères et dualités : global/national, national/Local, radical/conservateur, ou engagé/technocratique », énumère l’étude. Cette classification amène les auteurs à décrire le mouvement écologiste marocain comme « hydride » et « difficile à classer et donc rétif aux classifications simplistes.  

Parmi les nombreux acteurs présents sur le terrain, l’étude cite six catégories. Les premiers sont les ONG internationales présentes directement au Maroc ou à travers des programmes ponctuels (Greenpeace, WWF, etc.). La présence de ces organisations internationales au Maroc demeure faible et occasionnelle. Le deuxième type d’acteurs sont les ONG « technocratiques », actifs dans la sensibilisation, la formation et l’éducation autour de l’environnement. L’Association des enseignants des sciences de la vie et de la terre (AESVT) est le leader de ce groupe. L’étude l’a décrit comme « un des partenaires principaux de l’Etat dans le domaine de l’éducation à l’environnement […] 

 

Le troisième groupe rassemble les ONG réformistes luttant pour la défense de l’environnement. Ces ONG travaillent dans le partenariat avec l’Etat et ses institutions. « Ce sont des voix écoutées, offrant des possibilités de médiation pour résoudre des conflits environnementaux comme à Imider », illustre l’étude. Ces ONG peuvent être actives dans la prestation de service (ramassage des déchets de quartier, formations techniques, etc.), comme dans le plaidoyer, elles peuvent être généralistes comme spécialisées sur l’environnement. Ce groupe d’ONG, le plus large au Maroc, s’appuie en premier sur le travail de l’État pour l’accompagner et le conseiller sur le terrain.

La présence des organisations internationales écologistes au Maroc demeure faible et occasionnelle.

Ce groupe peut comprendre aussi les initiatives pragmatiques de changements des habitudes de consommation, de transition énergétique, de promotion de formes de mobilités urbaines, de sensibilisation à la sobriété énergétique (Ex : Le Collectif des Colibris Maroc) ou de l’animation de réseaux autour de l’agriculture biologique (Ex : Le Réseau des Initiatives Agroécologiques au Maroc). Ces dernières associations ont pour spécificité d’avoir un ancrage urbain et s’adressent aux populations des grands centres urbains.

La cinquième catégorie d’acteurs rassemble un patchwork d’ONG et mouvements divers avec une vision écologiste radicale. Pour les auteurs de l’étude, ces acteurs prolongent leur critique historique de l’Etat sur le terrain des questions écologiques. 

« Ce qui rassemble ces discours, c’est leur utilisation de l’environnement comme objet de critique de l’État, et non de défense de l’environnement en soi, ce qui signifie que l’environnement, les situations environnementales et la crise écologique est un nouvel espace de critique de l’État. D’autant plus que les questions environnementales au niveau mondial sont devenues une priorité dans les discours des organisations internationales de défense des droits de l’Homme et des partis politiques de gauche dans les sociétés modernes ». 

Ce point de vue ne prend pas en compte les évolutions théoriques et programmatiques du mouvement écologiste marocain d’inspiration radicale au Maroc et dans le monde. Ces courants pensent le changement social comme nécessairement un changement de mode de production et de rapport à la nature. D’ailleurs les slogans de ce mouvement s’articulant autour de l’anti-capitalisme sont éco-féministe. Les dimensions écologistes et féministe sont intrinsèquement liées à la nécessité d’un changement de mode production capitaliste, comme le rappelle la littérature de ces mouvements. 

La sixième catégorie, ce sont les coalitions ponctuelles ou permanentes qui sont actives sur ces questions de l’environnement au Maroc. L’étude cite la Coalition marocaine pour la justice climatique (CMJC), la Coalition marocaine pour le climat et le développement durable (CMCDD), Le Réseau Démocratique pour Accompagner la COP 22 (REDACOP 22). Durant la COP22 de Marrakech, chacune de ces coalitions étaient l’espace de rassemblement des courants technocratiques, pragmatiques/réformistes et radicaux. Ces collectifs ont déployé le discours de leurs membres durant la période de la COP22. La majorité de ces coalitions sont désormais en hibernation ou ont cessé leurs activités. En revanche, des coalitions locales ou régionales continuent d’être actives sur le terrain comme L’Ecolo-plateforme du Maroc du Nord (ECOLOMAN). Cette coalition est active sur différents dossiers dans le Nord et l’Oriental. 

Crise climatique et mouvements à venir

8000 personnes meurent chaque année au Maroc de la pollution de l’air.

En conclusion de l’étude, les auteurs insistent sur deux points : les conflits futurs liés aux changements climatiques et les dangers de l’indifférence politique face aux changements climatiques. « Les questions environnementales sont aujourd’hui considérées comme un moteur principal d’un certain nombre de conflits ». La compréhension de ces conflits « nécessite, d’une part, de considérer les multiples usages sociaux, politiques et de lutte de la nature, et d’autre part, de surveiller les différentes perceptions produites par les acteurs (mouvements ouvriers, classes moyennes, mouvements sociaux écologistes, et vulnérables (petits paysans, pauvres, marginalisés, et exclus) sur l’environnement et s’efforcent de les comparer afin de savoir si les perceptions environnementales des acteurs traduisent leur position sociale ». 

Et d’ajouter : « Cette étude a pour but d’éclairer l’importance d’étudier les formes de défense de l’environnement, d’autant plus que la crise environnementale au niveau mondial ne cesse s’aggraver. En ignorant les effets désastreux du progrès économique sur l’environnement en prétendant qu’il peut se guérir lui-même, les gouvernements et les grandes entreprises aggravent cette situation. Cette politique d’indifférence contribue à alimenter les conflits environnementaux ». Pour ces raisons, les chercheurs estiment nécessaire d’observer de près ce mouvement émergent au Maroc : « Cette crise écologique grandissante place les mouvements écologistes au cœur de la carte des conflits sociaux. Par conséquent, nous pensons qu’il est important dans ce contexte de souligner l’importance d’étudier la prise de conscience environnementale au Maroc, de déterminer son degré, et aussi d’analyser les diverses formes d’action collective qui en découlent »

*PS: Les titres et les sous-titres sont réalisés par ENASS.

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