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Droit à la santé : Les constats et les recommandations du  CNDH

Le droit à la santé au Maroc est prévu par la Constitution, toutefois son application se heurte à plusieurs dysfonctionnements. À ce constat, qui n’est pas nouveau, le Conseil national des droits de l’Homme( CNDH) vient d’ajouter une nouvelle couche. À cet effet, le Conseil a réalisé des consultations portant sur l’effectivité de l’accès au droit la santé dans six régions (Dakhla-Oued Eddahab, Laayoune-Sakia El Hamra, Beni Mellal-Khénifra, Fès-Meknès, Tanger-Tétouan-Al Hoceima et l’Oriental.

Selon les conclusions de ces consultations, «la mise en œuvre du droit à la santé dans notre pays se heurte à un certain nombre de défis et de dysfonctionnements».

«Il s’agit, entre autres, de l’absence d’un Parcours de soin coordonné (PSC) ainsi qu’une gestion inadéquate des ressources humaines. L’absence d’un PSC est une des  raisons principales de cette inadéquation (médecins, et autres professionnels de santé). Ainsi, que l’opacité du processus de soin est responsable des problèmes de diagnostic et de prise en charge des patients, mettant ainsi en danger leur santé et leur vie», précise le CNDH.

En dépit du fait qu’il soit un facteur primordial pour l’accès effectif au droit à la santé, le financement du secteur de la Santé au Maroc reste très insuffisant. Sur ce point, le CNDH note que «le budget du ministère de la Santé se situe toujours entre 6% et 7% du budget général de l’Etat, au lieu des 12%, et reste ainsi en deçà des normes internationales (15% du budget général de l’Etat selon la déclaration d’Abuja et 12% selon l’OMS) recommandés par l’Organisation mondiale de la santé ou par rapport à d’autres pays».

À cette insuffisance, il faut ajouter celle des effectifs des professionnels de santé. Au Maroc, il y a à peine 2 300 médecins, dont presque la moitié est concentrée dans les régions de Rabat-Salé-Kenitra et Casablanca-Settat. «Le Maroc a besoin de 32 000 médecins et de 65 000 infirmiers pour subvenir aux besoins de la population, conformément aux normes de l’OMS», rappelle le CNDH.

Cela sans oublier que les ménages marocains puisent profondément dans leurs ressources financières pour se faire soigner. «Leurs dépenses directes dépassent les 50 % des dépenses de santé et plus de 63% si l’on inclut leur contribution pour la couverture médicale, ce qui constitue un véritable obstacle pour l’accès aux soins. Cela contribue aussi à faire glisser, chaque année, un nombre important de la population dans une situation de fragilité et de précarité», souligne le CNDH.

Le rapport parle également de la faiblesse et de la sous-exploitation des ressources humaines à cause des difficultés de gestion. Une situation qui n’arrange pas la  «fuite» des médecins et des cadres de santé. A ce niveau il faut rappeler que le nombre de médecins formés au Maroc et exerçant à l’étranger est estimé entre 10 000 et 14 000.

Au regard de tout ceci et des autres problèmes et défis, le CNDH  estime que «les efforts visant à améliorer l’accès au droit à la santé pour tous les citoyens doivent s’appuyer sur une stratégie nationale de santé faisant partie intégrante de la politique générale de l’État ». Il propose à cet effet que cette stratégie soit bâtie sur quatre piliers fondamentaux. Il s’agit du devoir de l’Etat de procéder à l’adoption d’une approche multisectorielle, d’assurer la durabilité et la sécurité humaine et de la réduction des disparités sociales et territoriales.

Un devoir et une obligation de l’État 

«Les obligations de l’Etat visant à garantir la jouissance de leurs droits reposent non seulement sur ses fonctions régaliennes de direction et de protection de la société, mais également sur sa responsabilité juridique, découlant de ses obligations internationales (conventions et traités internationaux) et nationales (la Constitution et la législation nationale), de promouvoir et de protéger les droits de ses citoyens et de prévenir les violations qui pourraient leur être infligées», note le CNDH. Et de rappeler que la pandémie du Covid-19 a bien fait comprendre à tout le monde qu’investir dans les droits fondamentaux, notamment ceux de l’éducation et de la santé, demeure la première  garantie permettant une sortie de crise rapide et la meilleure arme pour faire face, de manière proactive, aux aléas présents et futurs. «Le rôle de l’Etat, dans ce contexte, relève de sa responsabilité en tant qu’acteur principal en charge d’investir dans les domaines liés au droit à la santé, en établissant les conditions appropriées pour l’intervention des autres acteurs sous la responsabilité et le contrôle de l’État et conformément aux exigences d’un système national de santé considéré comme un service public».

Une approche multisectorielle pour garantir le droit à la santé

Le CNDH recommande la mise en place d’une stratégie multisectorielle de santé basée sur la recherche des intersections et des éléments d’interdépendance entre les problèmes de santé et leurs déterminants économiques et sociaux liés, notamment aux politiques de l’éducation, de l’emploi, du logement, de l’environnement, des modes de vie, de l’alimentation. San oublier tout ce qui a trait au cadre de vie de l’homme, et qui affecte directement ou indirectement la possibilité de jouir du niveau de santé physique et psychologique le plus élevé possible.

Le défi de la durabilité et la sécurité humaine

Selon le CNDH, le droit à la santé doit être l’une des principales réponses aux défis du développement d’une manière générale et du droit au développement en particulier. «Ceci s’explique par le rapport étroit qui existe entre les déterminants de la santé d’une part, et les conditions du développement durable et de sécurité humaine de l’autre», explique le CNDH.

Réduction des disparités sociales et territoriales

Pour le CNDH, il est nécessaire de considérer la réforme du secteur de la santé comme une partie intégrante du chantier de réduction des disparités territoriales et sociales.

Les recommandations

Le CNDH recommande cinq pistes principales pour renforcer l’accès effectif au droit à la santé comprenant plus de 100 recommandations réparties entre recommandations à caractère législatif, recommandations liées à la gouvernance du secteur de la Santé, recommandations liées au renforcement de la démarche préventive…

Revoir l’arsenal juridique

Le CNDH propose de traduire l’arsenal juridique en mesures concrètes garantissant l’accès effectif au droit à la santé. «Bien que le Maroc dispose d’un arsenal juridique important prévoyant la jouissance des droits, y compris le droit à la santé, il n’en demeure pas moins que l’implémentation des textes fait face à plusieurs entraves d’ordre extra-juridique», regrette le conseil. Ce dernier recommande d’adapter et harmoniser le système juridique relatif au secteur de la santé avec les exigences de l’approche fondée sur les droits de l’Homme. Pour ce faire, il faut commencer par reconnaître l’accès aux soins comme un droit de l’Homme en supprimant les obstacles juridiques qui pourraient empêcher les citoyens ou certains groupes d’entre eux de bénéficier de ce droit.

Les recommandations comprennent également la prise en considération de l’approche multisectorielle dans l’élaboration des projets et propositions de loi relatifs au secteur de la Santé, la réorganisation des structures institutionnelles de santé sur la base d’une logique de droit au lieu d’une logique de besoins, et les adapter au parcours coordonné de soins proposé dans le rapport du CNDH. Il est aussi question de trouver les moyens juridiques et les mécanismes institutionnels nécessaires pour intégrer les déterminants implicites et indirects du droit à la santé (dimensions économiques, sociales, culturelles, environnementales et culturelles) dans l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publique en matière de santé.

Repenser la gouvernance du secteur de la Santé 

A ce niveau les recommandations du CNDH s’articulent autour de 4 axes principaux : la gouvernance des mécanismes décisionnels, le renforcement des ressources humaines, la consolidation de l’industrie pharmaceutique nationale et l’amélioration des structures hospitalières. Il s’agit, entre autres, d’augmenter le budget alloué au ministère de la Santé pour atteindre, au moins, un pourcentage de 12% du budget de l’Etat. «Il faut aussi augmenter les dépenses de santé par habitant de 170 USD en 2016  à 419 USD en 2030, tout en réduisant de plus de la moitié les dépenses des ménages : de 63% actuellement à moins de 30% comme objectif premier à atteindre, en vu de passer en dessous du seuil de 25% », propose le CNDH. Ce n’est pas tout, puisque ce dernier propose aussi de libérer le financement de la santé des contraintes liées aux équilibres macroéconomiques et traiter le secteur de la Santé comme un secteur d’investissement qui serait à même de renforcer la souveraineté nationale. Il demande aussi de réformer les méthodes de formation des professionnels de la santé et améliorer les effectifs des lauréats des établissements de formation pour répondre aux besoins croissants résultant du début de la mise en œuvre de la protection sociale universelle, de développer et concrétiser la régionalisation avancée dans le secteur de la Santé, de valoriser les ressources humaines par la mise en place d’une fonction publique de la santé plus attractive. Ce qui passera nécessairement par un une révision de la loi-cadre 34.09 et, bien entendu, il faudra renforcer l’industrie pharmaceutique nationale, notamment par la mise en place de l’Agence nationale de la pharmacologie.

Garantir la couverture sanitaire universelle (CSU)

Pour mettre en place cette CSU, il est important d’asseoir des mécanismes de financement adéquats pouvant garantir aux individus le paiement partiel des dépenses en soins de santé. «Ceci permettra aux personnes vivant dans la précarité d’accéder aux services de soins de santé primaires, y compris les personnes moins nécessiteuses souffrant de maladies chroniques de longue durée», explique le CNDH. Selon ce dernier, «les systèmes de couverture sanitaire au Maroc souffrent de trois déséquilibres majeurs.il s’agit du défi des équilibres financiers, du défi de l’efficience et de l’absence d’un système du tiers payant ». Aussi, pour faire face à cette situation, il est recommandé de réformer les systèmes d’assurance maladie de manière intégrée et inclusive, dans le cadre de la mise en place de la protection sociale en cours, d’adopter un système de consultation et une base de données adéquate à la population à revenu limité, d’encourager l’accès aux médicaments génériques, de développer et publier les protocoles thérapeutiques, améliorer l’attractivité de l’hôpital public pour créer une concurrence au profit du patient et de renforcer les programmes de prévention, de diagnostic précoce et de soins primaires.

La formation et la recherche scientifique

Le Conseil recommande la révision des systèmes de formation et des études médicales et sanitaires, tout en impliquant les hôpitaux publics et privés et les établissements relevant du secteur privé dans le processus de formation et de stage selon les systèmes d’accréditation spécifiques qui répondent aux  besoins aux niveaux local et régional. Il recommande, entre autres, d’encourager la recherche scientifique et augmenter le budget alloué pour en faire un secteur d’investissement, et créer ainsi un environnement favorable pour son développement…

Intégrer le secteur privé dans un système national de santé en tant que service public

A ce niveau le CNDH recommande de considérer le secteur privé de la santé comme un opérateur privé assurant un service public, de définir clairement les notions de prestation et d’établissements de santé, quels que soient leurs régimes juridiques. «Il est important de traiter les secteurs public et privé sur un pieds d’égalité quant à leurs responsabilités comme prestataires de services, que ce soit en termes de prévention, de diagnostic, de traitement ou de réhabilitation», précise le CNDH. Ce dernier propose en parallèle «de mettre en place un cadre de partenariat entre les secteurs public et privé pour consacrer le droit à la santé comme un service public et protéger les droits des citoyen-ne-s, en procédant à l’opérationnalisation et la mise en œuvre des différentes modalités de partenariats prévues par l’article 15 de la loi 34.09».

Il s’agit aussi de développer le Partenariat public-privé  dans le but de mobiliser les ressources financières, techniques et humaines dont dispose le secteur privé et mettre son expertise au service de la politique publique de l’Etat.  

« Il est nécessaire d’accélérer la mise en application de l’article 30 de la loi-cadre 34.09, relative à la création de la commission nationale de coordination public /privé, pour en faire une instance à caractère décisionnel et non consultatif. L’objectif ultime d’une telle initiative est de permettre d’associer les deux secteurs dans la définition des orientations stratégiques du système national de santé», conclut le CNDH.

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