Chères consœurs, chers confrères journalistes au Maroc,Nous avons exprimé, toutes et tous, durant cette semaine, notre condamnation, indignation et colère, face à l’assassinat qui a ciblé notre consœur, feue Shireen Abu Akleh, journaliste-reporter à Al Jazeera, le 11 mai. Cela suffit-il ? La réponse est bien sûr : Non.

Les organisations professionnelles au Maroc ont publié aussi des communiqués de presse pour condamner cette attaque contre le journalisme. Des collègues ont organisé des sit-in symboliques, notamment la belle action de la presse locale à Tétouan. Ce sentiment de colère replace la question palestinienne dans l’agenda après plus de deux ans d’une intense et honteuse normalisation médiatique avec l’Etat sioniste. La voix de la Palestine et de sa résistance a été bâillonnée durant cette période par les médias marocains, officiels et officieux.

Shireen Abu Akleh, aujourd’hui icône du journalisme de terrain et martyr d’un peuple en lutte.

L’assassinat de Abou Aqlah sonne comme un violent rappelle pour ceux, nombreux, qui sont tentés par une normalisation politique, économique, culturelle et bien sûr médiatique. Passée l’indignation éphémère, quel est le rôle des médias marocains, libres et indépendants et professionnels, face à cette vague de normalisation ? Face à la permanence des crimes sionistes contre les Palestiniens, que peut-on faire, nous journalistes au Maroc ?

Nous pensons que les médias marocains, ceux encore attachés aux droits humains, aux valeurs humanistes et à la liberté d’expression, peuvent jouer un rôle majeur pour soutenir la lutte de la résistance palestinienne et soutenir les médias et les journalistes de ce pays sous occupation. Comment ?

Il ne s’agit pas de donner de leçons de professionnalisme à quiconque mais de rappeler les responsabilités à chacun, et dans le cas de figure, la responsabilité des médias face à une situation de violations systématiques des droits humains contre un peuple sous occupation.

Les médias marocains, ceux encore attachés aux valeurs humanistes peuvent jouer un rôle pour soutenir la lutte de la résistance palestinienne.

Ces rappels peuvent être, en filigrane, comme un testament de Shireen Abu Akleh, aujourd’hui icône du journalisme de terrain et martyr d’un peuple en lutte. Pour la mémoire de Shireen, voici ce qui pourrait être son testament professionnel :

• Cher collègue, à chaque fois que tu couvres les visites des officiels israéliens à notre patrie le Maroc, rappelle-toi qu’il s’agit de criminels de guerre, rappelle-toi à chaque moment le martyr de Shireen Abu Akleh et Ahmed Abou Houssein. Ces israéliens qui visitent le Maroc ont le sang de nos confrères palestiniens sur les mains;
• Cher collègue, nous devons rappeler aux officiels marocains, l’Etat sioniste a tué 50 journalistes palestiniens depuis l’an 2000. Les agressions contre les journalistes et les médias avoisinent, les 500 à 600 agressions/an. En mai 2021 à Gaza, un immeuble abritant 13 médias nationaux et internationaux, a été visé par une frappe de l’armée d’occupation. Bilan : un journaliste décédé et plusieurs professionnels de l’information blessés. Aujourd’hui, plus de 24 journalistes croupissent en prison pour avoir fait leur métier : Informer en zone de guerre. En un mot : Être journaliste en Palestine équivaut à un danger de mort à tout moment;
• Cher collègue, en couvrant les informations sur les achats d’armes sionistes par le Maroc, rappelle-toi que ces mêmes armes servent à tuer des citoyens, des résistants et des journalistes palestiniens dans les territoires occupés;
• Cher collègue, en écrivant des articles sur les accords économiques avec les sionistes, il faut savoir que ces recettes seront injectées dans les finances d’un Etat criminel pratiquant l’apartheid (les images de l’attaque des funérailles par d’elles-mêmes).
• Cher collègue, en couvrant les visites des touristes sionistes à notre patrie, sache que ce touriste est réserviste d’une armée criminelle et d’agression. A son retour, ce touriste pourra reprendre les armes contre les Palestiniens, qu’ils soient enfants, femmes ou journalistes.
• Cher collègue, si tu es amené à couvrir cette honteuse opération de normalisation, rappelle-toi que tu peux recourir à ton droit fondamental de « Clause de conscience ». Les textes protégeant ce droit des journalistes existent dans les différentes chartes (Munich, 1971 et FIJ, 2019) et la Charte du Conseil national de la presse (alinéa 2, paragraphe 6). Désobéir est notre droit. Désobéir est un acte de fidélité à nos lecteurs.  

Bien sûr ce « testament » et ces mots ne s’adressent pas aux médias drivés par l’agenda sécuritaire et proches de milieux bien connus au sein de l’État. Ces mêmes médias sont aujourd’hui le fer de lance de la normalisation et de la presse de diffamation. Les deux combats contre la normalisation et la diffamation se rejoignent pour la défense de la profession et de la liberté de la presse. 

Ces propos s’adressent aux journalistes honnêtes professionnellement attachés à un métier comme conscience d’une société et d’une nation. Un rôle qu’a incarné feue Shireen Abu Akleh toute sa vie et pendant sa carrière. C’est le meilleur hommage qu’on peut lui rendre, nous en tant que journalistes.