La Tijanya, rempart africain contre l’extrémisme

La ville de Fès est la source spirituelle de la Tariqa Tijaniya. Chaque année, elle accueille les pèlerins tijanes en quête de spiritualité et de paix en ces temps troubles. ENASS a suivi les rites de cette confrérie soufie. Reportage.
Une fois par an, Fès devient la Mecque de dizaines de milliers des adeptes de la Tariqua Tijaniya qui affluent des quatre coins du monde. La médina de Fès (130 km de Rabat) devient un haut-lieu d’un pèlerinage africain. Les Tijanes d’Afrique du Nord et de l’Ouest et d’Europe arpentent les ruelles de la capitale spirituelle du Maroc à la recherche de spiritualité et de paix intérieure. Leur périple dans la médina se termine dans le mausolée bâti en hommage à Sidi Ahmed Al-Tijani, fondateur de cette confrérie musulmane africaine.
Ce rite spirituel s’impose et se propage dans plusieurs pays africains, Mauritanie, Mali, Niger, Sénégal, Tchad, et bien d’autres. Aujourd’hui des milliers d’adeptes viennent de l’Afrique pour visiter le tombeau d’Ahmed Al-Tijani pour lui dédier une prière et prendre sa bénédiction.
De Dakar à Fès
Dans ce voyage soufi, notre guide est cheikh Idriss Faez Chérif Tijani, imam du mausolée Ahmed Al-Tijani. Il accepte de nous rencontrer. Idriss Chérif Tijani est l’un des descendants du fondateur de la confrérie, Ahmed Al-Tijani (1735-1815). Cet homme maîtrise l’histoire de cette confrérie sur les bouts des doigts. Son message principal : « La confrérie joue un rôle majeur pour la promotion d’une spiritualité réconciliée avec la paix et de tolérance. C’est un rempart contre la radicalisation », insiste-t-il. Après cette profession de foi, nous allons à la rencontre des adeptes.
« Ici on vient de partout, c’est l’endroit où on oublie toutes les différences de couleurs, ethniques ou sociales, on est tous frères et sœurs ici et cette voie spirituelle nous réunit ».
Cheikha Fatoumata Sey, adepte du Mali
C’est dans les petites ruelles de l’ancienne médina de Fès que se trouve le mausolée d’Ahmed Al-Tijani, un lieu de pèlerinage incontournable. Arrivés à la Zaouia on remarque une foule d’adeptes subsahariens qui attendent pour rentrer faire la ziyara (visite du tombeau). Cheikha Fatoumata Sey, une adepte malienne, de l’extérieur, rien chez elle ne laisse penser à son engagement dans la Tariqa ou à ses intérêts spirituels. Habillée à l’occidentale une robe longue colorée et un foulard sur les épaules pour couvrir les cheveux en rentrant à la zaouïa, se rapproche de nous avec un grand sourire et nous salue, ensuite nous souhaite une ziyara exaucée; «je suis là depuis quelques jours, ici on vient de partout, c’est l’endroit où on oublie toutes les différences de couleurs, ethniques ou sociales, on est tous frères et sœurs ici et cette voie spirituelle nous réunit ».
Avant que la porte s’ouvre un artisan nous explique que les Tijanes sont nombreux là depuis le début du ramadan et qu’ils passent des jours ici, et nous explique aussi que les femmes doivent obligatoirement couvrir leurs cheveux afin d’entrer à la zone réservée aux femmes ainsi que seuls les hommes peuvent approcher le tombeau du saint Ahmed Al-Tijani.

A la zaouia, les adeptes tijanes font des dikr (invocation rituelle) en attendant l’heure de la prière. Pour l’imam Idriss Faez, la confrérie insiste en premier sur le respect des cinq piliers de l’islam. Ensuite sur la Tariqa qui comprend des invocations individuelles du wird (ensemble d’invocations et de rappels de Dieu, qualifiés de facultatifs, mais devenant obligatoires une fois le disciple religieux choisit de son propre gré de les appliquer) et collectives des wadifa (invocation de pardon et de retour à Dieu, et prière sur le Prophète pratiquée le matin et le soir). « Être tijane c’est en premier lieu respecter les bases et les fondements de l’islam, ensuite les pratiques de la Tariqa qui visent à connaître Allah, et l’observer dans toutes ses pratiques », nous explique imam Idriss.
« La Tariqa a donné l’exemple d’une communauté fraternelle unie au sein de laquelle les différences de couleur d’ethnie, de langue et de nationalité s’effacent pour donner naissance à un environnement saint spirituel qui guide vers la paix intérieure, la connaissance et l’amour d’Allah le Tout-puissant », ajoute-t-il.
« La Tariqa a donné l’exemple d’une communauté fraternelle unie au sein de laquelle les différences de couleur d’ethnie, de langue et de nationalité s’effacent pour donner naissance à un environnement saint spirituel qui guide vers la paix intérieure, la connaissance et l’amour d’Allah le Tout-puissant».
Cherif Idriss, Imam de la zaouia Tijanya Fès
A l’intérieur du mausolée, nous retrouvons plusieurs adeptes venus de pays d’Afrique de l’Ouest. Cheikh Soulaymane, vieil homme âgé de plus de soixante ans est originaire du Sénégal, vêtu d’une djellaba marocaine blanche, et assis dans les couloirs du mausolée. Il est là depuis le mois du ramadan (avril). « Je viens ici depuis plus de 25 ans pour faire la ziyara de Sidna Cheikh. Puisque, je suis adepte de la tariqa tijaniya, en tant que Sénégalais, pour nous Fès est la source de la confrérie. Nos grands disciples qui nous ont appris cette confrérie sont passés par le Maroc. Enfin, le tombeau d’Ahmed Al-Tijani se trouve dans cette ville, donc je reviens régulièrement ». Mais qui est cet homme qui a réussi à réunir autant de monde autour de lui depuis trois siècles ?
Parcours d’un savant soufi

L’imam Idriss Faez apporte des réponses à nos questions, en nous expliquant l’histoire de cette confrérie et son fondateur. Il rappelle quelques dates importantes de l’histoire de la confrérie : « Né à Aïn Madhi, en Algérie, Ahmed Al-Tijani est l’aîné d’une famille originaire de Sétif, dont la descendance avec Hassan, petit-fils du Prophète, a été établie. Un lignage qui le destine à un parcours d’érudit comme beaucoup de notables de son temps », explique-t-il. « À l’âge de sept ans, Ahmad Al-Tijani aurait appris tout le Coran. Il a ensuite étudié divers sujets religieux, et à l’âge de 15 ans il a déjà commencé à donner des cours », rappelle-t-il.
Âgé de 21 ans, il quitte Aïn Madhi pour Fès. Il est poussé par une soif incommensurable de savoir. Il rejoint la célèbre cité du savoir religieux, avec notamment sa fameuse Université-Mosquée Al Quaraouiyine. Dans cette ville se côtoient de grands maîtres du hadith et de la jurisprudence islamique. « Sidi Ahmed Al-Tijani entreprend de les visiter afin de tirer profit de leurs enseignements spirituels ainsi que de leurs bénédictions », raconte l’imam. En effet, il considérait la recherche de la compagnie des maîtres du soufisme comme moyen de parfaire les exigences de la loi extérieurement et intérieurement. Il ne s’arrête pas dans les cours de l’université Al Quaraouiyine, mais il assistait également à ceux qui se tenaient dans d’autres mosquées ou Zawiya.
Après des études à l’université Al Quaraouiyine à Fès, il conclut sa formation par un pèlerinage à La Mecque. Dix années de pérégrinations riches en rencontres lui font découvrir le Maghreb et Le Caire, mais malgré son affiliation à diverses confréries, sa quête d’un maître spirituel reste infructueuse.
De retour à Aïn Madhi, il continue ses recherches et son apprentissage soufi, mais son avenir va connaître un grand changement après une expérience spirituelle « le Prophète Mohammed (Sws) lui apparaît et lui ordonne d’abandonner les voies auxquelles il s’était affilié et de suivre celle qu’il lui désigne. La tariqa Tijaniya naît de cette révélation », explique Chérif Idriss, avant de continuer : « Lors de son retour à Fès, il eut les faveurs du sultan Moulay Slimane pour son soufisme, il était connu pour sa sagesse et son grand savoir ».
«A l’intérieur du mausolée, nous retrouvons plusieurs adeptes venus de pays d’Afrique de l’Ouest comme pèlerins ».
Idriss Faez , Imam de la Zaouia Tijanya Fès
Les origines de cette confrérie ont créé une grande polémique dans une période entre les Marocains et les Algériens. C’est dans ce sens que l’Imam Driss nous explique qu’il n’accepte pas ces liaisons de la tariqa à un lieu spécifique. Vu que cette confrérie soufie n’est en aucun cas liée à une seule place ou un lieu. C’est une relation entre l’adepte et Dieu. Ceci n’a aucune relation avec la place ou le temps, ce lien se trouve partout mais la zaouia mère pour les pèlerins est cette Zawiya de Fès après la Mecque.
Un Islam de paix
À Fès, cette confrérie qui revendique « plus de 300 millions d’adeptes à travers le monde, en particulier en Afrique de l’Ouest », entend aujourd’hui renforcer son rôle de rempart contre la radicalisation et aspire à faire face à la montée de l’extrémisme religieux et du terrorisme. La confrérie veut « éduquer les gens spirituellement et donner une image d’un soufisme et un islam tolérant et contre l’extrémisme ».
« La tariqua tijania est basée sur un islam de paix et de tolérance et diffuse tous les messages d’amour et de concorde. Un soufi ne peut jamais commettre ou diffuser des messages de radicalisation, parce qu’il observe Allah dans toutes ses pratiques. », confie Imam Idriss.
« Moulay Ahmed Al-Tijani nous a laissé un trésor de savoir profond du soufisme, il a fait de Fès une ville spirituelle et un lieu de pèlerinage, son soufisme sage et tolérant continue à inspirer jusqu’à aujourd’hui des millions de personnes à travers le monde ». Dans un monde secoué par les conflits et la montée de l’extrémisme violent, notamment en Afrique de l’Ouest avec les mouvements djihadistes, Boko Haram et les filiales de Daech, la confrérie continue de jouer un rôle dans l’éducation religieuse apaisée et réconciliée avec son temps : « Nous en tant qu’adeptes, on essaye toujours de réfléchir à des manières et des moyens qui visent à renforcer les liens spirituels de fraternité, de solidarité et de tolérance entre les musulmans afin de lutter contre toute sorte de radicalisation ou d’extrémisme violent », ajoute l’Imam de la zaouia.
Le soufisme sage et tolérant de Moulay Ahmed Al-Tijani continue d’inspirer jusqu’à aujourd’hui des millions de personnes à travers le monde.
Idriss Chérif, Imam de la Zaouia Tijanya Fès
Le danger de l’extrémisme

Cette confrérie représente « un exemple de soufisme qui vise à promouvoir les messages de paix et de prévenir toute sorte de haine, et de radicalisation », insiste l’imam fassi. Cette confrérie comme tout l’Islam en Afrique est confronté à plusieurs défis, notamment celui de la montée des mouvements jihadistes. « Le contexte africain qui a connu une montée fulgurante de l’extrémisme religieux violent a montré les limites de la démarche militaire dans la lutte contre les violences interpellent les États concernés par ce bouleversement sécuritaire et les poussent à privilégier de nouvelles approches locales focalisant sur le renforcement de la prévention et visant à lutter contre le recrutement des individus à des fins de fanatisme religieux. » expliquent Sophie Bava,Farid El Asri et Yousra Hamdaoui, trois universitaires et spécialistes de ces questions dans un récent article scientifique intitulé « Les voix et les voies de l’islam africain : questions et pratiques de formation religieuse« . La Tariqa est consciente de l’ampleur de ce défi.
« La Tijanya a créé des liens forts dans la région subsaharienne et en Afrique de l’Ouest. Elle a fait de Fès un point crucial entre le Nord et le Sud du Sahara, tout en jouant un rôle de rempart contre des l’extrémisme, et notre rôle en tant qu’adeptes est de donner une image fidèle de notre religion. Notre travail au quotidien est de corriger les idées fausses diffusées par les groupes extrémistes qui lient l’islam à la violence », conclut l’imam Driss Faez. Ce combat nécessaire, est loin d’être gagné…