L’asile: Un droit en péril ?
Les douze derniers mois confirment les reculs en matière de droit d’asile au Maroc et dans le monde. Un état des lieux avec quelques faits marquants.
Flash-Back, nous sommes le 20 juin 2021 à Rabat, le Haut-commissariat des réfugiés (HCR) au Maroc organise sa soirée de célébration à l’occasion de la Journée internationale des réfugiés. Les participants sont heureux de renouer avec les activités en présentielles après une année de Covid-19. L’ambiance est festive, rythmée par les performances artistiques des jeunes réfugiés au Maroc. Le représentant du gouvernement marocain répète des propos de circonstance. Du déjà entendu depuis 2013.
L’hôte de la soirée, François Reybet-Degat, représentant du HCR au Maroc, prend la parole. Le diplomate onusien fait un discours élogieux à l’égard de la politique migratoire. Pourtant, un passage fait grincer des dents du côté des officiels marocains présents dans la salle.
L’année du réfugié Ouïghour
Reybet-Degat rappelle l’importance pour le Maroc de disposer d’une loi sur l’asile. Ce projet de loi est dans les tiroirs depuis 2013 : « Des étapes très importantes en matière de politique d’asile pour le Maroc reste à franchir. Sans ces étapes, une détérioration des conditions de protection des demandeurs d’asile et des réfugiés pourra se produire », prévient-il lors de son discours. Dans son allocution policée, il multiple les sous-entendus diplomatiques pour rappeler l’importance de cette future loi : « L’existence de cette loi sur l’asile est fondamentale pour le pays. Si une loi sur l’asile est adoptée, elle apportera un peu de protection pour les demandeurs d’asile ».
Les craintes exprimées, diplomatiquement, par le représentant du HCR se confirment sur le terrain. Entre juin 2021 et juin 2022, les réfugiés souffrent d’une dégradation de leur protection internationale, comme nous allons le montrer dans cette enquête. À l’instar des autres étrangers noirs de peau, ils subissent des déplacements forcés et des arrestations. Les hésitations des officiels, à franchir le cap, avec une loi sur l’asile, pénalisent les réfugiés. L’accès à leurs droits est en stand-by. L’épisode de Yidiresi Aishan, réfugié Ouïghour au Maroc, en décembre 2021 renforcent ces craintes.
Le projet de la honte UK-Rwanda
La situation des 20 000 réfugiés et demandeurs d’asile au Maroc, souffrent aussi de l’étroitesse des moyens mis à la disposition du HCR Maroc. Le tout dans un contexte où l’effectif des réfugiés a été multiplié par deux en deux ans, avec un afflux rapide de réfugiés soudanais et sud-soudanais. Une arrivée de réfugiés liée directement à la situation en Libye où les personnes en migration font l’objet de sévices. À ce contexte local, s’ajoute un contexte international particulièrement alarmant en matière de non-respect de la protection internationale et de la Convention de Genève.
Le cas du projet de la honte du gouvernement britannique de déplacer des demandeurs d’asile arrivés en Angleterre vers le Rwanda est une nouvelle illustration de ce recul de ce droit international fondamental. A cela s’ajoute, la multiplication des cas de push-back en mer Egée, sur les côtes grecques. Des pratiques ayant fait l’objet de plusieurs décisions de justices nationales et européennes. Des reculs interviennent dans un contexte global marqué par une crise majeure des réfugiés en Europe, avec la guerre en Ukraine. Ce contexte national, régional et international complexe, impacte une politique d’asile marocaine qui peine à se dessiner.
A Nador, violences aux frontières
Les réfugiés et les demandeurs d’asile se trouvant dans l’Oriental accusent les autorités marocaines, algériennes et espagnoles de plusieurs violations de leurs droits. Dans cette zone sous haute tension sécuritaire, en raison de sa proximité avec des frontières de l’UE, les réfugiés et les demandeurs d’asile subissent le sort des autres personnes en migration. Les Soudanais et Sud-Soudanais et les Yéménites font face à la violence des frontières. Moattassem Karem Quasem Ali, ce réfugié yéménite de 25 ans, a perdu la vie le 20 novembre 2021 à la suite d’une opération de push-back (refoulement à chaud) violente à Béni Ensar, près de Nador et Mélilia.
Il a été intercepté avec son ami Ibrahim Mohamed par trois agents de la Guardia Civile espagnole. Tabassés, « les deux réfugiés ont été obligés d’ôter leurs gilets de sauvetage et poussés à retourner à la nage vers la côte marocaine », témoigne Ibrahim, survivant à ce drame. Son propos a été relayé par l’Association marocaine des droits de l’Homme (AMDH) à Nador l’automne dernier.
Toujours à Nador, l’Organisation marocaine des droits de l’Homme (OMDH) avait dénoncé en mars 2022, une campagne d’arrestations ciblant « des maisons abritant des réfugiés yéménites à Nador », indiquait un communiqué de l’OMDH. Ces réfugiés, une vingtaine, ont été conduits vers la frontière algérienne. Une pratique suspendue par les autorités marocaines depuis 2013, mais qui a légèrement repris cette année. Ce qui a scandalisé l’OMDH, c’est que parmi les réfugiés expulsés vers l’Algérie « des titulaires de la carte de réfugié, délivrée par le Bureau des réfugiés et des apatrides (BRA) relevant du ministère des Affaires étrangères ainsi que des personnes enregistrées auprès du Haut-commissariat aux réfugiés des Nations Unies. Dix de ces réfugiés ont choisi de revenir au Maroc », poursuit l’OMDH. Le document délivré conjointement par le HCR et le BRA ne protège plus les réfugiés des refoulements.
» Le document délivré conjointement par le HCR et le BRA ne protège plus les réfugiés des refoulements » .
AMDH Nador.
Pour l’AMDH Nador, le retour des refoulements vers l’Algérie est un signe inquiétant : « AMDH Nador a constaté que la pièce de demande d’asile ne procure aucune protection à ces demandeurs d’asile qui sont arrêtés à l’instar des Subsahariens et refoulés vers la frontière algérienne sans aucune intervention du HCR », peut-on lire dans le rapport 2021 de la section rifaine.
L’OMDH, qui suit la politique d’asile depuis des années et accompagne les demandeurs d’asile dans leurs demandes à Oujda, estime « que ces mesures prises par les autorités, sont contraires aux engagements du Royaume, qui a signé en 1951 la convention relative au statut des réfugiés. Elles sont également contraires aux dispositions de la loi 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l’émigration et l’immigration irrégulières, notamment l’article 26 qui interdit l’expulsion des demandeurs d’asile, les mineurs, les femmes enceintes et les réfugiés », souligne-t-on auprès de l’OMDH.
À la suite de cet incident de mars 2021 à Nador, l’organisation a saisi les ministères de l’intérieur, celui des Affaires étrangères, de la Justice, le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) et la Délégation interministérielle aux droits de l’Homme (DIDH). Dans sa lettre au ton alarmiste, l’OMDH a demandé des éclaircissements sur ces faits qu’elle considère « constituer une atteinte grave à ce que le Maroc a accumulé en matière de gestion de la migration et de l’asile. Ces pratiques sont également contraires aux engagements du Royaume et aux lois en vigueur ». Ces situations sont un condensé de l’ambiance délétère où vivent les réfugiés dans les zones frontalières (voir aussi notre reportage sur la situation des réfugiés à Beni-Mellal).
La même situation s’est reproduite à Tétouan en avril 2022. Des réfugiés ont fait l’objet d’arrestations à la suite de leur participation à une tentative de franchissement de la barrière avec Sebta. Parmi les 80 étrangers, arrêtés par les forces de l’ordre au Maroc, le 13 avril, 12 réfugiés ont été interpellés dont 5 mineurs, comme le montrent les données du CNDH. Dans son rapport annuel de 2021, l’instance, dirigée par Amina Bouayach, indique qu’il a fallu une intervention de la Commission régionale des droits humains à Tanger-Tétouan-Al Hoceima pour libérer les 12 réfugiés qui se trouvaient dans le siège de l’autorité locale dans une zone à M’diq. Ces arrestations peuvent se dérouler en zones frontalières (nord, est ou sud) mais aussi dans les centres urbains comme Rabat. L’absence de pièces d’identité délivrées par le gouvernement augmente le risque d’arrestations parmi cette population.
Des réfugiés sans papiers
Seuls 45% des réfugiés en 2020 avaient un titre de séjour valide, selon les données de l’enquête du Haut-commissariat au plan (HCP) réalisée sur l’impact du Covid-19 sur les personnes réfugiées. Ce chiffre devrait connaître une baisse depuis deux ans, en raison de la fermeture du BRA à la suite de la pandémie du Covid-19 et le ralentissement du traitement des demandes de reconnaissance du statut des réfugiés par le gouvernement. Une situation soulevée par le CNDH dans son dernier rapport annuel : « En plus des Syriens dont la situation demeure en stand-by, les séances organisées par le BRA demeurent insuffisantes pour rattraper le retard enregistré depuis fin 2018. Cette situation laisse plusieurs réfugiés sans documents », peut-on lire dans ce document. Pour illustrer cette lenteur, au 1er trimestre 2022, 51 réfugiés ont été auditionnés par le BRA. Sur la même période (au 31/03/22), le HCR Maroc a reçu 1374 nouvelles demandes d’asile. Ces demandeurs ne seront pas tous éligibles au statut de réfugié, mais une partie rejoindra les 9000 réfugiés déjà reconnus par le bureau marocain du HCR.
Le même constat a été confirmé par une récente étude de terrain produite par des associations de personnes en migration et réalisée par l’activiste et journaliste, Franck Nama, qui soulève aussi l’absence de documents de voyage : « Nos interlocuteurs réfugiés ont souligné la question de la non-accessibilité aux documents de voyages pour réfugiés. Situation qui les empêche de pouvoir être véritablement autonomes, car limitant leur déplacement au seul espace marocain, rendant impossible tout déplacement d’ordre professionnel pour les artistes, les entrepreneurs et les acteurs associatifs ».
«Nous recommandons d’accélérer l’adoption du projet loi n°66-17 relatif à l’asile et aux conditions de son octroi, pour assurer la reconnaissance effective du statut de réfugié accordée par le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés».
CNDH MAROC
Le représentant du HCR Maroc avait d’ailleurs soulevé le point des titres de séjour l’an dernier, sujet toujours d’actualité : « Un titre de séjour valide est un élément essentiel pour la protection et de l’exercice du droit. Nous continuerons à travailler étroitement avec le gouvernement marocain sur ce dossier ». L’absence de titres de séjour valides avait causé un retard dans la campagne de vaccination pour les personnes étrangères. Pour le CNDH, l’urgence est surtout législative : « Nous recommandons d’accélérer l’adoption du projet loi n°66-17 relatif à l’asile et aux conditions de son octroi, pour assurer la reconnaissance effective du statut de réfugié accordée par le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, tout en tenant compte des exigences constitutionnelles et des principes consacrés par le Pacte mondial sur les réfugiés ».
Cette recommandation fera face à la montée de la sécurisation des frontières pratiquées par le Maroc et l’Espagne, ainsi qu’un climat politique peu propice pour le respect du droit d’asile, notamment au sein de l’Union européenne (UE). Une situation que résume Pr. Abdelkarim Belguendouz dans son dernier ouvrage où il propose un diagnostic sans appel du Pacte européen pour l’immigration et l’asile : « Il ressort de l’ensemble du projet qu’il s’agit, en premier lieu de politiques approfondies et plus efficaces en matière de gestion de sécurisation et de surveillance renforcée des frontières extérieures de l’UE et de leur externalisation vers les pays tiers ; de resserrement de l’asile (alors que l’UE reçoit moins de réfugiés que d’autres régions du monde) ; de freinage toujours plus des arrivées aux côtes européennes par le mécanisme de la dissuasion ; de limitation de l’accueil par le « tri » des personnes à la frontière et le pré-filtrage à l’entrée ; d’activation du retour et de l’éloignement, d’accélération de l’expulsion et de la réadmission ». Ces politiques dominantes mettent le droit d’asile en péril…