De Lesbos à Nador, violence ordonnée des Etats
A nouveau l’actualité nous rappelle de manière brutale que les frontières existent pour certains groupes de personnes, racisées, avec leurs conséquences néfastes et que les acteurs étatiques impliqués sont plus que prêts de passer outre les droits humains pour imposer leur sélection arbitraire des personnes désirées et des personnes non-désirées.
Par Pauline Fischer
Il est à peu près 6 heures du matin le 25. Juin 2022. Dans les transports, je survole l’actualité de la veille sur l’écran de mon téléphone portable. Je m’arrête sur une publication aux images violentes : il s’agit d’informations concernant un affrontement entre personnes en migration et forces de l’ordre marocaines et espagnoles à la frontière de Béni Ensar et Melilla. Rapidement je comprends l’ampleur des évènements, les images sont d’une violence incroyable : des corps d’hommes racisés noirs, entassés, allongés par terre dans ce qui ressemble à des cages, des barrières.
Le sol, on ne peut même plus l’identifier, tellement il est couvert de corps ; des agents des forces de l’ordre marocains leur donnent des coups de bâton au lieu de les aider; une autre vidéo qui laisse supposer, que ces personnes, parmi lesquels, je comprends maintenant, se trouvent aussi de nombreux cadavres, se sont font écrasé par une lourde barrière et que à nouveau personne ne leur vient à l’aide.
Le massacre qui a lieu depuis des décennies au niveau des frontières de l’UE trouve une nouvelle apogée.
Pauline Fischer
Dans les heures qui suivent, d’autres photos et vidéos me parviennent, mais je ne peux pas toutes les regarder, elles contiennent trop de violence. Je comprends que le massacre continu qui a lieu depuis des décennies au niveau des frontières de l’Union européenne, trouve une nouvelle apogée. – Et je ne peux outre que penser à la douleur de la mère qui découvre la mort de son enfant sur l’une de ces vidéos qui parcourent le monde d’ores et déjà.
Un système sélectif de migrant-e-s désirées
Les motifs racistes derrière ce système de sélection également raciste, s’affichent de façon flagrante.
Pauline Fischer
La catégorie au sein de laquelle se trouvent les personnes non-désiré·e·s, souvent mineur·e·s, est déterminée par un racisme profond qui continue à être véhiculé par les temps coloniaux aux temps néocoloniaux. Les motifs racistes derrière ce système de sélection également raciste, s’affichent de façon flagrante lorsqu’on observe les deux- poids- deux- mesures qui s’appliquent aux personnes qui cherchent à entrer sur le territoire de l’Union européenne dans l’objectif de trouver une protection.
Si l’Union européenne s’est félicitée d’humanité ainsi que d’unité dans l’accueil des ressortissant-e-s ukrainien-ne-s fuyant la guerre en Ukraine, ce sont les nécro-politiques et le laisser-mourir imposées aux personnes racisées originaire des pays d’Afrique et d’Asie qui font unité, nonobstant du respect des droits humains et de la dignité humaine.
Dans le cas du massacre du 24 juin, de la situation à la frontière biélorusse- polonaise, turco- grecque ou sur la « route des Balkans » il ne suffira cependant plus de parler de laisser-mourir, mais d’un acte de mise à mort, car on empêche des personnes activement de passer une frontière au péril de leurs vies, s’il le faut. Ce qui divise au sein de l’UE et dans les relations avec les Etats voisins, c’est la question géopolitique à savoir qui doit effectuer la violence ordonnée ; ici encore une fois des motifs racistes et coloniaux émergent.
Une violence dictée qui engendre la violence et de la souffrance
L’engrenage des violences orchestrées et par là vécues aux frontières de l’Union européenne ne cesse de croitre depuis plus de deux décennies. Cette violence frappe de plein fouet au niveau de toutes les frontières immédiates et externalisées par lesquelles passent les routes migratoires d’Afrique et d’Asie vers l’Europe. Sur les côtes tunisiennes, algériennes ou libyennes, de Lesbos, du Rif à Dakhla ou au Sahara les habitant·e·s et militant·e·s parfois assisté·e·s des autorités publiques sont confronté·e·s avec les violences frontalières en trouvant les corps échoués sur les plages ou dans les déserts, des vies prises par une mer (de sable) qu’on croirait commissionnée par l’UE.
De l’identification des corps, leur enterrement et la recherche des familles des défunts et de disparu·e·s à l’organisation du retour des corps auprès des proches, la violence se répercute dans la vie d’innombrables individus. De l’autre côté, ce sont les agent·e·s des forces de l’ordre, des militaires, de la police aux frontières et de l’agence FRONTEX qui sont commissionné·e·s en tant que bourreaux des frontières terrestres, ordonné·e·s à « protéger » une frontière qui s’impose pour la plupart également à eux, déployant les violences à l’égard des personnes qui souhaitent passer les frontières.
Cette violence culmine en ce vendredi, trouvant son origine dans la gestion des frontières.
Pauline Fischer
Rappelons que lors des affrontements qui sont ainsi créées, les moyens de défense et de contestation de la violence initiée par l’UE ne constituent qu’une forme de protection vis-à-vis de l’arsenal high-tech qui est déployé par les ainsi appelés gardes-frontaliers, contrairement aux accusations portées par l’exécutif espagnol. Et comme un cercle vicieux, cette violence culmine en ce vendredi 24 juin 2022, trouvant son origine dans la gestion des frontières même et dans les politiques de restriction racistes à la liberté de circuler. La souffrance qu’elle engendre par ailleurs se trouve des deux côtés, toutefois à échelle divergente ; la mort, les séquelles et cicatrices se joignent aux traumatismes et aux sanctions menaçantes en cas de refus d’un ordre supérieur.
Le stratagème sur le dos des personnes racisées
Ainsi les gouvernements respectifs et la commission européenne négocient des dynamiques frontalières, système qui est porté par un ensemble d’éléments comme les politiques et quotas d’attribution des visas, le profilage racial dans les zones près des frontières, des tests osseux dubitatifs pour déterminer la minorité d’une personne ou encore les refoulements à chaud ou « push-backs », qui rendent impossible l’accès régulier aux droits prévus des conventions internationale, qu’ils s’agisse de l’asile ou de la protection des mineur·e·s. Les négociations entre les Etats se font à la monnaie de vies humaines, à croire que leurs intérêts stratégiques entre néocolonialisme vert et intégrité territoriale priment sur ces soi-disant garanties, pourtant bafouées.
« Say their names », une commémoration de nos morts
Si nous nous retrouvons dans un sentiment d’impuissance vis-à-vis des calculs politiques et des violations de droits humains au sein et à travers des frontières qui nous lient les un·e·s aux autres, c’est de façon centrale que nous nous devons de préserver la mémoire des personnes décédées, des victimes de la frontière, car elles sont les victimes des politiques migratoires de nos pays.
Identifier les corps, mettre en contact les familles avec les autorités compétentes et préserver la mémoire des personnes décédées.
Pauline Fischer
A l’heure actuelle il s’agit d’un effort collectif qui est essentiellement porté par les acteurs de la société civile des deux côtés de la frontière pour identifier les corps, mettre en contact les familles avec les autorités compétentes et préserver la mémoire des personnes décédées. Car si notre commémoration ne peut ramener les défunts à la vie, nous pouvons leur rendre l’humanité qui leur a été arrachée à la frontière et que les politiques migratoires refusent de reconnaître.
En partant des revendications des mouvements citoyens et civiques pour dénoncer l’attentat de la ville de Hanau en Allemagne du 19 février 2019 qui a coûté la vie à dix personnes racisées, nous devons connaître leurs noms, leurs histoires, connaître les circonstances et les responsables de leurs décès ainsi que les failles et manquements des enquêtes publiques d’éclaircissement de ces circonstances. Et nous devons le faire connaître par nos sociétés, celles dont ces personnes ont été originaires, à travers lesquelles elles ont transitées et lesquelles elles voulaient gagner.
La justesse de nos sociétés se mesure à comment elles protègent ses membres les plus vulnérables. Dans des contextes politiques nationaux et internationaux de plus en plus restrictifs et autoritaires, nous devons exiger que les plus vulnérables obtiennent les moyens de se défendre, pour que leur humanité soit reconnue à travers des politiques et des droits humains digne de ce nom, dans les frontières et ailleurs.
(Identifier les corps, mettre en contact les familles avec les autorités compétentes et préserver la mémoire des personnes décédées.)
P.F.
Douleur, Douleur, Douleur, et encore Douleur que de la douleur. Être noir dans ce monde c’est risqué mais pour mieux connaître le coeur de l’homme, il faut naître noir. (Qui est Homme et qui est Noir)
O. J.