De Genève à Addis-Abeba, le Maroc et l’Espagne sur la défensive
C’est un retournement de situation pour le Maroc. La politique migratoire du royaume a été le fer de lance de sa diplomatie depuis 2013, aujourd’hui la gestion migratoire avec le drame de Nador met le royaume sur la défensive. Décryptage.
Le porte-parole du Haut-commissariat aux droits de l’Homme, Ravina Shamdasani, avait réclamé à Genève l’ouverture d’une enquête indépendante sur les circonstances du drame. Le porte-parole de l’ONU, Stéphane Dujarric, qualifie ces incidents « d’inacceptables ».

L’Union africaine monte au créneau
Pour sa part, l’Union africaine (UA), à travers le chef de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a réclamé également une enquête « immédiate ». Dans une communication sur son compte
Twitter, il écrit : « Le traitement violent et dégradant de migrants africains cherchant à traverser une frontière internationale entre le Maroc et l’Espagne. J’appelle à une enquête immédiate sur cette affaire et
rappelle à tous les pays leurs obligations, aux termes de la loi internationale, à traiter tous les migrants avec dignité et à faire porter leur priorité sur leur sécurité et leurs droits humains, tout en réfrénant
tout usage excessif de la force », a-t-il ajouté. Un autre diplomate africain est monté au créneau. Il s’agit de l’ambassadeur du Kenya à l’ONU qui a réclamé et obtenu une réunion à huis clos du Conseil de
sécurité sur ce sujet.
Ces positions s’ajoutent à celle exprimée par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le Haut-commissariat des Nations Unies aux réfugiés (HCR) qui ont réagi conjointement pour exprimer « leurs plus vives inquiétudes » et rappeler la nécessité « en toutes circonstances de prioriser la sécurité des migrants et des réfugiés ».
En somme, le Maroc perd des points sur le front diplomatique. En matière d’immigration, le Maroc occupait pourtant une position confortable de « Champion du dossier de la migration » à l’UA, avec une responsabilité d’être le leader de la mise en œuvre et suivi de l’Agenda africain sur les migrations. Le tempo politique et diplomatique a rapidement changé à la suite des événements de ces derniers jours. Anticipant cette situation, la diplomatie marocaine a tenté une opération de damage control, dès le 27 juin dernier.
Une réunion d’information critiquée
Le Maroc a organisé une rencontre de communication pour expliquer aux diplomates africains à Rabat les circonstances du drame de Nador-Melilla. Le siège du ministère des Affaires étrangères a accueilli une réunion entre de hauts fonctionnaires des ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères avec des ambassadeurs africains.
A la sortie de la rencontre, tenue au siège du ministère des Affaires étrangères, certains diplomates se sont exprimés auprès de la presse pour expliquer leur position de ces événements de Melilla. Ils se sont montrés conciliants vis-à-vis du Maroc. Dans ce sens, le doyen du corps diplomatique et ambassadeur du Cameroun au Maroc, Mouhamadou Youssifou, a indiqué que le groupe africain « apprécie grandement le geste du Roi Mohammed VI pour l’encadrement des migrants au Maroc », tout en rappelant « l’initiative de régularisation, initiée en 2013 grâce au Roi, en faveur de migrants en situation irrégulière dans le Royaume ». Les diplomates africains se tiennent ainsi, comme par le passé, aux côtés des autorités marocaines pour juguler cette crise. En off, un acteur associatif de la communauté migrante critique cette action et « exige des explications et l’ouverture d’une enquête sur la situation actuelle, comme le demande l’UA ». Un autre activiste de la société civile et migrant, installé au Maroc depuis des années, ne mâche pas ses mots pour critiquer la position des ambassadeurs : « Le Maroc les a amenés pour qu’ils prennent position en faveur du pays. Mais ces personnes n’ont aucune légitimité », dénonce ce militant subsaharien. Ce dernier réitère la position de plus de 100 ONG marocaines, africaines et européennes : « Nous exigeons que les autorités marocaines procèdent à l’identification et à la restitution des dépouilles des victimes à leurs familles, en collaboration avec les communautés des migrants », revendique-t-il. Et de conclure : « Nous exigeons aussi l’ouverture immédiate d’une enquête judiciaire indépendante du côté marocain comme espagnol, ainsi qu’au niveau international pour faire toute la lumière sur ce drame humain ».
Face à la pression qui monte, le Premier ministre socialiste espagnol, Pedro Sánchez, promet « une collaboration totale » de son gouvernement avec les enquêtes judiciaires annoncées par le bureau du procureur général d’Espagne. Affaire à suivre.