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Drame de Nador-Melilla : J’ACCUSE !

Ce texte est un hommage aux jeunes Africains morts le 24 juin aux portes de Melilla. Ces morts déjà torturés et invisibilisés durant leur périple migratoire continuent à subir la violence symbolique après leur mort. Par cet acte d’accusation, je veux rendre un dernier hommage à mes frères Africains, compagnons d’humanité. Une réponse à la violence aux frontières par la violence des mots.

Il y a un mois, de jeunes Africains ont péri dans une tuerie aux frontières de la forteresse européenne. Le bilan est lourd. Qu’ils soient 23 ou 37 réfugiés et migrants morts, chaque vie compte. Ce drame est insoutenable. Pire que le drame lui-même, il y a la honteuse opération de diabolisation dont ont fait l’objet les victimes.

Les principaux responsables sont devenus victimes. Ils se félicitent de leur « parfaite collaboration » et « de leur professionnalisme », des deux côtés de la frontière. Les victimes sont au banc des accusés, arrêtés, jugés et condamnés de manière expéditive.

C’était une seconde mort pour mes frères Africains, ces exilés, en majorité soudanais, fuyant un régime militaire putschiste.  

Dans ce drame, les accusés, les vrais, sont libres continuant à déverser leur haine contre les victimes via leurs institutions et leurs médias.

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Dans ce drame, les réfugiés sont accusés d’être des trafiquants, des acteurs de réseaux de traite des êtres humains.

J’ACCUSE les vrais trafiquants d’êtres humains, les vrais réseaux : ces Etats qui font des migrants une monnaie d’échange pour leurs marchandages

J’ACCUSE le régime migratoire pensé et installé par l’Europe

J’ACCUSE ce régime s’apparente à un nouveau système colonial et sévit du Niger à Abidjan, de Nador à Tripoli, d’Athènes à Ankara et qui consiste à sous-traiter la protection de ses frontières auprès de pays tiers.

J’ACCUSE le financement européen de ce régime migratoire, outil de domination des Etats du Sud qui obtempèrent servilement

J’ACCUSE l’État espagnol, l’ancien colonisateur qui traite le Maroc avec dédain et lui demande de faire le sale boulot, « tuez vos frères africains », exigent les héritiers de Franco camouflés en social-libéraux  

J’ACCUSE l’État marocain qui a choisi de faire du chantage à la migration un outil d’une diplomatie cynique, qui ose envoyer des enfants marocains à l’assaut de Sebta pour faire pression, utilisant des moyens moralement injustifiables pour gagner une cause nationale.

J’ACCUSE les État marocain comme espagnol d’utiliser une violence inouïe comme système de gestion des frontières depuis 2005, causant des drames à répétition. En 2005, 5 morts. En 2014, 15 morts. En 2022, plusieurs dizaines de morts.

Ecrits sur un squat de réfugiés à Casablanca.

J’ACCUSE la Commission européenne pour qui les migrants sont des anonymes qu’il faut arrêter, renvoyer et criminaliser. Ce sont que « data » qui conditionnent les financements. Un financement plus que jamais rouge sang !

J’ACCUSE les organisations internationales du système des Nations unis (OIM et HCR en tête) pour leur complicité dans certains cas et leur silence dans beaucoup de d’autres cas face à ces crimes. Leurs choix stratégiques précautionneux ont des conséquences dramatiques sur la vie des migrants et réfugiés au Maroc et dans le monde.

J’ACCUSE les nombreuses ONG biberonnées à l’argent sale de la Commission européenne, agissant au Maroc, autour de l’Afrique et en Europe. Des ONG qui assurent la mission d’externalisation des frontières européennes, sous couvert humanitaire et de prestations de services.

J’ACCUSE ces ONG marocaines ou basées au Maroc, qui se sont vite alignées sur les positions des « sécuritaires » pour expliquer les raisons de la tuerie du 24 juin. Les trafiquants que je connais dans le domaine de la migration, c’est vous. Vous faites des migrants l’objet d’un trafic pour obtenir de l’argent et de petites rentes. Que vous soyez blancs ou noirs, vous êtes les voix de vos maîtres. Autant que les bourreaux, vous avez du sang sur les mains !

J’ACCUSE le Conseil national des droits humains (CNDH) d’avoir livré une version timorée des faits, trop proche de la vision de l’Etat dont il se dit indépendant, selon les Principes de Paris. Une version loin la recherche de la vérité et proche des attentes que souhaitent lire les cercles du pouvoir au Maroc.

J’ACCUSE plusieurs médias d’avoir fait le jeu, une nouvelle fois, du pouvoir en s’alignant et en relayant une seule version des faits sur ce drame. Les faits sont complexes et ne peuvent être réduits à du copier/coller des PV de police.

J’ACCUSE les réseaux de trafic, ces réseaux criminels qui existent et qui sévissent en toute impunité, au vu et au su de tout le monde. Les victimes souffrent…les vrais réseaux se frottent les mains. Pourtant, l’AMDH Nador (qui est la seule à faire un réel travail de terrain indépendant et courageux) avait publié en 2017-18 un ensemble de documents sur l’existence de ces réseaux sans que les autorités compétentes n’ouvrent une enquête, malgré qu’elles aient été interpellées officiellement.   

Cette accusation est le fruit d’une rage et d’une colère raisonnées.

Ce texte s’oppose au cynisme ambiant.

Ce texte est celui d’un journaliste, d’un militant et surtout d’un citoyen marocain et africain ayant suivi et vu de près le fonctionnement du régime migratoire mis en place par l’Europe avec la complicité des régimes africains. C’est une dénonciation des politiques de surveillance des frontières qui aboutissent à de multiples drames.

A lire aussi : Nador-Melilla : Un rapport prudent du CNDH

C’est une accusation de l’hypocrisie devenue modus operandi chez des acteurs de la société civile au Maroc, de certains chercheurs et de plusieurs médias.

C’est surtout mon hommage aux jeunes Africains morts le 24 juin. Paix à votre âme.

Vérité et justice pour les victimes, les vraies. Un nom et une tombe digne pour ces nouveaux morts aux frontières. 

Salaheddine Lemaizi est rédacteur en chef de ENASS.ma

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