De la Grèce à la Turquie, le cauchemar de Zakaria
Zakaria Belmoudden est un Marocain de 27 ans refoulé illégalement depuis la Grèce vers la Turquie. Le sort de cet étudiant est symptomatique d’un système infernal mis en place par les politiques migratoires européennes pour éloigner les migrants du Vieux Continent. Enquête.
Par Yousra Larbi-Alami
Zakaria arrive en Grèce en août 2020. Il est étudiant en Allemagne et décide de faire une pause dans ses études. Il voyage en Espagne, en Italie, puis en Grèce. Son visa est fraîchement expiré mais cela ne l’inquiète pas plus que cela ; les voyages au sein de l’UE n’étant pas soumis à des contrôles stricts. Étant donné que la Grèce est un pays d’accueil et de départ des migrants au niveau de l’Union européenne (UE), les vérifications y sont plus resserrées. Le cauchemar de Zakaria commence sur les terres helléniques. Le journal grec Le Manifold avait été le premier à relever cette affaire.
Le cauchemar de Zakaria commence sur les terres helléniques.
Bloqué en Grèce
« C’est sur le retour de la Grèce vers l’Allemagne que je me suis rendu compte que c’était compliqué » nous raconte-t-il. Zakaria retourne chez des amis à Thessalonique car on ne le laisse pas partir de la Grèce vers l’Allemagne en avion. Tout en tentant, comme le révèle le Manifold, de joindre les services d’asile grecs maintes fois, en vain, il séjourne en Grèce pendant huit mois.
Ensuite, il est arrêté le 12 avril 2021 à Thessalonique. La police lui laisse une note lui accordant un délai d’un mois pour quitter la Grèce. Zakaria nous confie à propos de cela : « Je ne m’étais pas rendu compte qu’en Grèce la chose était si dangereuse ». Une semaine plus tard, le 19 avril 2021 alors qu’il faisait ses courses, Zakaria est de nouveau interpellé par la police qui se montre cette fois-ci moins conciliante. La police l’emmène dans un centre de détention de Lefkos Pirgos où il ne peut contacter personne par téléphone, puis à l’hôpital de Guennimata dans le but de faire un test PCR. Selon Zakaria, la police se montre sèche avec lui. Il est informé par les autorités sécuritaires grecques qu’il est probable qu’il soit emmené dans un « camp », sans plus de précisions. « C’était le début de mes ennuis », relate-t-il.
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Par la suite, Zakaria est emmené dans un autre centre de détention un peu plus éloigné dans lequel il passe une première soirée puis la nuit. Ce poste se trouve, selon Zakaria, près de la frontière turque. Il a été installé avec 9 autres personnes majoritairement « des Syriens et des Afghans », précise-t-il.
Zakaria est emmené dans un autre centre de détention en Grèce.
Selon Panayotis Dimitras, membre de l’Observatoire hellénique des accords de Helsinki, « l’arrestation de Zakaria est une violation à la fois du droit international et du droit grec, dans la mesure où il avait des documents à ce moment-là qui lui auraient permis de rester en Grèce pour quelques semaines supplémentaires puis la quitter, tel que la note qui lui avait été donnée le spécifie ».
Refoulement et violences vers la Turquie
Le 21 avril au matin, les policiers les appellent un par un. « La mauvaise ambiance a commencé à ce moment-là » lâche Zakaria. Les détenus sont alors surnommés « Ali Baba » par la police. Un surnom aux connotations racistes « qu’ils donnent aux gens du Maghreb », nous précise le jeune homme. Les migrants sont alors emmenés dans une fourgonnette qui fait le tour de Thessalonique, pour prendre d’autres migrants. Par la suite, ils prennent la route pendant plus de 2 heures vers Cavala où les migrants-détenus sont insultés et brutalisés. « Au total, on était 80 dans le camion », se remémore le jeune homme de ces pénibles moments. La police les aurait alors rapprochés des frontières où ils aperçoivent un véhicule sans insigne. « J’ai commencé à me poser plusieurs questions », confia-t-il. Des policiers cagoulés communiquent avec des chuchotements et les assomment de coups.
Parmi les migrants, un qui prétend être palestinien dans l’espoir d’être relaxé mais un Syrien, recruté par la police, le démasque et le dénonce. Ces propos concordent avec un rapport de Human Rights Watch (HRW) qui dénonce l’instrumentalisation des migrants dans les processus de refoulements illégaux. Selon Augustine Zenakos, journaliste pour Le Manifold, ces refoulés à la frontière seraient « les mieux lotis dans ce malheur sans fin car les malchanceux seraient ceux qui proviennent d’îles comme Lesbos ».
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Retour à l’estafette à la frontière Gréco-turque, avec Zakaria à bord. Après avoir été dépouillés et battus on les laisse dans la forêt près du Lac Evros à la frontière turque. « On n’avait rien sur nous, pas d’argent, rien », continue Zakaria. Il arrive en Turquie, avec aucun contact et aucun centime dans sa poche. « La plupart des migrants qui sont refoulés en Turquie connaissent le pays car ils y ont séjourné quelques semaines si ce n’est pas quelques mois avant de le quitter », compare-t-il. « Ce n’est pas le cas pour moi », nuance-t-il. Il s’est toutefois fait des amis rapidement, travaille et paye un loyer mais souffre d’une peur chronique d’être découvert.
« Aujourd’hui, il fait beau mais je ne sors pas parce que j’ai peur de me faire contrôler ».
Zakaria
« Aujourd’hui, il fait beau mais je ne sors pas parce que j’ai peur de me faire contrôler », nous dit-il, dépité dans son nouveau pays de résidence. Un pays où il n’a pas fait le choix de vivre, mais que des politiques migratoires aveuglées par les contrôles s’appliquent à refouler les indésirables, sans visa ; au mépris des textes internationaux et européens.
À suivre.
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