À Nador, 49 « victimes » contre les réfugiés soudanais
Le 7 septembre 2022, le procès des 15 réfugiés soudanais accusés d’avoir séquestré des agents des forces auxiliaires reprend. Les victimes présumées se présentent à leur procès pour la première fois. Les faits marquants.
Cour d’appel de Nador, la salle n°3 est bondée. A l’ordre du jour de la Chambre criminelle, 106 affaires sont programmées. Mais un seul dossier retient l’attention. Il s’agit du procès des 15 réfugiés soudanais arrêtés le 21 juin dernier, à la veille des incidents de Nador. Ce groupe est le seul parmi les 75 réfugiés arrêtés et poursuivis dans le cadre de l’assaut du 24 juin à ne pas être encore jugé. Deux mois et demi après ces graves incidents, la spirale judiciaire reprend avec une mobilisation de présumés victimes, tous membres des forces de l’ordre, forces auxiliaires ou la sûreté nationale ou la gendarmerie royale.
Le 18 juin, une date fatidique
Il est 11h40, le juge-président de l’audience ouvre le dossier n°335/2022. Les Soudanais sont jugés à distance. Le groupe de Mohamed Ali Nour est appelé à la barre. A l’écran, on voit défiler 15 jeunes réfugiés installés dans la salle équipée à cet effet à la prison de la ville de Selouane. Les prévenus poursuivis en détention provisoire sont jugés à distance. Les avocats de la défense sont également présents. Pour Me Lekbir Lemseguem, membre de la défense des réfugiés soudanais « ce procès est important parce que les cas et les poursuites ont été individualisés au niveau de l’enquête préliminaire». Depuis le début de ce procès, il manquait à l’appel les « victimes » présumés.
Selon les PV, 49 membres des forces de l’ordre ont déposé des certificats médicaux et ils auraient subi des violences lors d’affrontements avec les réfugiés à la forêt de Gourougou la veille des événements du 24 juin. Des vidéos diffusées par les autorités marocaines ont montré des séquences d’affrontements entre les deux parties. Le Conseil national des droits de l’homme (CNDH), dans son rapport sur les événements, à partir des déclarations du gouverneur de Nador: « Les migrants ont commis un acte sans précédent, à savoir la séquestration le 18 juin de cinq membres des forces de l’ordre ainsi que le vol de leur matériel (casques), après une période de négociation avec les migrants, ils seront libérés », peut-on lire dans le rapport du CNDH. Un document qui ne présente qu’une seule version des faits sur ces incidents du 18 au 23 juin.
L’AMDH Nador apporte des précisions sur cette période décisive. « Au début du mois de juin et après le rassemblement de près de 1500 migrants sur les hauteurs des campements Lakhmis akdim et Bekoya. Pendant 18 jours, les attaques étaient presque quotidiennes pour essayer de déloger les migrants », rappelle l’AMDH Nador. Et l’association d’ajouter : « Il s’agit de la seule période où les demandeurs d’asile ont eu recours à des violences par l’usage de pierre contre les forces publiques en réponse à des attaques presque quotidiennes des autorités, destructions de leurs abris et nourritures et leur encerclement devenu de plus en plus sévère ». L’AMDH regrette que les blessés parmi les migrants n’aient jamais été admis à l’hôpital. Les victimes parmi les forces de l’ordre ont été prises en charge par les services médicaux à Nador.
Indécision sur le statut de la partie civile
Depuis le début de ce procès, ces « victimes » ne se sont jamais présentées à leur procès. Pour cette audience, ces hommes en uniforme font une entrée remarquée. Le juge-président appelle par leurs noms, « les victimes ». Seront-elles présentes, finalement, à leur procès ?
Un premier jeune rentre à la salle d’audience. Ensuite une dizaine de jeunes hommes accèdent à la salle avec des pas indécis. Ils sont une quarantaine de membres de forces de l’ordre à remplir la salle. Le président de la Cour commence à faire l’appel des noms et enregistre les quelques absents. Ensuite, il s’adresse à ces jeunes : « Vous êtes des victimes dans le cadre de ce dossier ». Les concernés acquiescent, sans broncher. Le juge-président enchaîne par une question : « Souhaiteriez-vous vous constituer partie civile dans le cadre de ce procès ? ». Les jeunes agents d’autorité ne savent pas quoi répondre. Après un moment d’hésitation, deux jeunes répondent : « Oui, Monsieur le président ». Le juge les informe qu’il faudrait s’acquitter des 500 DH de frais pour le tribunal d’ici la prochaine audience pour être inscrits partie civile. Le représentant du Parquet intervient : « Il faudrait que les agents d’autorité consultent leur hiérarchie avant de prendre une telle décision ». Le juge confirme la précision du Parquet.
Pour Me Lekbir Lemseguem, membre de la défense des réfugiés soudanais, il reconnaît aux victimes présumés « le droit de se constituer partie civile et exiger des dommages et intérêts », mais l’avocat objecte sur la pertinence et la faisabilité d’une telle démarche : « Je me demande comment des réfugiés en grande vulnérabilité peuvent payer la partie civile, en cas de jugements en leur faveur ? Ça s’annonce compliqué», reconnaît cet avocat du barreau de Rabat. Pour sa part, Omar Naji de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), il considère ces procès comme « une phase de la criminalisation des migrants qui s’inscrivent dans les politiques migratoires marocaines et européennes contre les migrants ». Le procès est reporté au 21 septembre. Le procès s’annonce fleuve.
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