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À Athènes des migrants luttent contre l’évacuation de leur camp

Par Yousra Larbi-Alami

“Eleonas, no close !” scandent les habitants du camp d’Eleonas à Athènes lors d’une manifestation en face du ministère de l’asile à Athènes. Ayant ouvert en 2015, ce camp avait été conçu pour accueillir des réfugiés le temps qu’ils finalisent leurs procédures d’asile. Aujourd’hui la municipalité voudrait le transformer en stade, tandis que le destin de ses habitants chancelle. 

« Eleonas , no close »

C’est sous un soleil de plomb que ce 28 juin 2022,  les habitants d’Eleonas se sont rassemblés devant le camp demandant son maintien. Ils doivent être une cinquantaine. Les réfugiés se sont rassemblés en trois groupes distincts avec un porte-parole par langues parlées.Trois groupes se forment: Le premier parle français regroupant des migrants venant d’Afrique de l’Ouest puis un second parlant arabe arrivant de pays comme la Syrie, la Palestine, l’Algérie ou encore le Maroc enfin un groupe parlant persan venant majoritairement d’Afghanistan. Hommes, femmes, enfants, bébés sont regroupés demandant le maintien de ce camp.

« Quel futur auront nos enfants dans ce pays ? ».

Par Niclette

Des militants et du personnel associatif se mêlent à la foule essayant tant bien que mal de dissiper l’inquiétude latente. Niclette une réfugiée résistant à la fermeture du camp prend le  micro et s’adresse au reste de l’auditoire “ Ils veulent fermer le camp, et nous envoyer loin d’Athènes “, elle ajoute: “ là-bas nos enfants ne pourront pas aller à l’école et on ne pourra pas avoir accès aux services sociaux et aux soins de santé. Quel futur auront nos enfants dans ce pays ?”.C’est ensuite au tour d’un riverain du camp de s’exprimer. « Je ne veux pas que ces gens soient délogés d’ici, ils ne nous causent pas de problème et c’est leur droit de rester ici» déclare-t-il . Des paroles accueillies sous une liesse d’applaudissements. Du camp, les migrants se dirigent vers le ministère de la Migration et de l’asile qui est à quelques stations de métro plus loin. Ils viennent y porter une lettre avec leur demande. Dans une lettre Ils revendiquent «l’interruption de toute volonté de fermeture du camp d’Eleonas et tout déplacement forcé des habitants du camp. Ils exigent aussi  le maintien des activités menées par les organisations et des travailleurs sociaux au camp».

«Un projet de logement pour accueillir les migrants dans la région d’Eleonas dans de vraies maisons profiterait à la fois aux migrants et à la zone commerciale» .

Par Kostas Vourekas

Des revendications que la municipalité a balayées d’un revers de main en décidant l’évacuation du camp le 16 août 2022. «À la place du camp, un nouveau complexe sportif sera construit, composé d’un nouveau terrain de football et de nouveaux commerces dont un grand centre commercial», nous apprend Kostas Vourekas, ingénieur et architecte. Pour Kostas «un projet de logement pour accueillir les migrants dans la région d’Eleonas dans de vraies maisons profiterait à la fois aux migrants et à la zone commerciale». 

Un espace sous “perfusion”

 Le camp est un espace où les migrants sont assurément dégradés, exploités et abandonnés illustrant le paradigme xénophobe et raciste des politiques européennes. Néanmoins le camp d’Eleonas de par sa proximité à la ville  permet à des personnes d’avoir un espace à soi et de garder un semblant de lien social avec le monde extérieur. Michel Agier, dans son essai «Au bord du monde, les réfugiés» décrit les camps comme des espaces sous “perfusions”. Des lieux où l’existence sociale et politique des individus y habitant est mise entre parenthèses sous le sceau de l’état d’exception. « Le camp des réfugiés est édifié en son principe, comme un authentique désert» énonce-t-il. Le désert étant «l’antinomie de l’échange social et politique qui relie tous les humains » analyse l’anthropologue. Le camp serait donc en scission avec la ville lieu social par excellence où s’entrechoquent les individualités. Le camp d’Eleonas à Athènes déroge presque à cette règle dans la mesure où il se situe au cœur de la ville. Il devient de ce fait un espace plus étanche à la sociabilité. Les personnes vivant à Eleonas peuvent se rendre en centre-ville en journée. Certains cuisinent et vendent leurs petits plats au marché d’Omonia. Tandis que d’autres travaillent comme maçon ou font de la traduction dans des ONG.Une peur d’être attrapé leur colle à la peau car souvent ils n’ont pas leur papier.

« Si vous êtes malade on vous demande un AMKA (assurance maladie grecque) . Nous on fait comment ? Nous sommes des réfugiés».

Par Blaise

Chérif un réfugié congolais nous confie: « J’aimerais avoir des papiers à cause de la liberté comme par là. Les enfants ont besoin des professeurs qui viennent ici et des travailleurs sociaux, de même que le centre-ville est proche en bus». Kostas Vourekas observe que le camp situé proche de la ville «donne aux migrants des opportunités de travail, des écoles pour les enfants et une vie sociale, ce qui n’est pas présent pour les autres migrants d’autres camps à l’extérieur de la ville». Avec la fermeture des camps, les réfugiés n’auraient plus accès***** aux travailleurs sociaux qui travaillent dans le camp et le staff médical******. Un militant observe que « le problème c’est surtout les hôpitaux”. Blaise, réfugié congolais, ajoute“: «Si vous êtes malade on vous demande un AMKA (assurance maladie grecque) . Nous on fait comment ? Nous sommes des réfugiés». 

« La vie sans société»

Manifestation des réfugiés habitant au camp d’Eleonas à Athènes. Crédit photo : le collectif solidarity with migrant.

Avant de venir à Eleonas, la plupart des migrants sont passés par les camps situés dans les îles à l’instar de celui de Moria. Loin de la ville doublée par des conditions de vie misérable ces camps sont de véritables déserts où l’existence sociale des individus n’est plus. Cherif, un réfugié congolais, raconte avoir «passé 21 mois à Lesbos» il ajoute: « Nous avons enduré la souffrance. Nous vivions comme des animaux. Nous avons connu pire». Blaise, qui est passé par le camp de Moria, raconte que là-bas « on ne vous donne rien, même à manger on vous donne rien, même pour les malades».

« Nous avons enduré la souffrance. Nous vivions comme des animaux. Nous avons connu pire.»

Par Blaise 

La menace de revenir aux camps situés au niveau des îles est plus que jamais présente aujourd’hui alors que le camp risque d’être évacué. En plus des mauvaises conditions de vie, le modèle des camps fermés en Grèce devient la nouvelle norme. En effet, l’Union européenne aurait déboursé plus de 276 millions d’euros pour la construction de ces nouveaux camps fermés vantés comme des modèles en termes d’aménagement migratoire. Ceux-ci seraient équipés de barrières barbelées, de caméras de surveillances, portes magnétiques. Amnesty international dénonce le remplacement des « camps ouverts avec des camps contrôlés et fermés» et s’interroge sur l’adéquation des camps fermés avec le respect des droits fondamentaux. Augustine Zenakos, journaliste, déclare à propos de ces camps qu’aucune ONG ne peut aller à l’intérieur. «On ne sait pas ce qu’il s’y passe». A contrario, avec les camps ouverts «Human right watch peut documenter ce qui se passe à l’intérieur».

Les camps fermés sont l’aboutissement de ce qu’Agier nomme «la vie sans société». Une vie coupée de tout lien social. D’après les dernières nouvelles que nous avons reçues, certains migrants ont été relogés dans des maisons par des associations. Blaise a été logé récemment dans une chambre dans le centre-ville avec cinq autres personnes. D’autres seront renvoyés dans des camps loin de la ville à l’instar de celui de Ritsona, Schisto ou encore dans les camps situés au niveau des îles. En les mettant «Hors des lieux , hors du temps», comme le décrit Agier, les politiques européennes opèrent des marginalisations sociales et politiques contraire à tout principe de la dignité humaine. Toutefois à ce jour,  la lutte continue dans le camp que les résidents refusent de quitter. 

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