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Santé mentale des migrants : Le nerf de la guerre 

C’est une souffrance invisible, aux effets réels. La souffrance psychique des migrants se trouvant en zones frontalières. Des traumas dus à leurs histoires dans leurs pays, leurs parcours souvent douloureux et difficiles, et aggravés par les conditions de vie une fois au Maroc. Sur le divan, des personnes en migration se confient…

Migrants soudanais survivants du drame du 24 juin à Nador. Crédit photo: ENASS

Alors qu’ils pensaient être à l’abri une fois arrivés à destination, les exilés restent souvent hantés par les violences subies dans leur pays ou durant leur voyage. Ancré dans leur psyché, ces souvenirs habitent leur quotidien. Ce sont ceux qu’on ignore souvent. ENASS a rencontré des réfugiés survivants du 24 juin 2022 qui nous ont confié, une partie de leurs souffrances mentales tout au long de leur périple migratoire. 

L’invisible syndrome

C’est toujours une souffrance pour ce jeune homme. Lorsqu’il survient, Mawya paraît comme plongé dans une autre réalité. Le présent et le passé se confondent, et tout ressurgit : les dures conditions de vie au pays, les dures journées de travail au Tchad, l’odeur de la prison clandestine en Libye, les cris des migrants prisonniers torturés par ces rebelles, et les images des gens morts le 24 juin à la frontière Nador-Melilla. 

Assis sur le coin d’un lit partagé avec trois autres migrants, il aperçoit ses détenteurs s’approcher de lui, pour le torturer. Il essaye de s’échapper, il crie de toutes ses forces, mais en vain, personne ne l’entend. C’est là qu’il se réveille, le corps en sueur. Il n’est plus dans cette petite cellule de prison qui contient plus de 300 migrants, mais au marché de légumes au quartier populaire Qamra à Rabat où on l’a rencontré. Aujourd’hui, cet endroit est devenu son seul refuge depuis son déplacement forcé après les événements du 24 juin. 

Derrière ces cauchemars se cache un état de stress post-traumatique. Un état provoqué par une confrontation brutale et intense à la mort, à des blessures graves ou une agression sexuelle, un événement en tout cas si violent qu’il devient impossible à expliquer et à temporaliser. L’espace-temps explose. L’événement revient sans cesse, hante le quotidien, prend le pas sur tout le reste et trouble les sens.

Mawya, le destin d’un survivant  

Mawya est un jeune Soudanais de 34 ans. Il quitte Darfour à la recherche de conditions de vie meilleures. Son but était de rejoindre « l’Eldorado » européen. « La situation était tellement compliquée, de difficiles conditions de vie, ma vie était en danger, pour mener une vie normale, je n’avais pas de choix, j’ai dû partir», raconte-t-il. Il débarque au Tchad et passe quelques mois, ensuite part vers la Libye, là où son cauchemar commence. Mawya est resté près de 40 jours, précisément deux mois, dans l’enfer des migrants.

Les réfugiés survivent dans plusieurs squats dans les villes de Rabat, Casablanca et Béni Mellal dans des conditions déplorables.

« Tu préfères mourir que de rester une seule seconde dans cette prison libyenne ».

Mawya

En Libye, Mawya a été kidnappé et séquestré dans une de ces prisons clandestines d’escalvage où l’on torture les exilés et on demande des rançons à leurs familles afin de les libérer. « Ils ont menacé de me tuer si je ne versais pas la rançon réclamée. Je n’avais pas de famille, personne ne pouvait leur envoyer l’argent qu’ils voulaient, j’ai été alors torturé chaque jour », raconte-t-il.

Ce jeune poursuit son récit traumatisant : « Nous étions nombreux dans une petite cellule, des migrants de plusieurs nationalités, des gens torturés, des gens qui souffrent de maladies et pourtant torturés chaque jour, on nous donnait un seul repas par jour ».

Pour Khalid Dahmani, psychologue clinicien, « le cas des Soudnanais est très délicat puisque leur trajectoire migratoire est déjà difficile, ce passage en Libye où la situation est affreuse puisque là-bas ils sont emprisonnés, torturés et subissent toute sorte de violence, et c’est le plus traumatisant ».

Le cauchemar de Mawya n’est pas prêt de se terminer. Une fois libéré, il  rejoint le Maroc début 2021: « Une fois au Maroc je me suis dirigé directement vers Berkane, ensuite Beni Ansar, je me suis installé au port, j’ai trouvé beaucoup de Soudanais. Étant là, je sentais que mon but ultime s’approchait, je ne savais pas que ça allait être encore plus dur », confia-t-il.

À la frontière, la guerre psychologique  

Migrants soudanais survivants du drame du 24 juin à Nador. Crédit photo: ENASS

Près du port de Beni Ansar à Nador, Mawya dit avoir subi « des violences atroces », durant les différentes tentatives, précédent le 24 juin. Mais c’est à Barrio Chino qu’il vivra « le pire moment de son parcours migratoire ». Ce 24 juin, « je n’oublierai jamais ces scènes », se rappelle-t-il, la voix tremblante. 

« Depuis, j’ai des maux de tête en permanence, tout me paraît sombre. Si seulement je suis resté au Soudan je préfère mourir là-bas que d’être dans cette situation », ajoute-t-il.

L’état mental instable de ce demandeur d’asile était très visible, pourtant il n’est pas pris en charge parce que dans ces cas de crises, pour la personne en migration, le plus important c’est de trouver un abri, de répondre à ses besoins vitaux et faire sa demande d’asile. « Dans les cas de crises migratoires, la priorité est de donner les secours de base. Au Maroc nous n’avons pas toujours des acteurs qui peuvent fournir aussi des secours en santé psychologique dès le premier contact et même le migrant n’est pas orienté en ce sens », nous explique Khalid Dahmani.

La peur au ventre 

Migrants soudanais survivants du drame du 24 juin à Nador. Crédit photo: ENASS

Autour de nous, d’autres demandeurs d’asile Soudanais tout comme Mawya, venus à Rabat après avoir été refoulés lors des événements du 24 juin vers des villes du centre du Maroc. Dans ce groupe se cachent des histoires qui se résument bien souvent en une succession de drames. 

Abderrahmane, jeune Soudanais de 28 ans. Il nous ouvre son livre de souvenirs traumatisants au poste frontalier de Barrio Chino 

Parmi elles, celle de Abderrahmane, jeune Soudanais de 28 ans. Il nous ouvre son livre de souvenirs traumatisants au poste frontalier de Barrio Chino entre Nador et l’enclave occupée de Melilla. Cette zone avait enregistré le plus dramatique événement de l’année 2022, la tragédie qui a coûté la vie à 27 demandeurs d’asile et des dizaines de disparus, des blessés et des centaines de refoulés. 

Abderrahmane nous raconte avoir vu son meilleur ami gravement blessé mourir devant ses yeux. « Il a été blessé à la suite de coups qu’il a reçus de la part des forces de l’ordre ce vendredi noir », affirme-t-il. A l’hôpital de Rabat, « personne ne voulait nous parler, on a passé des heures à attendre alors qu’il était dans un état critique, je l’ai vu mourir devant mes yeux, je n’ai pas pu le sauver », nous raconte-t-il, avant d’ajouter « nous sommes venus pour trouver une vie, mais ça ce n’est pas une vie c’est une guerre, plutôt un enfer ». 

« Je l’ai vu mourir devant mes yeux, je n’ai pas pu le sauver ».

Abderrahmane

« Les déplacements forcés vers les villes loin des zones frontalières impacte gravement cette population vulnérable, une fois qu’ils sont à Casablanca par exemple ils sont détruits mentalement et en situation d’énorme détresse, puisqu’ils se trouvent dans une autre ville et doivent chercher à nouveau un travail qui va leur permettre de pouvoir vivre et commencer tout à nouveau», explique le psychologue Khalid avant d’ajouter :« Les événements de Nador étaient très durs, et  les avaient détruits mentalement plus que physiquement ».

Un traumatisme très lourd enduré cinq mois après les incidents. Abderrahmane nous a raconté ces nuits sans sommeil à errer aux alentours du quartier Qamra à Rabat. Ses journées se prolongent à se cacher des autorités locales qui mènent des campagnes de refoulement depuis la capitale vers d’autres villes. La peur au ventre, il panse ses blessures à la main fracturée depuis le 24 juin.

Décalages et énormes besoins 

Un suivi psycho-social s’avère pourtant nécessaire pour ces survivants. Mais il n’est assuré que par de rares organisations. Dans le cadre de cette enquête, nous avons pu constater un décalage entre les rares services offerts dans ce domaine et le peu d’informations disponibles pour les personnes en migration. ENASS a tenté de contacter plusieurs survivants avec des services de soutien psychologique sans succès. 

« Savoir qu’on n’est pas seul est le début d’une prise en charge psychologique ». 

Khalid Dahmani, psychologue. 

Pour Khalid Dahmani, le problème consiste dans l’accès à l’information, « il y a des associations et des ONGs qui assurent ces soins mais les migrants ne savent rien de l’existence de ces services », regrette ce professionnel de santé. Face à cette situation, ce dernier avec ses équipes se déplacent sur le terrain à travers ce qu’on appelle les maraudes, et les relais communautaires pour faire passer l’information. Et d’ajouter :« Il nous faut des programmes bien encadrés et spécialisés. Également, il faut aller vers ces personnes et ne pas attendre qu’ils viennent chercher de l’aide. Savoir qu’on n’est pas seul est la moitié du chemin vers la guérison psychologique ».

L’initiative Mypsy

Compte tenu de l’importance d’assurer une assistance psychologique à ces migrants et réfugiés, le psychologue clinicien Dahmani dit qu’un réseau appelé Mypsy a été créé. Il se compose de plusieurs psychologues de tout le Maroc travaillant sur la question migratoire. Ce réseau tient des réunions mensuelles où la question de la santé mentale des migrants est omniprésente.

« Le réseau est créé afin de réunir tout le travail des associations sur les migrations mais aussi pour assurer le lien entre les psychologues et ces migrants puisqu’ils sont une population mobile et qui changent de place toujours, d’où la nécessité de se situer dans toutes les villes où ils sont assez présents afin d’assurer ce suivi où ils sont», conclut-il.

Selon les données de l’Organisation mondiale des migrations (OIM Maroc), 300 migrant.e.s, souffrant de troubles mentaux préexistants, ont bénéficié de soins de santé mentale et psychosociaux spécialisés au cours des maraudes, dans le cadre d’un projet établi.

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