Transition juste en Afrique du Nord
ENASS publie en partenariat avec le Transnational Institute un document d’analyse du concept de transition juste, et ses implications sur le terrain des luttes écologiques. Cette troisième partie est consacrée à des exemples concrets d’expériences sur le terrain. Les intertitres sont de la rédaction. PARTIE III
Le désert du Sahara en Afrique du Nord est généralement décrit comme une immense terre vide. On le considère également et néanmoins comme un eldorado des énergies renouvelables qui offre à l’Europe l’énergie nécessaire à la poursuite d’un mode de vie et de consommation consumériste et extravagant. Ces récits trompeurs négligent les questions de propriété et de souveraineté et masquent les relations de domination mondiales actuelles qui facilitent le pillage des ressources, la privatisation des biens communs, la dépossession des communautés et les modes de gouvernance générateurs qui contrarient la transition énergétique.
Plusieurs exemples de la région nord-africaine montrent comment le colonialisme énergétique se reproduit même dans les transitions vers les énergies renouvelables, sous la forme d’un colonialisme vert ou d’un accaparement vert.
La centrale solaire de Ouarzazate, dans le sud du Maroc, lancée en 2016, n’a apporté aucun semblant de justice aux communautés agro-pastorales amazighes dont les terres ont été utilisées, sans consentement, pour une installation de trois mille hectares. De plus, le projet est un partenariat public-privé (PPP) financé par plus de neuf milliards de dollars d’emprunts auprès de la Banque mondiale et de la Banque
européenne d’investissement, entre autres. Cette dette est couverte par des garanties du gouvernement marocain, ce qui signifie potentiellement une augmentation de la dette publique pour un pays déjà surchargé. Depuis son lancement en 2016, le projet enregistre un déficit annuel d’environ quatre-vingt millions d’euros, couvert par les deniers publics. Enfin, le projet utilise l’énergie thermique à concentration
(CSP), qui nécessite de grandes quantités d’eau pour refroidir le système et nettoyer les panneaux. Dans une région semi-aride comme Ouarzazate, détourner l’eau de l’alimentation et de l’agriculture représente une injustice absolue.
Au même moment, en Tunisie, les autorités poussent à la privatisation du secteur des énergies renouvelables et offrent d’énormes incitations aux investisseurs étrangers pour qu’ils produisent de l’énergie verte dans le pays, y compris pour l’exportation. La loi sur les énergies renouvelables autorise même l’utilisation de terres agricoles pour des projets d’énergie renouvelable dans un pays qui souffre d’une dépendance alimentaire aiguë. À qui sert réellement une telle transition énergétique ?
Dans toute la région, des acteurs étrangers poussent et soutiennent divers projets destinés à l’exportation, dans le but d’approvisionner l’Europe en énergie à faible coût. Ces projets donnent priorité à la sécurité énergétique de l’Union européenne tout en créant de nouvelles zones de sacrifice. L’engouement récent pour l’hydrogène vert constitue une nouvelle frontière franchie de ce type.
Une transition juste pour l’Afrique du Nord serait radicalement différente de cela. Elle serait axée sur les besoins des communautés locales, la fin des relations de dépendance avec l’Europe et d’autres puissances impérialistes, ainsi que sur la transformation fondamentale des politiques de la région qui doivent tendre vers un contrôle réellement démocratique des systèmes énergétiques (et des autres systèmes).
Source : De la crise à la transformation : Qu’est-ce que la transition juste ? Co-publié par Le Transnational Institute et Grassroots Global Justice, Septembre 2022