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Le Maroc face à ses contradictions migratoires

L’équipe nationale de football du Maroc affronte ce soir l’équipe de France pour une demi-finale de Coupe du monde historique.

Aujourd’hui, au Qatar, les Lions de l’Atlas représentent le continent africain et le monde arabe. Mais hier, en Espagne, se jouait un autre match opposant les équipes africaines et les grandes puissances européennes, à l’occasion de la 6e Conférence ministérielle du Dialogue euro-africain sur la migration et le développement, connu sous le nom de « Processus de Rabat ». Son enjeu : la gestion sécuritaire des migrations sur le pourtour méditerranéen.

Dans ce match diplomatique, le Maroc a la lourde tâche de porter la voix de l’Afrique face aux Etats européens qui font de la réduction des arrivées des migrants sur le continent une priorité politique et même idéologique. Cette situation délicate du Royaume explique l’ambivalence de ses positions en matière d’immigration et de gestion des frontières. Le Maroc se targue d’être le champion africain en matière d’immigration au sein de l’Union africaine (UA) mais au même moment, il assure le rôle de gendarme des frontières européennes au niveau de la Méditerranée occidentale. L’Espagne qui partage avec le Maroc plusieurs points frontaliers soutient cette sécurisation des frontières par son voisin du Sud.

Le Maroc a la lourde tâche de porter la voix de l’Afrique face aux Etats européens qui font de la réduction des arrivées des migrants sur le continent une priorité politique et même idéologique.

L’Union européenne (UE) finance cette externalisation des frontières, contribuant à repousser les limites de l’espace Schengen jusqu’au Maroc à coups de programmes destinés officiellement à « lutter contre les réseaux de traite et de trafic d’êtres humains ». Au-delà des éléments de langage des responsables européens et marocains, cette lutte contre l’immigration et la mobilité humaine a produit plusieurs drames.

Une politique africaine paradoxale

Le dernier en date s’est produit à la barrière de Nador-Melilla, le 24 juin, avec un bilan humain très lourd. Entre 23 et 37 personnes en migration ont perdu la vie dans des conditions inhumaines, selon les estimations officielles et celles des ONG marocaines et espagnoles. 77 personnes sont toujours portées disparues depuis, selon l’Association marocaine des droits de l’homme. Parallèlement, 400 refoulements immédiats ont été opérés par les autorités espagnoles en violation du droit d’asile espagnol et du droit européen.

C’est dans ce contexte peu reluisant pour l’image du Maroc sur le continent qu’intervient l’exploit sportif des Lions. Cette épopée footballistique suffira-t-elle à restaurer l’image du Royaume sur le reste du continent ? De quelle manière le Maroc peut-il s’extirper de ce piège européen qui le réduit au statut « de gendarme des frontières européennes », avec ce que cela implique comme violation des droits humains à l’encontre des autres « frères » africains ?

La politique africaine du Maroc est paradoxale : à l’extérieur, elle est volontaire pour regagner la confiance des autres pays du continent ; à l’intérieur, elle patauge dans une politique migratoire dominée par une gestion sécuritaire en reprenant à son compte les obsessions européennes des frontières.

« Toute l’Afrique est fière et comblée par la prouesse historique des Lions de l’Atlas », s’est félicité Moussa Faki Mahamat, le président de la Commission de l’Union africaine, le jour de la qualification du Maroc en quarts de finale de la Coupe du Monde. L’heure est à la célébration du Maroc, porte-drapeau du continent. Après le drame de Nador-Melilla, le même diplomate africain exprimait sa « profonde émotion et inquiétude face au traitement violent et dégradant de migrants africains cherchant à traverser une frontière internationale entre le Maroc et l’Espagne ».

La politique africaine du Maroc est paradoxale : à l’extérieur, elle est volontaire pour regagner la confiance des autres pays du continent ; à l’intérieur, elle patauge dans une politique migratoire dominée par une gestion sécuritaire en reprenant à son compte les obsessions européennes des frontières. La diplomatie africaine du Maroc s’est illustrée, ses dernières années, durant des sommets internationaux, pour défendre les intérêts de l’Afrique. On se souvient aussi du discours du roi Mohammed VI lors du sommet France-Afrique à Abidjan en 2017 : « Le XXIe siècle sera celui des grands brassages. Ce constat de bon sens nous interdit de donner toute tournure idéologique, passionnelle, voire xénophobe aux discours sur la migration », tonnait-il alors.

Cette diplomatie migratoire est séduisante sur le papier mais concrètement, l’agenda sur les migrations est toujours dans les tiroirs, faute d’un réel engagement des pays africains. Certes, la politique migratoire nationale du Maroc lancée en 2014 a eu le mérite de susciter des espoirs et montrer que d’autres chemins dans la gestion des migrations étaient possibles depuis le Sud, loin des injonctions des pays du Nord. La Stratégie nationale d’immigration et d’asile (SNIA), adoptée en 2014, a permis une brève accalmie des politiques répressives. Mais l’application réelle de cette stratégie, qui se voulait « humaniste et respectueuse des droits humains », n’a duré que trois ans (2014-2017). Depuis 2018, les politiques répressives à l’encontre des personnes migrantes ont repris.

Pour un pays du Sud comme le Maroc, la mise en œuvre d’une politique migratoire souveraine, détachée des enjeux diplomatiques, est un chemin sinueux. C’est uniquement dans ce cadre des relations Maroc-UE que nous pouvons faire le bilan de la politique migratoire marocaine. C’est le sens de ce match sur le terrain des migrations.

« Les journalistes européens n’apprécient pas qu’on joue un peu comme les équipes européennes. C’est fini ça, on a envie de gagner ».

Walid Regragui, coach de l’équipe nationale

Enfin, l’exploit marocain rappelle le rôle des diasporas au sein du continent africain. Comme plusieurs pays africains, le Maroc est aussi pays d’émigration. L’équipe nationale est composée de treize joueurs binationaux nés et formés hors du Maroc. Cette composition montre l’apport de l’émigration dans la société, l’économie et le sport du pays. Une nation de la diversité en construction. Une image qui fait enrager l’extrême droite européenne. L’équipe nationale renvoie aussi une idée d’une Afrique sans complexe comme le résume le coach de l’équipe Walid Regragui, né en banlieue parisienne : « Les journalistes européens n’apprécient pas qu’on joue un peu comme les équipes européennes. C’est fini ça, on a envie de gagner ».

Cet article est republié à partir de Le monde . Lire l’article original.

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