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Douiret-Sbaa : le village des bonnes pratiques

Le village dont les 240 habitants sont fiers de citer la date exacte de fondation, le 2 février 1565, a mis en place une des solutions les plus durables, saines et rationnelles, de gestion de l’eau. Enclavé dans l’Oriental marocain, à 34 km de la petite localité de Beni Tadjite et à 220 km de la ville de Bouaarfa, Douiret-Sbaa a su s’inscrire dans le développement durable grâce à sa société civile. À la tête de l’association Douiret-Sbaa pour le développement local, Abdelkrim Boughout mobilise depuis de nombreuses années la population locale pour préserver les ressources en eau du village : la source Aïn Sbaa ainsi qu’une khattara située à la périphérie du village.

Douiret Sbaa

Un procédé traditionnel mais efficace

« C’est notre plus grande priorité afin de faire face au stress hydrique qui est une conséquence du réchauffement climatique. Nous avons réussi à faire perdurer un procédé traditionnel d’irrigation, que ce soit pour le bassin où se déverse l’eau de la source ou la khettara. C’est ainsi qu’on a pu préserver l’oasis du village qui est encore verte, alors que l’ensemble des chutes annuelles de pluie ne dépasse pas les 200 mm, la quasi-totalité des saisons », lance, non sans fierté, Abdelkrim Baghout. Les militants de l’association ont même réussi à élaborer un guide pour mettre en valeur ce système de partage de l’eau, afin que d’autres villages souffrant aussi de la rareté de l’eau puissent s’en inspirer. Il s’agit aussi de montrer que les solutions locales sont les plus à même de répondre aux problématiques des régions.

« Aïn Sbaa est une source inépuisable, depuis l’installation des premières populations dans la région en 1565. Mais son débit qui s’affaiblit notoirement pendant les périodes de sècheresse a poussé les habitants à inventer un système d’irrigation ingénieux avec une règlementation rigoureuse. »

Abdelkrim Baghout

« Aïn Sbaa est une source inépuisable, depuis l’installation des premières populations dans la région en 1565. Mais son débit qui s’affaiblit notoirement pendant les périodes de sècheresse a poussé les habitants à inventer un système d’irrigation ingénieux avec une règlementation rigoureuse. Cela a permis de garantir un ravitaillement continu en eau, à la fois pour la consommation de la population, pour l’élevage et pour l’irrigation de l’oasis, depuis des siècles », ajoute Abdelkrim Baghout. Ce système « repose sur le fait que l’irrigation se fait uniquement le jour, et que, pendant, la nuit l’opération de stockage de l’eau dans un réservoir aménagé à cet effet s’accomplit. Des opérations arithmétiques très précises garantissent la justice pour tout le monde quant à la répartition des parts d’eau pour chaque famille sans qu’il y ait de différend ou de litige ». Ce qui préserve l’eau pour les générations futures.

Ce sont les sages du village qui ont la lourde responsabilité de gérer les exploitations hydriques et définissent au quotidien la part de chaque famille. « Ces sages, ce sont des hommes et des femmes bien au fait des calculs à faire pour définir la quotepart des ayants droits. Le chef du Comité se lève tôt le matin pour procéder aux divisions. Il utilise pour cela un tronc d’arbre droit et bien taillé, des clous, un caillou en guise de marteau et un fil permettant la prise des mesures délimitant la part de chacun. Chaque part est déterminée selon le nombre de pouces ou de centimètres, mesuré sur le tronc en question qui sert de support gradué à l’aide de clous. Ce sont des calculs compliqués qui ne sont maîtrisés que par les sages et quelques jeunes femmes du village », explique Abdelkrim Boughout. La répartition dépend toutefois des indicateurs du niveau d’eau du réservoir. « Ainsi, chaque matin, on immerge le tronc d’arbre dans le réservoir pour s’assurer que le niveau de l’eau n’a pas changé par rapport à la journée précédente et, en cas de variation, il convient de changer immédiatement l’indicateur du niveau d’eau, ce qui engendre automatiquement le changement de tous les autres indicateurs de la répartition, des indicateurs sous formes de clous fixés sur le tronc utilisé », nous a-t-on expliqué.

Sensibiliser pour durer

Pour diminuer la pression sur le réservoir, les habitants du village ont d’abord procédé au forage d’un puits, fonctionnant à l’énergie solaire, pour acheminer l’eau dans les maisons. Des abreuvoirs attenants aux bassins ont été aménagés pour permettre au bétail de se désaltérer, avec, là encore, un système bien rôdé de distribution de temps entre les différentes familles, qui varie selon les saisons. Et comme le bassin lui-même n’est rempli qu’à moitié, une opération de forage a été effectuée afin d’alimenter l’eau du bassin qui sert aujourd’hui exclusivement à l’agriculture.

Par ailleurs, les habitants du village de Douiret Sbaâ effectuent chaque année des rénovations au niveau de la source et du réservoir et curent la seguia. Surtout qu’en 2019, le village a dû faire face à la pollution du bassin de la source Aïn Sbaa, qui a entraîné la mort des poissons « sacrés » de la source, les barbeaux d’eau douce. « Nous organisons également des campagnes de sensibilisation auprès des enfants et des jeunes sur l’importance de préserver cette zone humide. Nous ciblons les enfants des villages avoisinants afin qu’ils prennent conscience de l’importance de prendre soin cet écosystème. Ils visitent la source et comprennent l’importance de ce système ancestral de gestion rationnel et équitable de l’eau », conclut Abdelkrim Baghout.

Ce reportage a été réalisé dans le cadre de MediaLab Environnement, un programme conçu par CFI financé par le Ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères. MediaLab Environnement s’inscrit dans la stratégie internationale pour la langue française et le plurilinguisme.

Journaliste depuis 1996, Hicham Houdaïfa a travaillé notamment au Journal hebdomadaire. Il s’intéresse essentiellement aux sujets sociétaux : liberté de culte, droits des femmes, situation des migrants subsahariens… Cofondateur d’EN TOUTES LETTRES, il dirige la collection Enquêtes. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages parus chez EN TOUTES LETTRES : Dos de femme, dos de mulet, les oubliées du Maroc profond (2015), Extrémisme religieux, plongée dans les milieux radicaux du Maroc (2017, prix spécial du jury du prix Grand Atlas 2017) et Enfance au Maroc, une précarité aux multiples visages (2020). Il a contribué aux ouvrages collectifs Migrations au Maroc : l’impasse ? (2019) et Maroc : justice climatique, urgences sociales (2021).

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