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Immigration, la fabrique des sans-papiers au Maroc

La Stratégie nationale d’immigration et d’asile fête cette année ses dix ans. Bilan sans concession d’une politique publique prometteuse. Enquête en quatre parties. PARTIE 2.  

Les opérations exceptionnelles de régularisation de 2014 et 2017 devaient être un prélude pour une politique migratoire plus accueillante du Maroc. L’octroi de titres de séjour pour environ 45 000 personnes en migration, pour une durée de trois ans, devait être une phase de transition, le temps que le pays se dote d’un nouveau cadre juridique sur les migrations. Or, dans les faits, le dispositif régulier d’octroi des titres de séjour a rapidement pris le dessus.

Resserrement tous azimuts

Les bureaux des étrangers, mis en place au niveau des sièges régionaux de l’Administration territoriale (les wilayas), ont été fermés à partir de 2017. La Commission de recours, domiciliée et présidée par le CNDH, a tenu sa dernière réunion en mars 2018. Les chiffres officiels de la deuxième opération de régularisation ne sont pas toujours publiés. Le régime classique d’octroi des titres de séjour, administré par la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), est désormais l’unique voie d’obtention d’un titre de séjour. Ce système comporte des critères de régularisation jugés « exorbitants » pour les personnes en migration (ODTI, 2021).

Les personnes régularisées en 2014 et 2017 se trouvent privées de titre séjour. Les migrants arrivés par la suite, même de manière régulière, trouvent de grandes difficultés à régulariser leurs situations administratives.

Aujourd’hui, l’ensemble des organisations de personnes en migration conteste le système actuel d’obtention de titre de séjour (PPM & CMSM, 2022). Les difficultés de renouvellement des titres de séjour s’étendent à différentes catégories de personnes en migrations, travailleurs et étudiants. Ce resserrement des conditions d’accès aux titres de séjour contribue à fabriquer des personnes sans-papiers. Les personnes régularisées en 2014 et 2017 se trouvent privées de titre séjour. Les migrants arrivés par la suite, même de manière régulière, trouvent de grandes difficultés à régulariser leurs situations administratives. Ces restrictions sont dans la lignée des politiques migratoires adressées aux personnes en migration un peu partout dans le monde, et notamment en France (Pierre Bonnevalle, 2022). Les personnes en migration font face à une bureaucratie dont l’objectif demeure, celui de restreindre l’accès à leurs droits.

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Les conséquences de cette situation se répercutent directement sur le vécu des migrants. Cette population risque les rafles des autorités, le non-accès aux soins de santé au niveau des hôpitaux, l’impossibilité des travailleurs migrants d’accéder au marché de l’emploi dans des conditions formelles, etc. 

Les réfugiés au Maroc sont confrontés à la même situation. L’étude de leurs dossiers de régularisation est tributaire de la situation du Bureau des réfugiés et des apatrides (BRA) du ministère des Affaires étrangères marocain. Cette entité publique a repris ses activités dans le cadre de la SNIA. Au moment du lancement de la SNIA, 755 réfugiés ont pu accéder à un titre de séjour en 2014 délivré par le BRA et le Bureau des étrangers à Rabat, sous le regard des caméras. Mais depuis cette annonce, l’activité du BRA est marquée par son intermittence. Ce bureau connaît des ouvertures et des fermetures, sans explication officielle de cette situation. Le BRA avait repris ses activités en 2018 après deux ans de suspension de réception des dossiers de régularisation des réfugiés déjà reconnus par le HCR Maroc.

Les observations du CNDH ont permis de constater que la situation de plusieurs réfugiés demeure en suspens, faute d’une régularisation. C’est le cas de réfugiés syriens.

En raison de la pandémie du Covid-19, le BRA a cessé une nouvelle fois de recevoir les demandes des réfugiés pour plus d’une année. Ce constat est confirmé par les observations émises par le CNDH dans son rapport annuel de 2021 : « Les observations du CNDH ont permis de constater que la situation de plusieurs réfugiés demeure en suspens, faute d’une régularisation. C’est le cas de réfugiés syriens.[…] Le rythme des séances du BRA est insuffisant pour pallier les retards enregistrés depuis 2018. Cette situation laisse beaucoup de réfugiés sans papiers ». A cela s’ajoutent les difficultés que rencontrent les demandeurs d’asile qui doivent se déplacer jusqu’à Rabat pour déposer leur dossier (PNPM, 2017). Cette situation d’instabilité du statut et de l’activité du BRA indique la fragilité de la politique migratoire dans son volet de prise en charge des personnes réfugiées.

Les migrants, comme les réfugiés et les demandeurs d’asile, voient leur accès à des documents de séjour se transformer en chemin de croix, en raison des choix politiques ou administratifs dominés par les hésitations et l’absence d’une réelle volonté de créer une migration de résidence et de travail. L’absence de titres de séjour valides entraîne des conséquences pratiques sur l’accès aux droits pour les personnes en migration au Maroc. 

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