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Santé et éducation, un accès irrégulier pour les migrants

La Stratégie nationale d’immigration et d’asile fête cette année ses dix ans. Bilan sans concession d’une politique publique prometteuse. Enquête en quatre parties. PARTIE 3. 

Parmi les engagements pris dans le cadre de la Stratégie nationale d’immigration et d’asile, la garantie d’accès aux droits sociaux de base pour les personnes en migration. Et en priorité, l’accès aux droits à l’éducation, à la santé, à la formation et au marché de l’emploi. C’est sur ces chantiers que la stratégie publique marocaine a connu les avancées les plus significatives. Malgré la persistance d’hésitations publiques et quelques difficultés pratiques, les autorités marocaines dans les domaines cités entament leur mue pour prendre en compte l’arrivée et l’installation des personnes en migration sur le territoire.  

Stagnation et reculs

Ils étaient plus de 6000 enfants inscrits dans les niveaux primaire et secondaire durant l’année 2016-17.

Mais à partir de 2018, l’accès à ces droits a connu une certaine stagnation, en raison des reculs de la SNIA et de l’absence d’un plaidoyer associatif régulier pour accompagner sa mise en œuvre.  L’essoufflement de cette dynamique a été amplifié par les effets de la pandémie du Covid-19.

L’accès des enfants de nationalité étrangère au système d’éducation nationale s’est fait un an avant l’adoption de la SNIA. Cette décision a été possible grâce à la circulaire du 9 octobre 2013 du ministère de l’Education nationale (MEN). Les écoles publiques où résident les populations migrantes, essentiellement d’Afrique de l’Ouest et Centrale, acceptent les enfants de migrants, leur donnent accès aux programmes de soutien social (Tayssir et Un Million de cartables), dans le respect des engagements internationaux du Maroc (Cf : Convention de droit de l’enfant). Bien que garanti, cet accès bute sur certaines contraintes administratives. Pour cette raison, le rôle des associations s’est avéré essentiel pour accompagner l’accès à l’éducation des enfants de migrants.

L’effectif des enfants étrangers scolarisés dans le secteur public connaît une baisse significative. Ils étaient plus de 6000 enfants inscrits dans les niveaux primaire et secondaire durant l’année 2016-17. Ce chiffre a baissé de la moitié trois ans plus tard, ils sont à peine 3200 enfants inscrits dans les écoles publiques    durant l’année scolaire 2019-20. Les enfants migrants bénéficient aussi des programmes de l’éducation non formelle, essentiels pour la mise à niveau scolaire. Le nombre d’enfants bénéficiaires demeure limité, il était de 300 enfants durant l’année scolaire 2017-2018. 

Bien que ce soit un droit garanti, l’accès à ce droit demeure tributaire, à plusieurs reprises, des interventions des associations. Cet accès au système scolaire connaît aussi de grandes différences entre les grands centres urbains (Rabat, Casablanca, Marrakech) et les zones frontalières, où les enfants se voient privés d’un droit essentiel. L’accès au système éducatif pour les personnes étrangères est le travail qui reste à faire en matière de lutte contre les discriminations, d’intégration et de diversité religieuse. 

Sur le terrain, c’est une tout autre réalité. Les migrants continuent de souffrir du non-accès à l’ensemble des soins délivrés par les structures de soins de 2ème et 3ème niveau

A l’instar de l’accès à l’éducation, l’accès au système de santé des migrants est garanti pour la population migrante, mais sur le terrain cet accès connaît de nombreux obstacles.

En termes de planification et de documents de référence, le ministère de la Santé fait partie des départements ministériels les mieux outillés mais uniquement au niveau central. Ainsi le ministère s’est doté dès 2013 d’un plan d’action pour la santé des migrants 2013 et de circulaires autorisant la prise en charge gratuite des migrants au niveau des centres de santé de base. Le département compte même aujourd’hui le Plan stratégique national de santé et immigration, 2021-2025, élaboré en partenariat avec l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). 

Sur le terrain, c’est une tout autre réalité. Les migrants continuent de souffrir du non-accès à l’ensemble des soins délivrés par les structures de soins de 2ème et 3ème niveau, c’est-à-dire les hôpitaux provinciaux et les CHU qui comptent l’essentiel de l’offre de soins au Maroc. Une recherche académique récente avait conclu à « un accès inégal aux divers services de santé, notamment aux deux niveaux supérieurs ; des barrières institutionnelles et administratives auxquelles se heurtent les personnes migrantes, particulièrement en raison de leur statut migratoire ; des barrières socioculturelles relevant aussi bien du personnel de la santé que des personnes migrantes ; des barrières économiques auxquelles font face les migrant.e.s en raison des faibles revenus ou moyens dont ils/elles disposent » (ECONOMIA, OXFAM et Handicap International, 2021) .

Encore une fois, ce sont les associations qui jouent le rôle d’intermédiaire avec les structures de soins publics, ou prennent même en charge dans certains cas les frais d’hospitalisation. Les difficultés d’accès aux soins sont partagées par les Marocains issus des classes populaires.

La SNIA prévoyait un accès aux soins pour les personnes migrantes, et ce en leur permettant de bénéficier du panier de soins prévu par le Régime d’assistance médicale des économiquement démunis (RAMED). Une convention avait même été signée le 26 octobre 2015, entre les ministères de la Santé, des Affaires de la migration, des Finances et de l’Intérieur ainsi que le CNDH pour permettre aux personnes migrantes en situation administrative régulière d’accéder au système du RAMED. Mais cette mesure essentielle a été finalement abandonnée, sans aucune explication officielle. En résumé, l’accès aux services de soins se complique pour les personnes en migrations surtout avec le non-renouvellement des titres de séjour de cette population.

Pas de papiers, pas de travail digne 

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C’est certainement un des chantiers de la SNIA, les plus difficiles à faire avancer, en raison de la multiplicité des intervenants. En 2014, L’Exécutif a tenté d’ouvrir certains dispositifs de soutien aux demandeurs d’emploi aux personnes étrangers, comme ceux menés par l’Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences (ANAPEC). Aujourd’hui, onze agences délivrent des prestations pour les personnes migrantes en situation administrative régulière. La même année, le gouvernement assouplit l’accès au marché du travail en faveur des étrangers régularisés exceptionnellement. Cet abandon de la préférence nationale a concerné une liste de métiers définie par le ministère de l’Emploi (restauration, coiffure, etc.). Les personnes étrangères ont aussi la possibilité de se constituer en coopératives ou bénéficier du statut d’auto-entrepreneur. Les personnes migrantes bénéficient aussi de formations de l’Entraide nationale. Certaines formations sont également accessibles pour les personnes en situation administrative irrégulière. 

Sans un titre de séjour valide, les personnes qui ont bénéficié des programmes de formation qualifiantes ou ceux qui souhaitent intégrer le marché de l’emploi formel font face à un grand obstacle.

Les efforts dans le domaine de l’emploi sont louables, mais souffrent de la faiblesse du nombre de bénéficiaires, une centaine par an (Bilan SNIA, 2017-2020) et surtout de l’épineuse question de l’absence de titres de séjour des personnes migrantes. Sans un titre de séjour valide, les personnes qui ont bénéficié des programmes de formation qualifiantes ou ceux qui souhaitent intégrer le marché de l’emploi formel font face à un grand obstacle. Cette situation accentue l’exploitation les travailleurs migrants sans papiers dans les secteurs de la restauration, du commerce en détail, de l’agriculture et du travail domestique.

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