La Samir : Un combat pour la souveraineté énergétique
En août 2015, la raffinerie marocaine La Samir cessait son activité à la suite de défaillances financières. Depuis huit ans, une guerre est menée par des lobbies pétroliers, connectés politiquement, pour bloquer toute reprise de l’entreprise. ENASS retrace les étapes d’un combat ouvrier visant à assurer la souveraineté énergétique du pays. Enquête-reportage.
« On ne baissera pas les bras. Ce dossier ne nous concerne pas en tant que salariés uniquement, c’est un dossier de tous les Marocains »
El Houcine Yamani, CDT La Samir.
El Houcine Yamani et Najib Errami, deux salariés et syndicalistes à La Samir, nous donnent rendez-vous à l’entrée principale de la raffinerie de Mohammedia. Comme deux gardiens du temple, ils nous indiquent les différentes parties de La Samir. Avec nostalgie, ils reviennent sur les années où La Samir était un fleuron de l’économie nationale, première entreprise en termes de chiffres d’affaires jusqu’à 2014. Pour ces deux salariés de l’ex-La Samir, membres de la Confédération démocratique du travail (CDT), « une reprise de l’industrie du raffinage, tout dépendra de la position de l’Etat Sept ans après l’arrêt de l’entreprise, les syndicalistes continuent à être déterminés : « On ne baissera pas les bras. Ce dossier ne nous concerne pas en tant que salariés uniquement, c’est un dossier de tous les Marocains »
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La Samir, un projet national
Les deux leaders syndicaux regrettent que Leila Benali, ministre de la transition énergétique n’ait pas souhaité visiter la raffinerie, lors sa tournée sur les différents sites énergétiques de la ville, le 4 janvier dernier à la suite de l’incendie qui s’est produit à STOGAZ, filiale d’Afriquia à 50%. « La ministre a exclu le site industriel de La Samir de son itinéraire. Pourtant, nous lui avons adressé à trois reprises des lettres pour qu’elle vienne à la raffinerie et se fasse une idée par elle-même, au lieu de porter des jugements à l’emporte-pièce », regrette El Yamani, du Syndicat des salariés des industries du pétrole et du gaz, affilié à la Confédération démocratique du travail (CDT).
Sur les lieux de notre visite, un premier constat : nous sommes face à un géant industriel de la pétrochimie avec plusieurs spécialisations et différents sites répartis sur différentes parties de Mohammedia. « La Samir était un projet national avec pour vision de créer un écosystème, comme l’avait voulu le gouvernement d’Abdellah Ibrahim. Il y avait une synergie entre ses composantes : la raffinerie, la centrale de production de l’électricité et le stockage », rappelle le chef de file des syndicalistes de La Samir.
Risque systémique et complicité
L’arrêt de l’activité de raffinage de l’entreprise La Samir en 2015 et le début de sa liquidation judiciaire en 2016 sont deux événements qui ont produit une crise systémique pour l’économie nationale, pour la souveraineté énergétique du pays et qui ont eu un effet direct sur le pouvoir d’achat des ménages. Au fil des ans, de multiples scandales se sont produits, conséquences de cet arrêt. Parmi les nombreux scandales, citons le scandale économique et politique d’Etat du non-recouvrement d’environ 30 milliards de DH sous forme de Taxe intérieure de consommation (TIC) par la Douane sur décision de deux ministres des Finances (Baraka et Mezouar).
« La Samir ne peut pas être qu’une simple affaire de liquidation judiciaire mais bien un dossier avec des fortes implications politiques ».
El Houcine Yamani, CDT La Samir.
L’autre scandale est financier. Il est lié aux prêts accordés par des banques de la place (ATW et la BCP) à l’ancien actionnaire, le groupe saoudien Corral, dont la solvabilité était pourtant douteuse et qui faisait l’objet de multiples profit warning. Ces prêts représentaient un risque systémique pour le système financier marocain. Ce niveau de compromissions (plusieurs ministres et hauts responsables) et de complexité (43 milliards de DH à recouvrir) fait que le dossier « La Samir ne peut pas être qu’une simple affaire de liquidation judiciaire mais bien un dossier avec des fortes implications politiques », insiste El Yamani, et même géopolitiques (règlements de différents au niveau du tribunal de la Banque mondiale, le CIRDI). Depuis l’arrêt de La Samir, la série de pertes sèches pour l’économie nationale et le citoyen continuent, la dernière en date étant celle de la crise l’importation du fuel.
Scandale au goût du fuel
« Pour donner un exemple concret de ses effets, je prends le cas de l’approvisionnement du fuel. La Samir produisait la plus grande partie des besoins nationaux en fuel, soit environ 1500 tonnes par an. La Samir se débarrassait littéralement de ce produit car il encombrait les unités de production et de stockage. Or aujourd’hui, le gouvernement a subventionné l’ONEE à hauteur de 5 milliards de DH en 2022 pour faire face à la hausse des prix des produits pétroliers à la suite de la guerre en Ukraine, alors que ce produit pouvait être obtenu quasi gratuitement si on avait encore disposé de la raffinerie, c’est ce qu’on appelle un scandale énergétique », estime El Yamani de la CDT.
Nous ne sommes pas au bout du scandale. Dans le secteur de l’énergie, les conflits d’intérêts et le mélange entre business et politique sont légion. Après l’arrêt de la Samir en 2015, c’est une des filiales de l’Akwa Group, détenu par Aziz Akhannouch, principal acteur du secteur, qui obtient le marché de l’importation et du transport du fuel pour le compte de l’ONEE. Marché juteux et stratégique.
Après quelques temps, l’entreprise chargée de cette mission jette l’éponge en raison de difficultés logistiques à approvisionner le marché. Au scandale énergétique, s’ajoute un scandale environnemental. Pour combler le manque, en matière de fuel, l’ONEE importe ce produit via le port de Mohammedia et de Kénitra. Comme nous l’avons constaté sur les lieux, cette activité de transport de produit dangereux occasionne une congestion au niveau du port et à l’entrée et à la sortie de la ville de Mohammedia. Afin d’acheminer ce fuel vers la station thermique, une longue file d’attente de camions citernes stationnent devant l’entrée du port pétrolier. Pourtant, une solution pratique, moins onéreuse, moins polluante est à la portée.
« A l’époque, il nous suffisait d’ouvrir le pipeline qui reliait la raffinerie à la station thermique de l’ONEE à Mohammedia pour l’alimenter en fuel », rappelle El Yamani. Si trois gouvernements successifs (Benkirane, El Othmani et Akhannouch) se montrent sceptiques pour assurer une reprise de La Samir, les salariés n’ont aucun doute sur les bénéfices économiques et sociaux d’un redémarrage de la raffinerie.
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Gains pour les caisses de l’Etat et pour les citoyens
Pour le Front national pour la sauvegarde de la raffinerie de pétrole (FNSRP), le Maroc a perdu plusieurs avantages en matière de souveraineté énergétique. « Les stocks de sécurité de produits pétroliers ne dépassent pas 25 à 28 jours, avec la reprise de la raffinerie, on peut atteindre les 60 jours prévues par la législation nationale », promet El Yamani qui est membre fondateur du Front. La Cour des comptes ne cesse de rappeler d’ailleurs la situation critique des stocks de sécurité. Durant le début de la pandémie du Covid-19, le gouvernement avait décidé d’utiliser les capacités de stockage de La Samir pour s’approvisionner en hydrocarbures. Mais cette décision, validée pourtant par le syndic judiciaire et l’ONHYM n’a jamais été appliqué. Un blocage qui montre l’ampleur des résistances, face à l’option d’une reprise de l’outil industriel de La SAMIR.
Sans une entreprise de raffinage, les marges des distributeurs ont explosé.
Sans une entreprise de raffinage, les marges des distributeurs ont explosé. Désormais trois entreprises (Afriquia, Total et Shell) dictent leur loi sur le marché, sur les propriétaires des stations de service et les consommateurs. Comme l’ont montré les différents rapports (mission parlementaire, conseil de la concurrence, etc.), sur ce secteur la logique de la concurrence est absente en raison de la concentration des capacités d’importation et de stockage chez les trois principaux acteurs du secteur. « Seule une raffinerie nationale peut permettre d’équilibrer le marché des hydrocarbures. La Samir a la capacité de traiter 9,5 millions de tonnes de pétrole par an, ce qui représente 67% de la consommation nationale de produits pétroliers », détaille El Yamani.
Enfin, le Front tient à rassurer sur les possibilités de reprise de l’unité industrielle. « Nous assurons toujours que la raffinerie est en position de reprendre son activité normale. Les installations sont prêtes pour un redémarrage dans un délai de 6 à 8 mois. Un entretien sera nécessaire, il devrait coûter 220 à 240 millions de dollars pour revenir à une activité normale », explique El Yamani. Et de conclure : « Dès l’arrêt de La Samir, nous avions alerté que la sécurité énergétique marocaine était sous la menace de tout changement de conjoncture sur le marché pétrolier mondial. Aujourd’hui, ce scénario s’est produit. Dans le contexte de la libéralisation précipitée des produits pétroliers et de l’inflation record, les citoyens paient le prix fort d’une absence de volonté de relancer La Samir et de contrôler les prix des hydrocarbures ». Il est utile de rappeler que le Front mène une campagne de plaidoyer depuis 2018 pour la nationalisation de La Samir et le retour progressif d’un contrôle des prix sur ses produits. Des revendications légitiment que le lobby pétrolier continue d’écarter à coup de pressions et de manœuvres. Mais jusqu’à quand ?
Si vous voulez militer pour un état droit, ce dossier est une preuve irréfutable contre ceux qui ont voulu démolir l’économie nationale du royaume de Maroc. Le droit de disposer d’un stock stratégique en produits énergétiques ne peut être assuré que par le redémarrage de l’unique raffinerie du royaume. Ceux qui cherchent à bloquer le retour de l’activité du raffinage au Maroc doivent être jugés pour ce crime contre les intérêts des citoyens marocains.