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Tighassa : L’environnement sacrifié à l’autel de l’exploitation minière  

La région de Tinghir est classée parmi les principales régions minières du pays. Elle occupe la 7e place mondialement dans la production d’argent, et selon les experts, son potentiel reste le plus important de toutes les régions. À Tinghir, les projets miniers qui existent sont souvent installés dans des zones isolées et peu habitées. Partie 2.

Par Naîma Cherii

Cependant, derrière cette activité se cache une réalité moins reluisante. Certains habitants restent convaincus que les activités minières ont asséché leurs cours d’eau et que les tonnes de déchets toxiques rejetés par les mines continuent de les empoisonner à petit feu. En effet, si le niveau de pollution réel reste à étudier, la peur, elle, est une réalité. Dans les villages voisins de ces mines, les habitants relatent l’existence de maladies de la peau, de fausses couches, d’animaux morts, de contamination de leur puits par des rejets liquides, des nuages toxiques émanant des usines des mines… L’équilibre écologique semble donc précaire avec des cours d’eau déviés ou pollués et des écosystèmes dégradés.

« Depuis que le projet a été implanté dans notre village, l’eau a commencé à diminuer peu à peu et la production agricole aussi ».

Houceine Ouali, jeune habitant de Tighassa.

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Si la réalisation d’une étude d’impact sérieuse sur l’environnement devrait faire partie de tout projet minier, la région de Tinghir ne semble pas en avoir fait l’expérience, selon des associatifs et des élus de la région. « Il n’y a aucun respect de l’environnement », déplore un militant syndical de la Confédération démocratique du travail (CDT). « Ces sociétés ne sont soumises à aucune règle. Même les eaux souterraines sont contaminées par des rejets liquides provenant des mines », soutient le même syndicaliste. 

Les populations accusent les sociétés de pomper les ressources de leur village. « Depuis que le projet a été implanté dans notre village, l’eau a commencé à diminuer peu à peu et la production agricole aussi », corrobore Houceine Ouali, jeune habitant de Tighassa, village se trouvant dans la commune rurale d’Ikniouen. Nous l’y rejoignons sur place quelques jours plus tard, pour constater par nous-même la réalité de la région.

Situation invivable à Tighassa !

Mine de Tiouite. Crédit photo : Naîma Cherii

Juste avant d’entrer dans ce village, nous traversons une route non goudronnée (8 km). « La société réalise beaucoup d’argent et n’a même pas réalisé une route. Et c’est ce qu’ils appellent de la responsabilité sociale d’entreprise!», raille notre accompagnateur. Il scrute du regard l’emplacement de la mine d’or de Tiouite, exploitée pendant près de 10 ans par Co-Company, une entreprise à capitaux marocains et canadiens. 

Le village de Tighassa abrite quelque 4000 habitants (150 familles) qui évoquent tous le sentiment d’inégalités, face aux infrastructures manquantes et à la pénurie de l’eau. La main d’œuvre locale est délaissée au détriment des ouvriers originaires de Beni Mellal ou encore de Marrakech, selon les villageois. Quelques jeunes du douar Tighassa travaillant dans cette mine de manière temporaire souffrent des conditions de travail difficiles sans contrat légal ni couverture médicale ou sociale, et craignent d’être licenciés à n’importe quel moment. 

Mine de Tiouite. Crédit photo : Naîma Cherii

Les gens ont arrêté de boire l’eau provenant de leurs puits car la nappe phréatique du village est contaminée »

Houceine Ouali,j eune habitant de Tighassa.

Quant aux femmes, elles parcourent plusieurs kilomètres pour chercher de l’eau à une source se trouvant sur la montagne de Bouchelif, à plus de 2000 m d’altitude. « Les gens ont arrêté de boire l’eau provenant de leurs puits car la nappe phréatique du village est contaminée », affirme Houceine Ouali. Celui-ci nous a accueillis dans sa maison perchée à quelques mètres de la mine d’or de Tiouite, installée dans ce village depuis 2012. 

« La situation des populations sur place n’a pas beaucoup changé depuis l’installation de cette mine au-dessus de la rivière et de nos terres agricoles », explique Houceine Ouali. « Vous voulez savoir ce que les habitants ont gagné de cette mine ? Rien ! Notre agriculture est impactée par les déversements contaminés de l’usine », assure-t-il. En effet, le village a vibré plusieurs fois au rythme d’un scandale écologique avec des rejets liquides d’une digue sur le site d’exploitation de la mine s’étalant parfois sur 600 mètres dans la rivière Tighassa et sur des terrains agricoles avoisinants, comme cela a été le cas en Décembre 2015. 

« Les rejets contenaient du cyanure », précise Houceine. Suite à l’apparition de cas de maladies dans le village, l’Association Banque Alimentaire avait organisé, en partenariat avec l’Association Citoyen Actif, une caravane médicale dans le village sinistré, en avril 2016. Le bilan qui ressort des consultations effectuées par une équipe de 72 médecins au profit de 800 personnes est accablant. Le rapport, dont nous détenons copie, révèle que des problèmes cutanés et d’irritations oculaires ont été, entre autres, constatés chez les villageois. 

Pour les médecins, la présence de cyanure et d’autres produits toxiques dans l’eau en est la cause. Moha Ouali, 65 ans, et père du jeune Houceine à l’endurance et la persévérance des habitants de ce village reculé de Tinghir, ne décolère pas. Il évoque le dernier déversement, en Décembre 2021, de « résidus miniers » depuis la digue à problèmes. « Les rejets s’étaient étalés sur 50 mètres dans la rivière et sur nos terrains agricoles », raconte notre interlocuteur. « Le plus inquiétant, c’est que des brebis et des oiseaux sont morts juste après avoir bu des eaux déversées de l’usine. Aujourd’hui, la situation devient invivable. Elle n’est pas rassurante, comme le laisse croire les responsables de la mine. Et si rien n’est fait, d’autres catastrophes pourraient se produire très prochainement car la digue à problèmes est actuellement pleine de déchets liquides dangereux. C’est vous dire le danger que nous courons ici! » », clame le père de famille. « Les autorités doivent assumer leur responsabilité. Ce que nous voulons, c’est une indemnisation pour tous les préjudices subis à cause des travaux de cette mine ». 

Leur requête reste, toutefois, sans réponse. Ce constat est partagé par Daoued Arjdel, président de l’association Itbirine Boumalen à Tighassa et vice-président de la Commune d’Ikniouen. « Les matières chimiques, dont le cyanure, utilisées par les exploitants pour traiter l’or pénètrent dans la nappe phréatique et affectent aujourd’hui l’agriculture et l’environnement, sans offrir aucune plus-value », avertit Arjdel. «Ikniouen a besoin de plusieurs infrastructures. Des mines importantes encerclent la commune mais ne participent en aucun cas à son développement social et économique », confirme-t-il. 

Sentiment d’incompréhension et d’injustice!

Mine de Tiouite. Crédit photo : Naîma Cherii

Dès les débuts du désastre environnemental, la société civile locale a joué un rôle de lanceuse d’alerte. « Nous n’avons pas cessé de nous mobiliser contre ces activités polluantes. La grande fuite toxique à Tighassa en 2015 était l’occasion pour tirer au clair un certain nombre de questions qui restaient posées au sujet de ces activités », tient à rappeler l’acteur associatif Abderrahmane Benomar. 

Dans une lettre adressée au Chef du gouvernement et aux ministres concernés, une vingtaine d’associations avaient demandé une évaluation des dommages pour estimer les conséquences que l’accident aura sur les nappes phréatiques. Cette mobilisation avait marqué la reprise d’un bras de fer qui a été rude entre les exploitants et le tissu associatif. Ces derniers avec la communauté locale auront finalement réussi à faire pression sur le Ministère de l’Energie, des Mines, de l’Eau et de l’Environnement, lequel, après une enquête, a ordonné d’arrêter les travaux d’exploitation de la mine pour non-respect des cahiers des charges. 

Après les scandales environnementaux engendrés par la mine d’or de Tiouite, la société civile se réjouissait de la décision du Ministère. Ce petit succès arraché leur donnait une lueur d’espoir pour l’arrêt complet des activités minières dans la zone, et ce pour éviter la répétition de tels événements. Néanmoins, et seulement quelques semaines après les pourparlers engagés, les exploitants auront repris leur activité après avoir promis d’apporter des correctifs pour éviter une autre catastrophe écologique. « Une promesse qui n’aura pas été honorée par les exploitants », regrette Benomar. 

Aujourd’hui, une énième mauvaise nouvelle vient déchaîner les critiques : De nouvelles mines verront bientôt le jour dans cette même zone, a-t-on appris. « Ce que ressentent ces populations ? Un sentiment d’incompréhension et d’injustice! Comment expliquer aux populations, qui sont en zones défavorisées, que de nouvelles mines vont être créées alors même que les jeunes des zones où sont déjà installées des mines, sont toujours au chômage et que l’on voit la pauvreté et l’injustice perdurer ? », s’interroge notre accompagnateur. Comme d’autres, ces questions restent, elles aussi, sans réponse.

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