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La double peine des  femmes en situation  de handicap

Discriminations, stigmatisation, exclusion, marginalisation, c’est le quotidien des toutes les femmes en situation de handicap au Maroc. Et pourtant, handicap et genre sont souvent traités séparément, voire pas du tout! Les femmes ayant été longtemps lésées à la fois au sein du mouvement des droits des personnes en situation de handicap et des associations des droits des femmes, de nouvelles initiatives de la société civile marocaine émergent pour mettre en lumière les discriminations intersectionnelles subies par ces femmes. Détails. Partie 1

Par Dounia Zineb Mseffer

Au Maroc, les femmes comme les hommes en situation de handicap font encore l’objet de stigmatisation, de discrimination et d’exclusion sociale. Pourtant, sur le plan institutionnel, la Constitution de 2011 réaffirme les engagements pris au niveau international en inscrivant le principe de non-discrimination des personnes en situation de handicap (PSH) dans son préambule. De plus, la charte fondamentale du Royaume appelle les pouvoirs publics à élaborer des politiques publiques adaptées à même de « réhabiliter et intégrer dans la vie sociale et civile les handicapés physiques sensorimoteurs et mentaux et faciliter leur jouissance des droits et libertés reconnus à tous» (Article 34). Parmi les autres acquis, on note également : la loi-cadre n° 97-13 relative à la protection et à la promotion des droits des personnes en situation de handicap de 2016 ; le fonds d’appui à la cohésion sociale ; le programme national de l’éducation inclusive ; le plan santé et handicap du Ministère de la sante… Mais malgré tout ́ cet arsenal, les personnes en situation de handicap continuent de subir des formes multiples de discriminations durant tout leur parcours de vie en raison de barrières d’ordre juridique, économique, technique, culturelle, et sociale.

« Le handicap n’est pas réellement pris en compte dans l’élaboration des politiques publiques. Ce n’est pas une priorité. Nous sommes toujours dans une approche caritative et médicale et non pas une approche droit »

Idir Ouguindi

« Les personnes en situation de handicap et leurs familles souffrent de marginalisation, de stigmatisation, de discrimination et de non inclusion. Le Maroc a certes réalisé beaucoup d’avancées en termes de textes juridiques, mais il y a un gap important entre ce qui est écrit et ce qui est réalisé sur le terrain. C’est d’ailleurs ce que reprochent les personnes en situation de handicap, les familles et les associations à l’État. Le handicap n’est pas réellement pris en compte dans l’élaboration des politiques publiques. Ce n’est pas une priorité. Nous sommes toujours dans une approche caritative et médicale et non pas une approche droit », scande Idir Ouguindi, acteur de la société civile et expert en droits des personnes en situation de handicap et le développement inclusif. Selon l’enquête nationale sur le handicap réalisée en 2014 par le Ministère de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement social, 2.264.672 personnes ont déclaré avoir des incapacités de divers types et degrés : 50,2% ont un handicap physique, 25,1% un handicap mental et 23,8% des déficiences visuelles. En termes de ménages, 1 ménage sur quatre (24,5 %) compte en son sein au moins une personne en situation de handicap, sur un total de 7.193.542 ménages. L’enquête fait ressortir également que seuls 34.1% des personnes ayant un handicap bénéficient d’un régime de protection sociale tandis que 60,8% n’ont pas accès aux soins généraux offerts par le système de santé. 

Pour ce qui est du niveau d’instruction, 66,1% sont sans niveau d’instruction, ce qui correspond à près de 1.476.000 personnes. Côté chômage, 47,5%, soit près de 290.000 personnes en situation de handicap, sont concernés, ce qui représente un taux quatre fois supérieur à celui du taux de chômage national. Et enfin, 53% des PSH exercent leurs droits politiques (vote), mais seule une personne sur dix, soit 10,6%, déclare connaître tous les droits spécifiques des personnes en situation de handicap garantis par les lois marocaines.

Le handicap en temps de pandémie

La gestion de la crise sanitaire, surtout à ses débuts, a démontré une fois de plus ce décalage illustré par le manque de visibilité du handicap dans les politiques publiques relatives à la gestion de la pandémie. C’est ce qui ressort d’une étude réalisée par l’association la Colombe Blanche en 2020 et menée auprès de 1007 personnes en situation de handicap sur l’ensemble du territoire national avec respectivement 41% de femmes et 59% d’hommes. Selon l’enquête, le taux de couverture spécifique des PSH n’a été que de 12%. Et, à la lumière des résultats obtenus par cette enquête, les changements drastiques causés par la survenue de la crise, additionnée à l’exclusion de la dimension handicap des stratégies de gestion ont participé à la dégradation de la situation des PSH à différents niveaux : l’accès limité aux aides de toute nature et aux informations relatives aux gestes barrières et aux mesures de prévention ; l’absence d’information relative au taux de contamination par la Covid-19 ; l’inaccessibilité des services de bases ; l’absence de la continuité pédagogique par manque de mesures spécifiques; l’apparition d’un taux élevé de déperdition par rapport au taux de PSH bénéficiant des services avant la crise ; le manque de données dû à la non prise en compte de la dimension handicap d’une manière systématique et transversale au niveau des fiches de renseignement, livret d’accueil, rapport d’états…

« L’État a certes fait un effort par la suite, sous pression de la société civile qui a envoyé plusieurs mémorandums aux décideurs afin d’attirer leurs attentions sur la question du handicap. Des aides et des soutiens ont ainsi été octroyés par le ministère de la solidarité, mais ces actions n’ont touché que 13.149 personnes, à savoir 0.58% du nombre des PSH au Maroc. Et cela n’a ciblé que la population en milieu urbain. Les personnes en situation de handicap vivant en zone rurale ont été marginalisées. L’enquête a également révélé que parmi les PSH, celles qui ont le plus souffert à cette période, ce sont les personnes en situation de handicap mental, les mères d’enfants en situation de handicap et les femmes en situation de handicap», souligne Idir Ouguindi. 

Les femmes en situation de handicap face à la discrimination intersectionnelle

Si les personnes en situation de handicap représentent 6,8% de la population marocaine totale, peu de choses sont faites pour favoriser leur inclusion sociale et leur permettre de jouir de manière égale et effective de tous les droits humains et de toutes les libertés fondamentales. Et les femmes en situation de handicap sont les premières à en pâtir. À titre d’exemple, elles sont 66,6%, à n’avoir aucun niveau d’instruction alors que ce taux est de 33,4% pour les hommes en situation de handicap. Sur les 290.000 personnes en situation de handicap concernées par le chômage, 38,1% sont des femmes. Les femmes ont également neuf fois moins de chance de trouver un emploi que les hommes . En plus de partager les difficultés des PSH de sexe masculin, les femmes en situation de handicap se retrouvent, souvent, victimes d’une exclusion plus accrue des différents domaines et espaces de participation citoyenne. En raison de normes sociales qui pèsent sur les femmes de manière générale, en termes d’accès à l’école, à la formation ou au travail, mais aussi en termes d’indépendance, d’autonomie et d’accès à l’espace public, les femmes en situation de handicap cumulent les discriminations, et les perceptions négatives à leur égard sont nombreuses.

Pour la société, la femme en situation de handicap n’a pas le droit de se marier, de fonder une famille, d’être indépendante, autonome…

Karima Lhadad, vice-présidente de l’association la Colombe Blanche. 

« Nous sommes des citoyennes à part entière, mais malheureusement nos voix ne sont pas assez entendues. Pour la société, la femme en situation de handicap n’a pas le droit de se marier, de fonder une famille, d’être indépendante, autonome… Les perceptions négatives à notre égard ont la peau dure. Mais il est temps que ça change. Nous ne demandons pas la charité, mais nos DROITS », fustige Karima Lhadad, vice-présidente de l’association la Colombe Blanche. 

En effet, la distinction entre les sexes et la discrimination fondée sur le genre sont plus flagrantes quand il s’agit de mariage ou de parentalité. Selon l’étude qualitative sur les perceptions sociales liées au handicap au Maroc réalisée en 20207 , les femmes en situation de handicap font l’objet de représentations sociales spécifiques visant essentiellement leur féminité et mettant en cause leur capacité à remplir leurs fonctions de femme, telles qu’assignées par la norme culturelle (se marier, avoir des enfants, fonder et prendre soin d’un foyer…). Les chiffres du Haut-Commissariat au Plan, publiés dans le cadre d’une étude réalisée en 2009 sur la population en situation de handicap au Maroc, le prouvent : Plus de la moitié des PSH de sexe masculin (54,1%) sont ou ont été mariés, contre 27,8% de femmes en situation de handicap. Le nombre moyen d’enfants par femme qui s’élève à 0,6 chez les personnes en situation de handicap, contre 2,5 chez les personnes valides, en est une conséquence. Quant au taux de célibat à 55 ans, considéré comme un taux de célibat définitif, il est de 14,3% chez les PSH et de 2,5% chez la population valide8 . Le divorce est, quant à lui, plus élevé du côté des femmes : 35,3% contre 3,8% .

« L’homme, même s’il est handicapé, reste un homme et, parfois, les familles trouvent des solutions pour marier leur enfant, en choisissant une jeune fille non handicapée d’une situation socioéconomique moindre en espérant que leur fils puisse avoir une vie sexuelle normale et, pourquoi pas, un enfant».

Amina Msefer, présidente de l’association des parents et amis des personnes handicapées mentales, HADAF.

« L’homme, même s’il est handicapé, reste un homme et, parfois, les familles trouvent des solutions pour marier leur enfant, en choisissant une jeune fille non handicapée d’une situation socioéconomique moindre en espérant que leur fils puisse avoir une vie sexuelle normale et, pourquoi pas, un enfant. Les parents sont conscients que ce type de mariage risque de ne pas durer mais ils se disent qu’au moins leur fils aura gagné un enfant qui, une fois grand, pourra s’occuper de son père. Malheureusement, s’agissant de filles en âge de se marier, les parents sont souvent désorientés face au désir de leur enfant et refusent catégoriquement cette possibilité. De ce fait, très peu de filles se marient et, quand c’est le cas, elles sont pour la plupart exploitées par le mari», souligne Amina Msefer, présidente de l’association des parents et amis des personnes handicapées mentales, HADAF. C’est le cas notamment de Hanane , qui suite à la mort de son père, sa famille, pour assurer son avenir, lui a acheté un appartement et l’a mis à son nom. Mais un homme valide a profité de la vulnérabilité de la jeune fille et l’a convaincue de se marier. Si au départ, tout se passait bien, très vite, la famille s’est rendue compte que celui-ci n’en avait que pour son argent. 

Pour la société, nous n’avons pas le droit à l’amour, au mariage, à avoir des enfants… Déjà que celle-ci n’est pas tendre avec les femmes en général, alors imaginez avec la femme en situation de handicap

Asmaa

«La femme en situation de handicap n’a aucun droit ni en tant que personne en situation de handicap ni en tant que femme. On ne nous considère pas comme des êtres humains. Pour la société, nous n’avons pas le droit à l’amour, au mariage, à avoir des enfants… Déjà que celle-ci n’est pas tendre avec les femmes en général, alors imaginez avec la femme en situation de handicap », poursuit Asmaa, 50 ans, en situation de handicap physique. « Ce n’était pas évident de voir toutes mes amies (valides) se marier et avoir des enfants. C’est dans ces moments que je prenais conscience de ma situation de femme handicapée. Ma famille a tout fait pour me faire croire que c’était de ma faute. Pour eux, je n’étais pas capable de fonder une famille et prendre soin de mon foyer. Par contre, j’étais parfaite pour laver leur linge, faire le ménage, cuisiner, m’occuper et garder les enfants de mes sœurs, de mes cousines, de mes voisines… Ma famille m’a utilisée et m’a privée de mon droit d’être une épouse et une mère. J’avais des rêves et des espoirs mais personne ne m’a jamais soutenue », poursuit-elle. Comme Asmaa, elles sont nombreuses à avoir dû abandonner leurs rêves à cause des nombreuses barrières affectant directement leur participation à la vie sociale et économique de leurs communautés, réduisant ainsi considérablement la possibilité pour elles de jouir de leurs droits fondamentaux.

A lire aussi : Personnes en Situation de Handicap : Nos attentes du nouveau gouvernement.

Les femmes en situation de handicap sont également plus vulnérables aux différentes formes de violences. Si à travers le monde, plus d’un tiers des femmes sont exposées à des violences physiques, émotionnelles ou sexuelles de la part d’un partenaire intime ou d’une autre personne, les femmes en situation de handicap sont dix fois plus exposées que les autres aux violences sexuelles. Et, celles qui sont en situation de handicap mental sont davantage touchées par le phénomène. « La question de la violence à l’égard des femmes en situation de handicap mental a toujours fait partie des tabous sociaux et des non-dits d’autant plus que ces femmes et jeunes filles n’ont pas de voix pour exprimer leurs souffrances. Elles sont des oubliées de la violence et aucun dispositif pour leur venir en aide n’a été mis en place. Jusqu’à présent, l’impact des effets combinés du genre et du handicap n’a pas été traité, et la violence à l’égard des femmes en situation de handicap demeure encore largement ignorée. D’où la nécessité de travailler sur cette question et mener de larges campagnes de conscientisation du public sur les droits à l’intégrité physique et mentale de ces personnes. Et les associations féminines doivent également se mobiliser et soutenir ces femmes», poursuit Amina Msefer. 

*Les prénoms des enquêtés qui se sont exprimés sous couvert d’anonymat ont été changé.

A suivre.

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