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Vers une visibilisation de la double peine des femmes en situation de handicap

Discriminations, stigmatisation, exclusion, marginalisation, c’est le quotidien des toutes les femmes en situation de handicap au Maroc. Et pourtant, handicap et genre sont souvent traités séparément, voire pas du tout! Les femmes ayant été longtemps lésées à la fois au sein du mouvement des droits des personnes en situation de handicap et des associations des droits des femmes, de nouvelles initiatives de la société civile marocaine émergent pour mettre en lumière les discriminations intersectionnelles subies par ces femmes. Partie 2

Par Dounia Z. Mseffer

Malgré le fait que les femmes en situation de handicap soient doublement discriminées par rapport à leurs paires masculins, la question du genre n’est pas très présente dans le mouvement de droits des personnes en situation de handicap « Il est vrai qu’au sein des associations, l’approche genre fait défaut et la parité n’est que très peu présente au niveau des bureaux exécutifs des associations. Cela est principalement dû à la mentalité maroco-marocaine. Il y a encore un « mépris » envers la femme et, encore plus, envers la femme en situation de handicap. Cette dernière en souffre énormément et cela a des répercussions sur sa vie sociale, affective, personnelle… ce qui accentue encore plus sa marginalisation.», reconnaît Idir Ouguindi. 

Si le mouvement des droits des personnes en situation de handicap n’aborde la question du genre que très timidement, la grande majorité des associations des droits des femmes n’intègre pas dans leur combat l’approche intersectionnelle, et néglige ainsi la situation des femmes en situation de handicap. En général, elles ne se saisissent des cas de violence à l’égard de ces femmes que lorsqu’un fait divers défraye la chronique. Et même dans les cas d’abus, les centres d’écoute pour les femmes victimes de violence ont tendance à les orienter vers des associations pour personnes en situation de handicap, quand bien même le type d’aide dont elles ont besoin n’est pas assuré par ces structures. « Pourtant, avant d’être des femmes en situation de handicap, nous sommes, avant tout, des femmes et des citoyennes à part entière, mais c’est comme si le handicap effaçait notre identité de femme», s’écrie Samira Bakhti, secrétaire générale du Forum marocain pour le plaidoyer et la défense des droits des femmes en situation de handicap.

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Aujourd’hui, de plus en plus de voix, principalement féminines, s’élèvent pour dénoncer les discriminations intersectionnelles auxquelles font face les femmes en situation de handicap. C’est notamment le cas de l’association HADAF qui fait partie des associations qui, dès le départ, a inclus l’approche genre et l’approche intersectionnelle dans son travail. En 2015, elle fut la première association au Maroc à lancer le débat sur la violence à l’égard des femmes en situation  de handicap mental et aborde régulièrement ce sujet avec aussi bien les jeunes bénéficiaires de l’association que les familles.

Au sein du mouvement des droits des PSH, les femmes en situation de handicap ont décidé de monter au créneau pour faire entendre leurs voix, et faire valoir leurs droits. Elles s’imposent de plus en plus et certaines associations ont franchi le pas. C’est le cas notamment de l’association la Colombe Blanche qui a eu recours à l’approche intersectionnelle afin de s’inscrire dans une démarche plus inclusive. Ainsi, depuis 2017, l’association a intégré dans ses axes stratégiques l’approche genre et a inscrit la parité dans ses statuts et son règlement interne. Des actions sont également menées auprès des femmes en situation de handicap. « Pour nous, il est important que tous les sexes et que tous les types de handicap soient représentés au sein de l’association et au sein même du bureau exécutif. Cela a pris un certain temps certes car il fallait d’abord que l’on travaille sur les lois et les textes juridiques. Maintenant, il est temps que les femmes en situation de handicap soient également au-devant de la scène. Malheureusement, le combat est encore loin d’être gagné. La mentalité patriarcale est encore très présente dans le mouvement associatif », souligne Karima Lhadad.

Aussi en 2020, Karima et Samira ainsi que d’autres femmes en situation de handicap ont décidé de créer le Forum marocain pour le plaidoyer et la défense des droits des femmes en situation de handicap. Son objectif : améliorer la connaissance sur les situations vécues par les femmes en situation de handicap ; faire du plaidoyer pour les droits de ces femmes mais aussi des mères d’enfants en situation de handicap ; changer le regard de la société à l’égard de ces dernières ; et enfin sensibiliser les femmes et les mères sur leurs droits et leur rappeler qu’avant d’être des femmes en situation de handicap ou mères d’enfants en situation de handicap, elles sont avant tout des femmes et des citoyennes à part entière. « Nous avons intégré dans notre combat les mères d’enfants en situation de handicap car elles subissent également de nombreuses discriminations. En général, elles prennent seules en charge leur enfant. Nous avons d’ailleurs remarqué que plusieurs étaient divorcées ou séparées et que dans la grande majorité des cas, le père refusait de payer pour l’enfant en situation de handicap (que ce soit la scolarité, les frais de l’orthophoniste, l’assistante de vie scolaire ou du kinésithérapeute…), c’est donc à la mère qu’incombe la responsabilité de l’enfant. Et cela concerne aussi bien les femmes en situation de vulnérabilité ou issus de familles pauvres, que des femmes appartenant à des classes sociales aisées. Notre rôle est de les orienter et de leur expliquer leurs droits et les recours possibles en cas de problème juridique ou de violation», précise Samira Bakhti. 

Depuis la création du Forum, des rapports et des recommandations ont été présentés aux différentes instances gouvernementales pour que les droits des femmes en situation de handicap soient pris en compte dans l’élaboration des lois et des politiques publiques. Des rencontres sont tenues régulièrement avec les partis politiques, les élus et députés pour les sensibiliser sur cette question. Des travaux sont également menés avec des universitaires et des chercheurs pour qu’il y ait davantage d’études portant sur le handicap et la femme. Un travail se fait aussi auprès des médias, principaux vecteurs de la stigmatisation des personnes en situation de handicap au Maroc. « La femme en situation de handicap est stigmatisée constamment. Il n’y a qu’à voir comment elles sont représentées dans les médias. Les gens nous infantilisent et ne comprennent pas que l’on souhaite affirmer notre autonomie et notre indépendance et que l’on revendique nos droits. Tout ce que nous voulons c’est que nos voix comptent et que l’on prenne en compte notre expertise et notre expérience pour améliorer la condition des PSH et promouvoir leurs droits », souligne Samira Bakhti

Actuellement, le Forum travaille sur un mémorandum portant sur le Code de la famille pour que les droits des femmes en situation de handicap mais aussi des mères d’enfants en situation de handicap soient prises en compte au moment de la réforme dudit Code. « C’est un fait, le handicap est lourd financièrement et les mères sont principalement celles qui prennent en charge leur enfant. Or aujourd’hui, devant le tribunal en cas de divorce, le handicap de l’enfant et les dépenses qui en découlent ne sont pas prises en compte au moment de fixer la pension alimentaire, ce qui est inadmissible quand l’on sait que l’enfant a besoin d’une prise en charge adéquate en continu », explique Samira Bakhti. Aujourd’hui, les femmes en situation de handicap et les mères d’enfants en situation de handicap appellent à l’instauration d’une véritable «Culture du handicap incluant l’approche genre». Car en effet, tant que les mouvements des droits des personnes en situation de handicap et ceux des droits des femmes, que la société et l’État lui-même ne reconnaissent pas les discriminations et les violences que subissent ces femmes et persistent à avoir un regard «pitoyable » au lieu d’un regard de droit, la protection des femmes en situation de handicap restera éternellement au point mort et l’inclusion sociale de ces personnes pure chimère. 

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