À Beni Mellal, les familles de migrants exigent la vérité
La Région de Beni Mellal-Khénifra est meurtrie depuis 2019 par les disparitions de migrants marocains en mer. Les familles de ces jeunes se mobilisent pour exiger vérité et justice.
Ce 27 mars 2023, c’était le jour de procès à Béni Mellal. A la Cour d’appel de la ville se poursuivait le procès de personnes accusées dans le naufrage d’une embarcation de migrants au large de Laâyoune survenu il y a exactement une année. Ce jour-là, une dizaine de jeunes originaires de Beni Mellal, Kelaa Seraghna et Fkih Ben Saleh perdent la vie. Pour exiger vérité et justice, les familles soutenues par l’Association d’aide aux migrants en situation de vulnérabilité (AMSV) ont tenu un sit-in de commémoration et de mobilisation pour sortir cette affaire de l’oubli.
Combat contre l’oubli
«Ce sit-in vient pour rassembler les familles des migrants disparus de ce groupe du 27 mars 2022, et d’insister sur l’urgence de traiter ce dossier pour que ces familles connaissent le sort de leurs enfants ».
Hassan Ammari président de l’AMSV
Ce rassemblement a connu la présence de 60 familles des provinces de Beni Mellal, Kelaa Seraghna, Fkih Ben Saleh, Agadir, Khouribga, Safi et d’autres régions du Maroc. Les familles exigent « de faire toute la lumière sur le dossier de nos enfants et nous appelons l’Etat marocain à intervenir pour multiplier les efforts dans ce sens ». Lors de cette action, les familles présentes ont tenu un meeting de solidarité. Au siège de la CDT Beni Mellal, le siège de ce syndicat régional n’a pas pu contenir les familles venues nombreuses pour avoir des nouvelles de leurs enfants, disparus en mer ou détenus dans les prisons en Lybie ou en Algérie. Hassan Ammari président de l’AMSV nous explique les motivations de cette action : « Ce sit-in vient pour rassembler les familles des migrants disparus de ce groupe du 27 mars 2022, et d’insister sur l’urgence de traiter ce dossier pour que ces familles connaissent le sort de leurs enfants ».
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Dans un communiqué, le Comité de suivi du dossier des jeunes migrants marocains disparus a tenu la politique européenne des visas et de gestion des frontières comme responsable de cette situation qualifiée « d’injuste ». Elle illustre, pour le comité, une « violation des pactes internationaux relatifs aux droits humains et au principe de la libre circulation ». Ce comité exige aussi une plus grande implication de la part du « Croissant-Rouge marocain et Comité international de la Croix rouge, qui doivent être responsables de ce dossier puisque ça rentre dans leur travail d’accompagner ces familles», affirme Ammari. L’AMSV inscrit cette action dans le cadre de ses actions de Commemor’Action, organisées à l’échelle nationale et internationale.
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Dans le même registre, le Comité de suivi a lancé un appel au ministère de la Justice pour « identifier le sort des disparus et prendre la responsabilité de publier des listes nominatives, qui mentionnent également les lieux de détention de ces jeunes se trouvant à l’étranger ».
Par ailleurs, le comité s’est adressé aussi aux associations de défense des droits humains et aux médias pour « mettre en lumière cette question et soutenir les familles en quête de ce qui est advenu de leurs enfants ».
Des victimes de la « nécrofrontière »
Le Maroc fait partie des dix premiers pays dans le monde dont les ressortissants perdent la vie en tentant de traverser la mer pour migrer. Selon les chiffres du rapport de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) « 50.000 : LIVES LOST DURING MIGRATION », 702 migrants identifiés comme Marocains ont perdu la vie entre 2014 et 2022. Les Marocains sont ainsi la première nationalité du Maghreb et la deuxième en Afrique à enregistrer des disparitions en mer sur cette période. Sur le reste du continent, le Maroc est devancé par l’Ethiopie (867 disparitions) et au Maghreb, le Maroc est suivi par l’Algérie (653 disparitions). Ces chiffres s’appuient sur une estimation minimale, le nombre de disparitions des Marocains en mer devrait être bien plus élevé.
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Dans un rapport publié par l’ONG espagnole Caminando Fronteras, les morts comptabilisés aux frontières espagnoles sur la période 2018-2021 sont estimés à 11 286 personnes. Pour cette organisation, cette situation « n’est pas due au hasard, mais à une nécropolitique structurée et soutenue dans le temps, socle de la construction des systèmes migratoires mondiaux au XXIe siècle », observe cette ONG. Et d’ajouter : « Dans le cadre du contrôle européen, et plus précisément celui géré par l’Espagne, la plupart des victimes sont portées disparues, étant donné que les routes maritimes ne favorisent pas la réapparition des cadavres. Cela permet de nier délibérément la réalité de la mort ».