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Esclavage : Le roman d’une épopée de libération

Finaliste du prix Ahmadou Kourouma, remis au Salon du livre de Genève le 27 mars dernier, le cinquième roman de Nétonon Noël Ndjékéry retrace une épopée de libération

« Toi dont les ancêtres, après s’être affranchis par eux-mêmes, ont fondé la première enclave débarrassée de l’esclavage de tout le cœur de la Baobabia, quelle mouche t’a donc piqué pour aller te mettre au service d’une cause qui vise à restaurer l’asservissement de certains par d’autres ?… Consacre un peu de ton éternité à méditer à cette question, car ta conscience et ta généalogie ne manqueront pas de t’interpeller souvent à ce propos. » C’est ainsi qu’est morigéné, à l’issue d’un attentat suicide raté, Nour Ben Fadoul Al Soudani, minable terroriste fanatisé par Boko Haram, persuadé qu’il aurait dû devenir blanc car « les fakis sont catégoriques : Il n’y a pas de Noir au Paradis ». Cette voix qui l’interpelle, c’est celle de Ndadji, le journal et la mémoire de la communauté fondée, près d’un siècle plus tôt, par ses propres aïeux. À la fin du XIXème siècle, un petit trio fuit Médine pour regagner sa Baobabia natale, à laquelle ils ont été arrachés pour être réduits en esclavage. Il y a le jeune Zeïtoun, le sage Tomasta et la belle Yasmina. Ils souhaitent trouver refuge près de la Grande Eau. C’est une kirta, une île flottante qui dérive sur le lac Tchad, qui abritera la communauté qu’ils fondent.

Saga

Nétonon Noël Ndjékéry, écrivain tchadien et suisse qui a reçu en 2017 le Grand Prix littéraire national du Tchad pour l’ensemble de son œuvre, brosse ici une splendide saga qui sur quatre générations retrace l’histoire de toute la région. L’histoire de Tomasta, Zeïtoun et Yasmine puis de leurs descendants jusqu’à Nour Ben Fadoul Al Soudani traverse l’épisode colonial, les deux guerres mondiales, « mères de toutes les guerres », l’arrivée de « Dipanda […] venue libérer la Baobabia » puis les guerres entre les récents États pour le contrôle du lac Tchad, jusqu’à Boko Haram. Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis, c’est aussi l’épopée de la liberté, la farouche volonté de ceux qui ont parcouru « jusqu’au bout de l’horreur » le chemin de l’esclavage, avec toutes ses violences, et qui se font bâtisseurs de cités libres. La kirta et son imperceptible mouvement apparaît comme un défi aux tumultes de l’histoire alentour : c’est une cité où les décisions sont prises ensemble et où le savoir est central. Mais cet univers est fragile : fermé, il étouffe les jeunes qui s’enfuient pour voir le monde, et est coupé des savoirs scientifiques et des avancées techniques. Ainsi, un simple appareil photo actionné par des agents de recensements paraît une stupéfiante machine.

Le livre, aussi grave que plein d’humour, est aussi une belle réflexion sur ce qui relie les hommes : face aux violences qui dépossèdent certains de leur liberté, la réponse ne peut être que l’invective (la pire insulte est « cochon gratté »). Mais le lien tient aussi aux multiples légendes – comme celle de la dénékandji, déesse marine – histoires, récits, glanés ici ou là, reconstruits, réinventés, édulcorés ou au contraire enmythifiés, glanés, colportés, et dont les sagesses et les folies se trouvent au final consignées dans le Ndjadji. Un très beau livre.

Et vous, vous lisez quoi ?

Kenza Sefrioui

Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis
Nétonon Noël Ndjékéry
Hélice Hélas, 360 p., 28 CHF, 20 €, 260 DH

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