Viol de Tifelt : Les coulisses d’une soirée au Tribunal
Le procès en appel des trois accusés dans l’affaire du viol de la fillette de Tiflet s’est soldé par de lourdes condamnations. Un jugement sous forme de réparation des torts causés par le verdict en Première Instance. Reportage à la Cour d’appel de Rabat.
Il est 1h37 du matin ce vendredi 14 avril, quand les trois magistrats en charge de l’examen du procès des violeurs de Sanae, 11 ans, se sont présentés à la salle n°2 du Palais de justice de Rabat pour prononcer leur jugement. C’est la fin d’une longue journée marquée par un procès accéléré. Le juge-président de la Chambre criminelle près la Cour d’appel annonce les peines : Le principal accusé est condamné à 20 ans de prison ferme et les deux autres à 10 ans chacun et des dédommagements pour la victime de 60 000 et 40 000 DH, à payer respectivement par le premier accusé puis les deux autres. La défense de la partie civile est soulagée. Retour sur le déroulé du procès marqué par l’audition de la victime, les plaidoiries et des réquisitoires qui ont duré toute la journée du 13 avril.
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Viol ou détournement de mineur ?
À 14h, la Cour décide que l’audience de la fillette et de l’autre témoin se tiendront à huis clos. Une demande du Parquet a été formulée dans ce sens et confortée par les avocats des deux parties, acceptée par le Cour. La défense de la partie civile introduit une requête sur la forme et souhaite une « requalification des charges de détournement de mineurs et attentat à la pudeur vers le viol ». Cette demande a été refusée par la Cour.
Durant cette première partie de l’audience, il y a eu aussi l’interrogatoire des trois accusés. Le principal accusé, père de l’enfant de la victime, a nié avoir eu des rapports sexuels avec la victime. Pourtant, les analyses ADN prouvent qu’il est bien le père de l’enfant né de cette relation sexuelle. La Cour le confronte avec ces analyses ADN qui « établissent à 99,9% la filiation ».
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Le deuxième accusé nie aussi toute relation avec la fillette et a commencé à reprocher à la famille de la victime de n’avoir pas remarqué sa grossesse.
Après l’interrogatoire des trois accusés, il y a eu l’audition de la victime et du témoin à huis clos. Ensuite les plaidoiries des parties de ce procès ont commencé.
Echec de la proportionnalité
« Les juges ont échoué dans l’exercice de la proportionnalité entre la gravité des faits commis et les sanctions prononcées ».
Me Mohamed Sebbar
Il est 16h15, Me Mohamed Sebbar est le premier à intervenir. L’ancien secrétaire général du Conseil national des droits de l’homme (CNDH) réclame la confirmation de la condamnation et surtout l’aggravation des peines. Il critique également le jugement en première instance, « les juges ont échoué dans l’exercice de la proportionnalité entre la gravité des faits commis et les sanctions prononcées ». Et d’ajouter : « Cette décision n’a pas réalisé l’objectif de dissuasion, au contraire elle encourage au viol ». Les avocats de la partie civile demandent à deux reprises un report d’une semaine pour poursuivre leurs plaidoiries. La Cour refuse. Les plaidoiries continuent jusqu’à ce qu’une pause soit marquée pour le ftour.
À 20h50, le procès reprend. Me Zineb Khayr prend la parole. Elle démarre sa plaidoirie et termine en formulant les demandes de la partie civile : « Je demande les peines maximales à ces criminels, et sur le plan civil, je requiers la condamnation de chacun à 1 million de dirhams au profit de la partie civile ». Et d’enfoncer le clou : « Ce dossier ne comprend pas que le crime de viol mais aussi la traite des êtres humains. C’est pour cette raison que je vous demande Mr Le Président demande de requalifier les faits ».
« Ce dossier ne comprend pas que le viol mais aussi la traite humaine. Je vous demande de requalifier les faits ».
Me Zineb Khayr
À 22h10, le réquisitoire du représentant du Parquet démarre à son tour. Le représentant du parquet prend la parole, il décrit la douleur de la victime et explique qu’il ne peut pas s’empêcher de penser à sa douleur : « Il n’y a aucune excuse face aux crimes commis par les trois accusés », martèle-t-il.
« Si la loi me l’avait permis j’aurais requis la peine de mort ».
Le représentant du parquet
« Je demande la confirmation du jugement en première instance dans la condamnation mais avec révision des sanctions avec des peines maximales. Et si la loi me l’avait permis j’aurais requis la peine de mort », ose le représentant du Parquet.
Ensuite, l’avocat de la défense des accusés commence sa plaidoirie, il estime que le test ADN établissant la filiation biologique de l’enfant n’est pas fiable à 100% et met en avant « les propos contradictoires » de la victime. Il met en doute également l’âge de la victime en estimant que son âge est 17 ans et non pas 12 ans et que c’est juste un retard d’inscription dans l’état civil.
A 23h25, c’est la fin des plaidoiries. Le juge donne la parole aux accusés pour un dernier mot. Ensuite, l’audition est levée. La cour se retire pour les délibérations. Après deux heures de délibérations, le verdict tombe, les peines ont été alourdies par la Cour à 20 ans pour l’accusé principal et 10 ans pour les deux autres. Un soulagement…
Le long chemin pour la réhabilitation…
« Chaque jour dans nos tribunaux, nous avons des cas similaires au Maroc et il ne faut pas l’oublier, il faut que ce combat continue ».
Me Ghizlane Mamouni
« Ce verdict est une première, c’est très important », affirme Me Ghizlane Mamouni. « Chaque jour dans nos tribunaux, nous avons des cas similaires au Maroc et il ne faut pas l’oublier, il faut que ce combat continue », ajoute-t-elle.
L’avocat a aussi expliqué que la mobilisation des associations des ONG et des médias ont pu mettre en lumière les lacunes du Code pénal dans le cas des violences sexuelles sur mineure.
« Quand on pense à cette enfant qui devient aujourd’hui mère même face à ce verdict on ne peut être heureux, ce qu’elle a enduré est très difficile, mais au moins savoir qu’ils sont condamnés à des peines lourdes soulage un peu ».
Dans le même sens, la Fédération des ligues des femmes au Maroc a salué le jugement en appel en expliquant que « ce verdict a corrigé le jugement en première instance et a rendu justice à la petite victime de viol ». Reste le long chemin de la réhabilitation sociale et psychologique de la jeune victime…
Pour rappel, ce procès a soulevé un tollé général au niveau de la société civile depuis trois semaines. En première instance, les trois accusés, poursuivis pour « détournement de mineur » et « attentat à la pudeur sur mineure avec violence », avaient écopé de deux ans de prison, avec six mois de sursis pour deux d’entre eux. Le troisième, identifié par des tests ADN comme étant le père biologique de l’enfant Rayane, né du viol présumé de la jeune fille, a écopé quant à lui de deux ans de prison ferme.