1er mai : Travailleurs en colère et syndicats en berne
Les marches du 1er mai 2023 confirment, une nouvelle fois, l’affaiblissement du pouvoir de mobilisation des syndicats au Maroc. Le tout dans un contexte de crise sociale et de cherté de la vie. Reportage à Rabat, Meknès, Casablanca et Marrakech.
Reportage de Imane Bellamine (Rabat), Anass Laghnadi (Casablanca), Salaheddine Lemaizi (Marrakech) et Bouchra Ouaddou (Meknès)
Un 1er mai paradoxal ! Dans les quatre villes couvertes par l’équipe de ENASS.ma, la mobilisation était en berne chez les centrales syndicales de l’Union marocaine du travail (UMT)et la Confédération démocratique du travail (CDT). Pourtant, les travailleurs étaient très remontés contre la situation de cherté de la vie et de la baisse du pouvoir d’achat. D’autant plus que les centrales syndicales n’ont rien obtenu en matière d’augmentation de salaires cette année à la suite du round de dialogue social avec le gouvernement fin avril. Dans d’autres villes, les secteurs traditionnels et les nouveaux métiers faiblement syndiqués ont marché ensemble pour revendiquer l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail.
À Marrakech, chaudron social
«Assez de police, assez de prisons, on veut des écoles ».
Marrakech, boulevard Mohammed V un 1er mai et un soleil de plomb, 30° à l’ombre. Les touristes arpentant les artères principales de la ville ocre croisent les cortèges des travailleurs sous les bannières de l’UMT et de la CDT. Les flash des téléphones des touristes crépitent pour immortaliser ces manifestations. Dans la ville ocre, les secteurs les plus mobilisés sont naturellement, le tourisme et celui de l’Office national de l’électricité et de l’eau (ONEE). La manifestation est calme, avant que des travailleurs arborant les couleurs de l’UMT lancent en chœur : « Assez de police, assez de prisons, on veut des écoles ». Un citoyen les interpelle. Rouge de colère, ce passant crie et proteste seul face à la cherté de la vie, sous le regard vigilant des forces de l’ordre.
À Casablanca, l’UMT tribune patronale
Sur le boulevard des FAR à Casablanca, l’Union marocaine du travail (UMT) a installé sa traditionnelle tribune. Pour la direction de cette centrale syndicale, l’enjeu du 1er mai est double : Attirer les têtes d’affiches politiques et médiatiques et dans un deuxième mobiliser les travailleurs affiliés à cette centrale. C’est sa démonstration de force annuelle.
Pour cette année, Mohamed Aujjar et Mohamed Ait Menna, des cadors du Rassemblement national du RNI (RNI), allié de l’UMT, ont fait le déplacement pour ce 1er mai. Une centrale syndicale représentant les ouvriers en alliance avec le principal parti des patrons du Maroc (RNI), c’est le mélange de genres qu’offre le paysage politique et syndical marocain. Aux oubliettes les combats ouvriers…du moins en façade. C’est ce qui ressort de la déclaration de Miloudi Moukharik, SG de l’UMT : « Il est nécessaire de poursuivre le dialogue social constructif pour réaliser des gains pour les travailleurs. Il est urgent de mettre fin à la pandémie de l’inflation qui frappe le pouvoir d’achat des travailleurs ». Mais comment ? Et quels moyens propose-t-il ? Aucune réponse.
« Assez de la cherté de la vie … Akhannouch est l’ennemi de Dieu ».
Pourtant, dans les rues du centre-ville de Casablanca, les travailleurs n’ont pas manqué d’exprimer leur colère. Ainsi dès le matin du 1er mai, des foules de travailleurs convergent vers le boulevard des FAR. On trouve les secteurs traditionnels de l’UMT, dockers, cheminots et surtout les syndicats des travailleurs de l’ONEE. Ces derniers sont aujourd’hui menacés de changement de leur statut à la suite de la privatisation et la régionalisation des services de l’ONEE, à commencer par le secteur de l’Eau.
Lors de ce cortège, les travailleurs n’ont pas hésité à exprimer leur désapprobation vis-à-vis des politiques menées par le gouvernement. A Casablanca, on pouvait entendre des slogans comme : « Assez de la cherté de la vie … Akhannouch est l’ennemi de Dieu ».
À Rabat, le centre-ville aux travailleurs
À Rabat, comme à l’accoutumée d’un 1er mai, le centre-ville de la capitale a été réservé aux travailleurs. C’est leur jour de fête contre 364 jours de peines.
On a aperçu les casquettes jaunes de la CDT sur le boulevard Allal Ben Abdellah, casquettes blanches de l’Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM) avenue Mohammed V et casquettes oranges de l’Union marocaine du travail (UMT) devant le siège et après une marche aux abords de la médina.
Le 1er mai « est une protestation, un cri, une lutte des travailleurs ».
Devant une assemblée de travailleurs, les représentants de l’UMT, ont déclaré que la célébration du 1er mai « est une protestation, un cri, une lutte des travailleurs, et pas une journée de célébration ».
Des centaines d’ouvriers et de travailleurs de plusieurs secteurs ont exprimé leur protestation contre « les conditions de travail, la cherté de vie, les flambées des prix, non seulement du carburant, mais des denrées alimentaires de base qui sont devenues des articles de luxe, car les poches de la classe ouvrière et des salariés en général ne permettent plus de les acheter ».
À Meknès, les travailleurs face à la cherté de la vie
Meknès, ville en cours de désindustrialisation avec des luttes ouvrières qui durent, a aussi manifesté ce 1er mai. Parmi les luttes emblématiques en cours, le combat des ouvrières de SICOMEK pour l’accès à leurs droits sociaux.
À la place Oualili, au centre de la ville, des manifestations ont été organisées ce 1er mai pour protester contre la flambée des prix des denrées alimentaires et du carburant. Ces milliers de personnes ont manifesté leurs frustrations contre le chômage et la précarité. « Nous dénonçons la politique du gouvernement qui avait promis d’être un gouvernement de ‘l’État social’ mais qui s’avère être celui des disparités sociales », a déclaré Kendadi membre du bureau exécutif de la CDT.