Liberté de la presse : Dérive autoritaire au Maghreb
Le Classement annuel de Reporters sans frontières (RSF) confirme le tournant autoritaire au Maghreb. Les journalistes et les médias libres sont les premières victimes collatérales de ces reculs. Les détails.
Le Maroc perd 9 places dans le classement de RSF en 2023. C’est un recul historique pour le pays.
Le Maroc perd 9 places dans le classement de RSF en 2023. C’est un recul historique pour le pays. Au Maroc (144e ; -9) « la détention arbitraire des journalistes Omar Radi et Souleiman Raissouni se prolonge et le harcèlement judiciaire d’autres journalistes critiques ne faiblit pas », constate l’ONG basée à Paris. La situation dans le reste du Maghreb n’est guère meilleure.
La Tunisie, la chute libre
« Les conditions d’exercice des journalistes continuent de se dégrader en Afrique du Nord, où la Tunisie (121e) du président Saïed et l’Algérie (136e) du président Tebboune confirment leurs dérives autoritaires », indique RSF dans son classement 2023. « En Tunisie, après avoir gelé puis dissous le parlement en 2021, le chef de l’État remet en cause les acquis de la liberté de la presse arrachées après la révolution de 2011 et les journalistes sont poursuivis pour leur travail d’enquête », note l’organisation internationale. En Algérie, alors que l’article 54 de la Constitution garantit la liberté de la presse, de plus en plus de journalistes se retrouvent devant les tribunaux pour leurs écrits et un nouveau Code de l’information, décrié et préparé sans concertation, a été adopté.
Le gouvernement crie au complot
Le gouvernement marocain a réagi comme à l’accoutumé par une sortie médiatique accusant RSF « d’être au service d’agendas qui n’ont aucun rapport avec le secteur de la presse dans le Royaume », a déclaré Mustapha Baïtas, le ministre délégué chargé des relations avec le parlement, porte-parole du gouvernement. Le ministre a précisé que « le gouvernement marocain accepte à cœur ouvert toutes les critiques à condition qu’elles soient objectives et constructives ». Plusieurs organisations proches du pouvoir ont confirmé ces critiques. A l’opposé, des ONG indépendantes (AMDH et OLIE) ont dénoncé les reculs de la liberté de la presse au Maroc. Des reculs qui se mondialisent comme le montre le classement de RSF pour 2023.
Manipulation et industrie du simulacre
La 21e édition du Classement mondial de la liberté de la presse révèle « des évolutions majeures et parfois radicales, liées à une instabilité politique, sociale et technologique », indique RSF.
« Dans 118 pays, des acteurs politiques mènent des campagnes de désinformation massive ou de propagande ».
L’édition 2023 met en effet en lumière les effets fulgurants de l’industrie du simulacre dans l’écosystème numérique sur la liberté de la presse. « Dans 118 pays, soit les deux tiers des pays évalués par le Classement, la majorité des répondants au questionnaire signalent une implication des acteurs politiques de leur pays dans les campagnes de désinformation massive ou de propagande ; de manière régulière ou systématique », alerte RSF. Et d’ajouter : « La différence s’estompe entre le vrai et le faux, le réel et l’artificiel, les faits et les artefacts, mettant en péril le droit à l’information. Les capacités de manipulation inédites sont utilisées pour fragiliser celles et ceux qui incarnent le journalisme de qualité, en même temps qu’elles affaiblissent le journalisme lui-même ».
Le développement spectaculaire de l’Intelligence artificielle (IA) générative « bouleverse l’univers déjà fragilisé des médias, qui avaient déjà été largement mis à mal par le Web 2.0 », s’inquiète RSF. Enfin, les attaques contre les journalistes se prolongent dans des espaces jadis plus libres . « Le propriétaire de Twitter, Elon Musk, pousse quant à lui à l’extrême une logique arbitraire et censitaire, démontrant que les plateformes sont des sables mouvants pour le journalisme », note RSF.
Pour rappel, l’édition 2023 du Classement mondial de la liberté de la presse, qui évalue les conditions d’exercice du journalisme dans 180 pays et territoires, est publiée à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, le 3 mai. Il apparaît que la situation est “très grave” dans 31 pays, “difficile” dans 42 et “problématique” dans 55, alors qu’elle est “bonne” ou “plutôt bonne” dans 52 pays. Autrement dit, les conditions d’exercice du journalisme sont mauvaises dans 7 pays sur 10 et satisfaisantes dans seulement 3 pays sur 10.
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