Arrestations de migrants : Les révélations du GADEM
Le Groupe antiraciste de défense et d’accompagnement des étrangers et migrants (GADEM) a livré une note une escalade d’arrestations vivant les personnes étrangères, essentiellement originaires d’Afrique de l’Ouest dans la capitale. Révélations inquiétantes.
Arrestations de huit enfants, cinq femmes, dix réfugiés reconnus par le HCR, huit migrants réguliers détenteurs de titres de séjour valides, les autorités de la ville de Rabat ne font pas de distinction entre les statuts des personnes migrantes arrêtées. Ces actions coup de poing présentés comme « de lutte contre les réseaux de trafic et traite d’êtres humains » correspondent plus à des arrestations uniquement sur la base de la couleur de peau et le quartier de résidence des personnes arrêtées. À Rabat, être personne noire et vivant dans un des quartiers populaires de la ville, vous exposerez potentiellement aux risques d’une arrestation et d’un déplacement forcé vers une ville du sud du Maroc. C’est le constat qui ressort des chiffres comptabilisés par le GADEM dans sa note publiée en mars 2023.
Le GADEM a comptabilisé au moins 420 personnes non ressortissantes marocaines arrêtées sur Rabat. Ces personnes sont toutes originaires d’autres espaces régionaux d’Afrique (Afrique de l’Ouest et centrale – majoritairement Cameroun, Côte d’Ivoire, Guinée Conakry, Mali, Nigéria, RDC, Burkina Faso, mais aussi du Soudan ou du Sud-Soudan). Cette note vient comme résultat de ses missions et des différents témoignages collectés pour la période entre janvier 2021 et décembre 2022.
Une chasse aux migrants « systémique »
« Les arrestations se passent principalement dans 7 quartiers de Rabat : Youssoufia, Takkadoum, Hay Nahda, Medina, Qamra, J5 et Souissi ».
Le GADEM précise dans cette note que les zones où les arrestations se passent sont principalement 7 quartiers de Rabat : Youssoufia, Takkadoum, Hay Nahda, Medina, Qamra, J5 et Souissi, et note que « la plupart de ces arrestations s’opèrent dans la rue. Certain·e·s témoignent également d’arrestations à domicile ».
« Dans les deux cas, les personnes ciblées sont arrêtées sans contrôle préalable de leur identité ou de leur situation administrative. Les témoignages recueillis par le GADEM montrent également qu’à ce stade, aucune des personnes arrêtées n’a été informée, ni des motifs de son arrestation, ni de ses droits », peut-on lire dans le document.
Non seulement des arrestations arbitraires mais aussi parmi les personnes arrêtées, 12 témoignages recueillis par le GADEM expliquent l’usage de la violence de la part des forces de l’ordre lors de l’arrestation, dont 4 personnes qui ont été blessées au cours de ces opérations.
« Les arrestations à Rabat ont eu lieu pratiquement quotidiennement, et ne viseraient que des personnes noires non marocaines ».
Si le cadre juridique marocain ne donne aucune définition claire des « arrestations » ou de ses modalités de mise en œuvre, il précise les garanties procédurales à respecter : l’article 23 de la Constitution marocaine de 2011 consacre que « nul ne peut être arrêté […] en dehors des cas et des formes prévus par la loi » et l’article 66 (alinéa 2) du Code de procédure pénale 2 précise que toute personne arrêtée doit, immédiatement et de manière à ce qu’elle puisse comprendre, être informée des motifs de son arrestation et de ses droits. Pourtant d’après les témoignages recueillis par le GADEM, ce cadre ne semble pas avoir été respecté et ce, de manière systématique.
Dans le même sens, la note souligne le fait que « les arrestations à Rabat ont eu lieu pratiquement quotidiennement et de manière collective et celles-ci ne viseraient que des personnes noires non marocaines ».
Conduites au commissariat et déplacements forcés
Ces migrants arrêtés sont généralement conduits vers des lieux où ils sont privés de leur liberté et où ils sont obligés de rester plusieurs heures avant d’avoir l’autorisation de liberté, selon les témoignages du GADEM ils ne sont pas informés ni des raisons de leur arrestation ni de leurs droits.
« Après avoir été arrêtées, les personnes sont ensuite emmenées à pied ou, selon la distance, placées dans des véhicules (généralement type fourgon). Ces véhicules sont remplis au fur et à mesure des arrestations dans les différents quartiers de Rabat, puis conduits vers ce que le GADEM a choisi de nommer un « lieu de rassemblement » ou directement vers le commissariat central», ajoute la même source.
La note ajoute qu’au niveau des commissariats, d’après les informations collectées, au moins 144 personnes sur les 240 à avoir été conduites dans un commissariat, ont fait l’objet d’un contrôle d’identité, d’une vérification de leur situation administrative, ainsi que d’une prise d’empreintes et de photos. Toujours d’après les témoignages reçus, ce n’est qu’à ce stade que les autorités opèrent une forme de contrôle des situations individuelles.
Parmi ces 240 personnes, 8 ont été relâchées au commissariat central dont 5 personnes demandeuses d’asile enregistrées au niveau du HCR, 2 femmes et 1 personne détentrice d’un titre de séjour.
Ces personnes conduites au commissariat central sont soit relâchées, soit déplacées de force vers d’autres villes au centre du Maroc. Parmi les 420 personnes arrêtées, le GADEM a pu comptabiliser au moins 328 personnes déplacées de force à l’intérieur du territoire marocain à la suite de leur arrestation. Pour ce faire, elles sont placées dans des bus qui sont stationnés devant les commissariats, pour être emmenées vers d’autres villes sans qu’elles y aient consenti. Selon la même source, les bus déposent généralement les personnes au fur et à mesure du trajet vers la ville de destination: à l’entrée des villes, en bord de route et parfois dans des lieux déserts, loin des villes. Il s’agit généralement de Tiznit, Beni mellal, Errachidia, Safi, Ben Slimane ou encore Agadir…
Mohamed Keita, président de la Plate-forme des associations et communautés subsahariennes au Maroc (ASCOMS) avait déclaré à ENASS dans une précédente interview nous avait confirmé cette situation :
« Les arrestations se poursuivent à un rythme soutenu. Elles concernent les migrants pouvant se trouver dans les quartiers de Youssoufia, Takkadoum, la Zone industrielle et Hay Nahda. Les personnes arrêtées subissent le déplacement forcé vers Tiznit au sud du Maroc. Les arrestations touchent même des personnes en situation régulière disposant de leurs papiers », affirme-t-il.
M. Keita a lui-même fait l’objet d’arrestations : « J’ai fait l’objet de trois interpellations par les agents de l’autorité locale et de la police. On a voulu m’arrêter alors que j’ai présenté ma carte de séjour valide. En fin de compte, ils m’ont relâché. Aujourd’hui, les migrants subissent dans ces quartiers des humiliations continues. Les personnes étrangères vivent désormais dans la hantise d’une arrestation ou d’un déplacement. Un même migrant peut être arrêté jusqu’à 4 fois par mois », alerte-t-il.
Le GADEM précise aussi que lors de ces campagnes d’arrestation et de déplacement forcé, des migrants de catégories spécifiques subissent le même traitement, à savoir des réfugiés reconnus par le Bureau des réfugiés et apatrides, des personnes en situation administrative régulière, des demandeurs d’asile, des femmes et même des enfants.
Quel est le cadre légal de ces actions ?
A travers cette note, le GADEM a mis l’accent sur le fait que ces arrestations quotidiennes dans certains quartiers de Rabat, ont poussé les personnes à s’installer dans d’autres villes alentours, en précisant que ces pratiques observées ont un impact direct sur la liberté de circulation de ces personnes dans la ville de Rabat.
Ensuite, il s’interroge sur le cadre légal et les motifs de ces pratiques observées sur le à Rabat qui se font de manière collective et qui visent uniquement les personnes noires non marocaines sans aucun autre fondement manifeste.
Cette note basée sur des témoignages de ressortissants non marocains, explique bel et bien que les arrestations et les déplacements forcés ne se limitent pas aux villes frontalières du Maroc. La ville de Rabat est notamment connue pour les arrestations fréquentes et ces actes sont souvent accompagnés de mauvais traitements et de violations flagrantes des droits humains. Pourtant, certains migrants sont en possession de leur carte ou d’une preuve de leur résidence légale (document du HCR) au moment de leur arrestation.
Pour rappel, le Collectif des communautés subsahariennes au Maroc avait aussi publié une note de plaidoyer dans laquelle il avait mis l’accent sur ces opérations de déplacements et d’arrestations qui illustrent de vraies infractions de loi et des politiques migratoires commis par le Maroc tout en revendiquant l’urgence de « la mise en place d’un système de contrôle approprié des activités des fonctionnaires d’Etat et des agents de sécurité en ce qui concerne les arrestations, les détentions, refoulement et le traitement des migrants ».
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