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Recherches : Sur les pas de Fatima Mernissi

Droits des femmes et recherche académique au Maroc, était le sujet d’un débat animé lors du Cycle Fatima Mernissi lors du Salon international de l’édition et du livre (SIEL). Synthèse d’échanges stimulants…

Les chercheuses et professeures universitaires Myriam Cherti, Nassima Moujoud, Zhour Bouzidi, Leila Bouasria et Hayat Zirari ont passé en revue l’état des lieux de la recherche académique au Maroc liée à la condition féminine. Ce débat tenu sur le thème: “Où en est la recherche académique sur les femmes marocaines ?”, s’inscrit dans la pensée féministe de Fatima Mernissi  et en hommage à cette figure majeure de la sociologie au Maroc et dans le monde. Cette nouvelle génération de chercheuses reprend le flambeau, à leurs manières. 

Mernissi, une pensée à contre-courant 

« Mernissi a beaucoup apporté avec ses travaux et sa pensée a structuré le travail de recherche sur les femmes et par les femmes».

Chadia Arab, géographe, chargée de recherche au CNRS-France.

« Fatima Mernissi a beaucoup apporté avec ses travaux et sa pensée. Elle a réussi à structurer le travail de recherche sur les femmes et par les femmes», affirme Chadia Arab, géographe, chargée de recherche au CNRS-France qui a assuré la modération de ce débat.

« Elle a été à contre-courant de la pensée majoritaire qui a souvent mis l’accent sur des femmes souvent représentées comme des victimes. Elle a travaillé avec une pensée féministe, engagée et égalitaire, et s’est autorisée à écrire sur des sujets qui pouvaient fâcher, comme la religion, la politique ou autres. Elle était courageuse, travailleuse, audacieuse et a su initier une lecture féministe d’un savoir académique féminin et initier une génération de chercheures au Maroc, mais aussi dans le monde arabe et ailleurs », a-t-elle poursuivi.

« Mernissi est pionnière sur un ensemble de sujets et d’analyses. Ce sont les transmissions de la génération qu’elle a étudiées qui ont influencé son parcours ».

Nassima Moujoud, Université de Grenoble- France. 

C’est dans ce sens que vient cette rencontre avec ces chercheuses afin de se projeter sur de nouveaux thèmes qui valorisent et émergent les travaux sur la condition féminine au Maroc.

«Fatima Mernissi est pionnière sur un ensemble de sujets et d’analyses. Ce sont les transmissions de la génération qu’elle a étudiées qui ont influencé son parcours », souligne Nassima Moujoud, professeure de conférence en anthropologie à l’Université de Grenoble. Ses travaux portent sur le genre, la production sur les discours autour de l’emploi, de la mobilité et de la sexualité dans le contexte du Maroc et de la France. 

Articuler le majoritaire et le minoritaire 

Débat « Où en est la recherche académique sur les femmes marocaines ?” organisé dans le cadre du Cycle Fatima Mernissi lors du Salon international de l’édition et du livre (SIEL).

« Pour ces raisons, je mappuyais sur les travaux de Mernissi durant mon parcours d’étudiante au Maroc. Ce parcours a amené la question du rapport entre minorité et majorité, notamment entre amazighe et arabophone dans le contexte de l’indépendance de l’État marocain. Cette articulation entre majoritaire et minoritaire était une perspective qui va se retrouver dans mon parcours en France où je rencontre un ensemble de Marocaines parties seules, veuves ou divorcées et je m’étonne de l’absence de travaux identifiant leur présence », explique Nassima Moujoud.

Dans le contexte marocain, elle explique que c’est la migration rurale de l’Atlas vers Casablanca (80-90) dans le recrutement de jeunes domestiques qui se retrouvent seules ne maîtrisent pas l’arabe, en situation minoritaire d’exploitation et parfois de violences. Le contexte français fait émerger cette articulation entre précarité, autonomie et domination dans le cas de femmes sans papiers qu’elle a accompagnées pour l’informer de leur lutte pour avoir des droits en France.

Des objets nouveaux : Femmes rurales et femmes migrantes  

De son côté, Myriam Cherti, chercheure au Centre des politiques migration et société à Londres, a choisi ce sujet du fait de la faiblesse des recherches sur cette communauté venue dans les années 60 au Royaume-Uni. Elle a découvert deux spécificités particulières à cette migration qui vient principalement du Nord du Maroc, mais qui n’est pas structurée, avec une migration féminine précoce (des célibataires, veuves, …) parties en premier avant de faire venir leur famille.

« Ce fut un contre-courant par rapport à toute la littérature qu’on retrouve où la femme marocaine est devenue visible en fin des années 70 et début 80 avec le regroupement familial. C’est là où j’ai commencé mes recherches, tout en m’inspirant des travaux de Fatima Mernissi, en dehors des références étrangères, qui évoquent ce capital social ».

« Ces femmes ont un savoir-faire extraordinaire dans divers domaines».

Zhour Bouzidi, Université Moulay Ismail- Meknès 

Dans le même sens, Zhour Bouzidi, professeure à l’Université Moulay Ismail de Meknès et chercheuse, en entreprenant des travaux de recherches sur l’agriculture, la gestion des ressources naturelles et la ruralité de manière globale, s’est vite rendu compte que ces univers sont toujours associés à la masculinité. Les femmes sont, généralement, confinées aux tâches domestiques.

« En faisant du terrain dans le rural, on s’aperçoit de l’importance de l’activité productive féminine, dans les champs, l’élevage, les activités génératrices de revenus, en plus des tâches domestiques », a-t-elle expliqué. D’où l’idée d’effectuer des recherches sur les voies d’autonomisation des femmes dans le monde rural.

Et d’ajouter : « Ces femmes ont un savoir-faire extraordinaire dans divers domaines », faisant remarquer que dans le travail rémunéré, dans les chaînes alimentaires ou autres, ces femmes sont centrales malgré les conditions défavorables dans lesquelles elles exercent.

« L’intéressant dans les parcours de ces femmes précaires, c’est qu’elles se situent entre le formel et l’informel, à travers des métiers très peu reconnus en zones rurales et urbaines ».

Leila Bouassria, Université Hassan II- Casablanca   

Leila Bouasria, enseignante-chercheuse en sociologie à la Faculté des lettres et des sciences humaines d’Ain Chock, Université Hassan II de Casablanca, s’est intéressée au changement de ces rapports de genre dans des situations de précarité, qui va au-delà des dimensions économiques. Selon elle, souvent le travail des femmes était vu comme un facteur de changement de ces mutations, en mentionnant que « ce qui est intéressant dans ces parcours précaires, est que ces femmes se situent entre le formel et l’informel, à travers des métiers très peu reconnus et reconnaissables, non seulement dans les zones rurales, mais aussi urbaines ». Les travaux de Leila Bouasria portent sur la répartition des rôles au sein du couple marocain et précisément chez les ouvrières marocaines. Avec d’autres de ses collègues, ils ont publié « Migration féminine à Casablanca : Entre autonomie et précarité » (La Croisée des chemins, 2020). 

Les différentes intervenantes s’accordent sur l’héritage intellectuel foisonnant de Mernissi comme pour le départ d’une recherche académique ancrée et située…

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