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Saïda Menebhi, toujours

Les éditions Premiers matins de novembre viennent de rééditer les textes poétiques et journalistiques de la militante d’Ilal Amam Saïda Menebhi.

Près de cinquante ans après sa mort en prison des suites d’une grève de la faim, le nom de Saïda Menebhi est toujours vif. « Le peuple marocain se souvient de Saïda Menebhi comme “la fleur des militantes”. Pour le poète Abdellatif Laâbi, un des fondateurs de Ilal Al Amame, elle restera “la petite étoile irrépressible”. » Aujourd’hui, ses textes d’une sensibilité et d’une colère intactes résonnent avec une particulière intensité.

Depuis cinquante ans, les poèmes, les lettres, les écrits de Saïda Menebhi voyagent entre l’Europe et le Maroc. Ce sont les Comités de lutte contre la répression au Maroc qui les ont publiés, en France, en Belgique, en Suisse et aux Pays-Bas, en décembre 1978, un an après sa mort. Il a fallu attendre 2000 pour que ces textes soient réimprimés au Maroc, aux éditions Feed-Back. Puis encore, en France. Et à chaque lecture, le choc.

Contre ce qui blesse l’humain

« je veux rompre ce silence
humaniser ma solitude
ils m’ont désœuvrée
pour que rouille ma pensée
et que gèle mon esprit.
mais tu sais toi que je chéris
que tel un volcan qui est en vie
tout en moi est feu
pour brûler les lourdes portes
tout en moi est force
pour casser les ignobles serrures
et courir près de toi
me jeter dans tes bras. »

Les poèmes, présentés en ordre chronologique, sont la chronique de l’incarcération, et leur lecture, connaissant la fin horrible de leur autrice, est bouleversante. « Regardez-moi donc / mes sourires de douleur / vous sont-ils étrangers ? » Saïda Menebhi évoque son compagnon, s’attache aux souvenirs de bonheur, crie son refus de l’injustice, des guerres impérialistes partout dans le monde, Vietnam, Palestine, Chili…, de la torture, de tout ce qui blesse l’humain. Des mots simples, un rythme limpide, qui dissout le slogan en évidence. « Parole hiéroglyphe de mon cœur / tracée avec la plume du sang […] je deviens instant / je deviens victoire ». Ces textes épurés résonnent avec la simplicité des lettres présentées, où elle évoque son quotidien à sa famille, demande un vêtement, envoie sa tendresse à ses sœurs.

La seconde partie elle aussi est poignante. Saïda Menebhi y étudie « l’incarcération massive des femmes prolétaires pour délit de prostitution ». « 70 % des femmes qui se trouvent dans les prisons pratiquent la prostitution. Leur âge se situe entre 17 et 40 ans. Presque toutes sont analphabètes. » Elle remet en cause le jugement moral pour souligner la dimension économique et de domination qui enlève tout autre choix aux plus fragiles. Elle insiste sur la convergence des intérêts de classe et impérialistes pour le maintien d’un ordre sexiste, et dénonce « l’utilisation démagogique de la religion » pour l’asservissement des femmes, ainsi que le tourisme sexuel toléré. Sa méthode comme son approche est d’une totale actualité.

Affiche de 1977

En préface à cette édition, l’historienne franco-tunisienne Hajer Ben Boubaker évoque ces souvenirs du Maroc révolutionnaire qui, « fussent-ils furtifs et amputés dans leur chair, continuent pourtant de suivre le pays telle une ombre ». Dans un texte bref mais percutant, elle rappelle l’importance de « la résistance d’un peuple tout à fait prêt à prendre en charge l’autodétermination acquise » et resitue les mots de Saïda Menebhi dans ce vaste élan anti-impérialiste, anticolonial, féministe, pour qui, comme le clamaient au procès de 1977 les cent-trente-huit femmes et hommes poursuivis pour « atteinte à la sûreté de l’État » : « l’insurgé son vrai nom c’est l’être humain ». « Elle a lutté jusqu’au bout contre un pouvoir qui refuse à tout un peuple le droit élémentaire de vie et de liberté », concluaient les Comités de lutte contre la répression. Ces mots, ce combat, sont aujourd’hui plus que nécessaires.

Et vous, vous lisez quoi ?

Kenza Sefrioui

Les bras chargés de fusils, la tête de poèmes
Saïda Menebhi
Premiers matins de novembre éditions, 152 p., 170 DH / 13 €

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