Politique migratoire du Maroc : Un plaidoyer tronqué à Strasbourg
NOTE DE LA REDACTION : Le 20 juin dernier à Strasbourg, à l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) à Strasbourg, à l’initiative de la section marocaine et en collaboration avec le Consulat général du royaume du Maroc à Strasbourg, s’est tenu un débat sur le thème : « Défendre les droits de l’homme au-delà des mers », avec la participation de Imane Lamaoui, députée membre de la section parlementaire marocaine auprès de l’APCE et Driss Yazami, président du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME). Pr Abdelkrim Belguendouz, Universitaire et chercheur en migration apporte un regard critique sur les contenus des présentations marocaines lors de cette rencontre. PARTIE 1
Par ABDELKRIM BELGUENDOUZ, Universitaire à Rabat, chercheur en migration
En juin dernier, une bonne initiative a été prise par la Délégation parlementaire marocaine auprès de l’Assemblée parlementaire du conseil de l’Europe (APCE), qui est composée de parlementaires délégués par les Parlements nationaux européens (avec la participation de pays comme le Maroc qui ont un statut spécifique), alors que le Parlement européen est élu à l’échelle de l’UE.
C’est une très bonne chose que d’ouvrir un débat avec les parlementaires européens sur des sujets d’intérêt commun comme ces volets de la question migratoire.
L’initiative consiste en l’organisation, en partenariat avec le Consulat général du Maroc à Strasbourg, d’une conférence au siège de l’APCE, dans le cadre de la thématique générale : « Défendre les droits de l’homme au-delà des mers ». Le sujet retenu par la partie marocaine est celui de l’expérience migratoire du Maroc et des politiques y afférentes, essentiellement en matière d’immigration et d’asile, avec quelques références aux Marocains résidant à l’étranger. C’est une très bonne chose que d’ouvrir un débat avec les parlementaires européens sur des sujets d’intérêt commun comme ces volets de la question migratoire. Encore faut-il avoir les arguments pertinents, partir de faits réels et non pas supposés, faire référence aux faits même s’ils sont dérangeants au niveau de l’analyse et faire preuve d’une communication adéquate. On regrettera aussi que les diverses interventions qui ont été faites, ne soient pas disponibles, ce qui nous amènera à nous focaliser sur une seule. Dans notre analyse, on se limitera à l’intervention qui a été rendue publique, mais elle est très importante parce qu’elle est due, selon la presse, à la cheville ouvrière de cette rencontre-débat dans l’enceinte parlementaire de l’APCE.
Ambiguïtés et imprécisions
Laisser planer le doute sur le statut colonial de Sebta et de Melilla, surtout lorsqu’elle se limite à parler des « enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla ».
À cette occasion en effet, et au-delà du grand effort fourni sur le plan organisationnel, la députée marocaine organisatrice de la conférence, a fait preuve d’imprécision et de formules équivoquespolitiquement. Ainsi, utiliser la formule concernant le Maroc « en tant que pays situé à la fois en Afrique et en bordure de l’Union européenne » est très ambigu, laissant planer le doute sur le statut colonial de Sebta et de Melilla, surtout lorsqu’elle se limite à parler des « enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla », sans au moins mettre des guillemets à espagnoles, et du « contrôle des frontières » dans cet espace «pour empêcher les passages irréguliers vers l’Europe ».
Pourtant, le 13 octobre 2022, dans une lettre adressée par la diplomatie marocaine au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU au sujet des événements tragiques et mortifères du 24 juin 2022 à Melilla, le Maroc y soulignait que la considération de la séparation avec Melilla comme frontière « hispano-marocaine » est « inexacte » et que Ceuta (Sebta) et Melilla continuent d’être des « présides occupés ». On ne peut parler de frontières mais de « simples points de passage ». Voilà une clarification nette et on aurait souhaité que la diplomatie parlementaire parallèle en fasse autant, ou au moins ne pas être ambiguë.
Faire l’apologie des accords de réadmission Etats membres de l’UE-Maroc n’est pas fait pour rehausser l’image du Maroc en termes de droits humains.
De même, faire l’apologie des accords de réadmission Etats membres de l’UE-Maroc et Maroc-pays africains subsahariens, n’est pas fait pour rehausser l’image du Maroc en termes de droits humains, ni auprès de l’opinion publique africaine, qui a beaucoup apprécié pourtant l’avènement de la Nouvelle politique migratoire du Maroc : « Le Maroc a signé plusieurs accords de réadmission avec d’autres pays, ce qui facilite le retour des migrants en situation irrégulière dans leurs pays d’origine ». Est-ce aussi une « compréhension » de l’insistance de l’Union européenne à voir le Maroc signer avec elle un accord général ou communautaire de réadmission, ce qu’il refuse officiellement de faire depuis pratiquement vingt-deux ans, malgré les multiples pressions et chantages multiples, y compris à l’aide au développement et avec des conditionnalités multiples à chaque négociation, quel que soit le domaine de coopération.
Par ailleurs, il est inexact de relier la réforme du code de la nationalité à la Nouvelle politique migratoire du Maroc lancée par le souverain à l’automne 2013, en disant qu’«en 1019, le Maroc a révisé son code de la nationalité afin de faciliter l’acquisition de la nationalité marocaine pour certaines catégories de migrants, notamment les enfants nés de parents marocains à l’étranger ». La révision du code de la nationalité dans ce sens a eu lieu en fait QUINZE ANNÉES auparavant, en 2007, suite à la décision prise par le roi Mohammed VI à travers le discours du Trône du 30 juillet 2005, ce qui n’est pas la même chose. Le projet du nouveau code de la nationalité a été présenté à la Chambre des conseillers symboliquement un 8 mars, Journée internationale de la femme et la réforme s’est faite par le biais de la loi 62-06 du 23 mars 2007.
Contraire aux faits
L’intervention de la députée a continué avec un objectif louable, celui de mettre en avant les progrès réalisés par la politique marocaine d’immigration, par le biais notamment de la mise à niveau juridique, en particulier par ( citons la phrase) «l’adoption en 2018 d’une nouvelle loi relative à l’entrée et au séjour des étrangers sur le territoire marocain, qui vise à réguler l’immigration et à garantir les droits des migrants, notamment en matière de protection sociale, d’accès aux soins de santé et d’éducation ».
Or l’affirmation précédente est complètement erronée, bâtie sur un fait totalement inexact.Jusqu’à maintenant, fin juin 2023, contrairement à ce qui a été avancé lors de la rencontre au sein du siège de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, il n’y a eu aucune adoption d’une loi rectificative de la loi 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au royaume du Maroc, à l’émigration et l’immigration irrégulière, publiée au Bulletin officiel sous le numéro 5162 le 11 novembre 2003 . Le projet de loi 72-17 la concernant, dont la dernière version élaborée par la Délégation interministérielle aux droits de l’Homme, a été remise le 28 décembre 2018 au Secrétariat général du gouvernement ( SGG), n’a jamais dépassé ce stade pour être soumise pour approbation au Conseil de gouvernement, et encore moins pour l’adoption par le Parlement dans ses deux chambres.
Ceci est facilement vérifiable : aucune trace d’un projet de loi n°72-17 adopté par un Conseil de gouvernement ; aucun projet de ce type transmis par l’Exécutif au Parlement ; aucun enregistrement de ce projet de loi par aucun des bureaux des deux Chambres du Parlement marocain; aucune des commissions compétentes en la matière ( commission Justice , Législation et Droits de l’Homme ) ne l’a discuté ni voté; aucune séance plénière dans les deux chambres ne l’a adopté ; aucune promulgation de la loi 72-17 ni sa publication au Bulletin officiel du royaume du Maroc. Alors pourquoi mettre en avant quelque chose qui n’existe pas, d’autant plus que les parlementaires européens, qui connaissent ce qui se passe dans les pays du voisinage, ne sont pas dupes et naïfs !? Il y a loin d’un projet de loi à une loi en la matière, même lorsqu’on procède par la magie ! Mais lorsqu’on donne de la crédibilité en publiant en l’état ce genre d’intervention sur le site officiel de la Chambre des représentants, certains peuvent être induits en erreur, en faussant les faits eux-mêmes, les informations sur le travail parlementaire, ainsi que les données du débat public, dans la mesure où cette nécessaire réforme reste une demande pressante, toujours d’actualité notamment pour la société civile au Maroc. On aimerait bien avoir sur ce plan, prochainement, une information réelle sur une adoption prochaine de la loi réformant de manière profonde la loi 02-03… Cela ne dépend que des parlementaires eux-mêmes, puisque le gouvernement ne veut pas assumer ses responsabilités.
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Blocage de la Nouvelle politique migratoire
Un blocage par le département ministériel le plus concerné, à savoir le ministère de l’Intérieur qui met en quelque sorte son veto.
En effet, si les choses n’évoluent pas positivement, alors que ces réformes juridiques sont inscrites comme obligation dans la Stratégie nationale d’immigration et d’asile ( SNIA) adoptée par le Conseil de gouvernement du 18 décembre 2014, c’est de notre point de vue, en raison d’un blocage par le département ministériel le plus concerné, à savoir le ministère de l’Intérieur qui met en quelque sorte son veto, pendant que les chefs de gouvernements successifs, y compris l’actuel, n’ont pas joué leur rôle, en assurant l’arbitrage et en prenant des décisions en tant que, d’après la Constitution, CHEF du gouvernement .
Ce statu quo arrange les gestionnaires du dossier de l’immigration étrangère, permettant au Maroc d’assumer son rôle dans le cadre de l’externalisation des frontières de l’UE. Celle-ci finance cette externalisation, contribuant à repousser les limites de l’espace Schengen jusqu’au Maroc ( et au-delà) à coup de programmes destinés officiellement, selon la rhétorique dominante, à «lutter contre les réseaux de traite et de trafic d’êtres humains » . Ce statu quo est commode pour le département concerné, en lui permettant de parler du caractère « légal » et de «procédures encadrées par la loi » s’agissant d’un certain nombre de mesures administratives répressives intensives prises, comme les transferts violents et forcés de migrants du Nord vers le Sud où le centre du Maroc pour contrer et combattre les migrant-e-s désireux de rejoindre l’Europe.
L’absence d’une loi sur l’asile a, quant à elle, été complètement occultée par l’intervention à Strasbourg, alors que la nécessaire adoption du projet de loi n°66-17 en la matière est une urgence absolue. Précisons que préalablement à l’adoption des deux projets de loi, une vaste consultation de la société civile, qui n’a jamais eu lieu, devrait être organisée démocratiquement.
Il est fort regrettable à ce propos, qu’aucun des membres de la délégation parlementaire marocaine et de son invité en tant qu’expert principal ( le président du CCME et ex-président du Conseil national des droits de l’Homme CNDH) en plus du Consul général, n’ait attiré l’attention notamment sur cette erreur factuelle flagrante concernant la loi 02-03, l’oubli de la loi sur l’asile et l’imprécision concernant la réforme du code de la nationalité, dans la mesure où l’intervention est encore publiée à ce jour, sans aucune modification, notamment sur le site officiel de la Chambre des représentants à Rabat, qui a même levé l’anonymat et personnalisé en quelque sorte les choses sous le titre : «Mme la députée Imane Lamaoui expose au sein de l’APCE l’expérience du Maroc en matière de migration ». Ce faisant, elle s’expose au débat démocratique, serein et responsable.
Parmi ses ouvrages : Belguendouz A (2021), Maroc, réservoir de talent et de compétences…Pour l’UE. Alerte au nouveau pacte européen CONTRE la migration et l’asile…des Africains, Rabat. Parmi ses articles: Expansion et sous-traitance des logiques d’enfermement de l’Union européenne : l’exemple du Maroc(2005).