Cœurs brisés, le combat des mamans de migrants
Les embarcations emportant à leur bord des jeunes en quête d’un avenir meilleur continuent à traverser la Méditerranée. Un exode qui entraîne trop souvent la mort ou la disparition en pleine mer. Des familles de migrants disparus originaires du Maroc et de la Tunisie ont participé à la 5éme édition du Forum social maghrébin des migrations à Nador afin de porter leur voix. Récit.

La 5ème édition de ce forum social maghrébin des migrations, tenue à Nador du 22 au 24 juin dernier, a consacré tout un volet à la disparition des migrants en mer, des familles venant de la Tunisie et du Maroc, dont la majorité sont des mères, se sont présentées afin de parler de leur combat et de revendiquer justice et vérité.
Sort inconnu: des fils disparus et des familles en lutte
Hamdy, jeune Tunisien disparu il y a près de trois ans, est sorti le 25 juillet 2020. Sa mère, Awatef, se souvient du dernier moment où elle l’a vu. Hamdy était mécanicien au sein d’une embarcation, selon sa mère la première information qu’elle a eue après sa disparition était son arrestation avec son équipe en Italie pour accusation de transport illégal de migrants dont cinq mineurs.
«On m’a communiqué plusieurs versions, dont une où on m’a expliqué que Hamdy a été transporté par hélicoptère à l’hôpital, ensuite ils ont dit qu’il s’est échappé de l’hôpital alors que personne du personnel ne nous a contactés pour nous informer», souligne Awatef.
Face aux rumeurs qui leur parviennent et dans l’absence de toute information ou soutien de la part des institutions officielles, les familles se retrouvent régulièrement à mener leur combat seules en tentant d’obtenir des réponses, souvent sans résultat.
C’était le cas d’ailleurs pour Awatef, dont le mari est parti jusqu’en Italie en suivant les traces et les informations obtenues afin de connaître le sort de son fils, mais en vain.
«Je suis là pour porter la voix de toutes ces mères des migrants tunisiens disparus qui souffrent en silence»
Awatef, mère d’un migrant tunisien disparu en mer.
Aujourd’hui cette mère exige vérité et justice pour son fils puisqu’elle ne sait plus quelle version croire. En Italie, on l’a informée que cette embarcation n’est pas arrivée sur le sol italien.
«J’avais entendu qu’il y a eu une dispute au sein de l’embarcation et une personne a été tuée et ensuite jetée dans la mer», affirme la mère.
Et d’ajouter : «On a porté plainte en Italie et en Tunisie, mais sans résultat, ça fait trois ans que je mène cette lutte, et aujourd’hui je suis là au Maroc afin de parler de l’histoire de mon fils et d’être la voix de toutes ces mères des migrants tunisiens disparus qui souffrent en silence».
«Ces mères mènent ce combat ça fait des années, on a des disparus depuis 2008, 2009… On veut savoir le sort de nos enfants, il faut que les états réagissent et prennent au sérieux ce dossier, on ne va jamais abandonner notre cause», conclut Awatef.
«Ces familles veulent la vérité, la justice ainsi elles indignent ces politiques migratoires européennes».
Hassan Ammari, président de l’association d’Aide aux migrants en situation vulnérable (AMSV)
Dans le même contexte, Hassan Ammari, président de l’association d’Aide aux migrants en situation vulnérable, explique que pour la première fois les familles de migrants disparus se présentent lors de ce forum, et cette présence est venue pour refléter l’importance de ce dossier.
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«Ces 28 familles de migrants disparus présents aujourd’hui ne sont qu’un petit échantillon d’un grand nombre qui porte ce combat. Aujourd’hui on veut mettre en lumière cette cause pour que ça soit plus visible à l’opinion publique, puisque ce n’est plus une cause sociale mais politique et les États maghrébins doivent assumer leur responsabilité et traiter ce dossier», explique le militant.
«Ces familles veulent la vérité, la justice ainsi elles indignent ces politiques migratoires européennes», conclut-il.
Des mères courage: combattre l’absence, exiger la justice

Durant les témoignages, beaucoup de personnes se laissent envahir par l’émotion quand elles racontent l’histoire de leurs proches disparus. Mais dans les discours, elles dénoncent le manque de réactivité de leurs États respectifs, les politiques européennes et les restrictions à la liberté de circulation qui poussent sur la voie de l’immigration dite irrégulière.
Les larmes aux yeux, Fatima nous livre un témoignage émouvant au sujet de son fils Achraf, âgé de 23 ans. Le 22 août 2021, il a quitté la ville de Saïdia, située dans la province de Berkane (la Région de l’Oriental au Maroc), à bord d’un jetski. Depuis ce jour, Fatima vit dans l’incertitude la plus totale, ignorant le destin qui a frappé son enfant.
«Il est parti avec un de ses amis et son cousin. On nous a dit que son ami est emprisonné en Algérie mais aucune nouvelle sur mon fils et son cousin. J’ai contacté l’administration des prisons en Algérie mais ils ont refusé de me donner des informations. Ainsi, j’ai pris un avocat en Espagne mais le résultat reste le même: aucune nouvelle», affirme-t-elle.

«Nous avons organisé plusieurs sit-in devant le ministère des Affaires étrangères à Rabat, mais ils n’ont jamais fait un vrai pas, ils se contentent de venir nous demander que quatre ou cinq membres mentent pour un dialogue avec les responsables mais ils ne font rien ils ne veulent pas qu’on soit unies».
«Mon pays ne m’a pas donné de chance».
Achraf, migrant disparu depuis 2020
Le poids de l’inconnu pèse lourdement sur son cœur de mère, et chaque instant qui passe est marqué par l’absence insupportable d’Achraf. Fatima cherche désespérément des réponses et est tourmentée par une multitude de questions, mais malgré tout, son amour inconditionnel demeure, transcendant les limites du temps et de l’espace.
Achraf ne souhaitait pas quitter son pays, mais la déception s’est emparée de lui, murmurant que son pays ne l’avait pas accepté. Il exprimait sa détresse et son désespoir en disant à sa mère : «Mon pays ne m’a pas donné de chance». Pour cette mère, il est essentiel de souligner que ce sont les circonstances difficiles qui poussent tant de jeunes à risquer leur vie en traversant la mer à la recherche d’un avenir meilleur. Les fruits amers de l’inégalité et de l’injustice sociale sont les forces invisibles qui les poussent à franchir ces eaux dangereuses.
«Derrière chaque voyage incertain se cache l’espoir de trouver une terre accueillante et des opportunités équitables».
Fatima, mère d’un migrant marocain disparu en mer.
«Derrière chaque voyage incertain se cache l’espoir de trouver une terre accueillante et des opportunités équitables. Les véritables responsables de ces voyages périlleux ne sont pas ces jeunes en quête d’un avenir meilleur, mais plutôt les conditions qui les poussent à prendre de tels risques», conclut Fatima.
Dans l’attente de retrouver Achraf, Fatima s’accroche à l’espoir, faisant preuve d’une force et d’une détermination inébranlables pour connaître le sort de son enfant disparu.
Au milieu de leur douleur et de leur combat acharné, ces mamans de migrants disparus continuent de se battre, portées par un amour inconditionnel et une détermination inébranlable. Ensemble, elles forment une force puissante, unissant leurs voix pour réclamer justice et pour que leurs enfants ne soient pas oubliés. Leur courage et leur résilience sont une source d’inspiration pour tous, rappelant que derrière chaque chiffre et chaque statistique se trouvent des vies, des histoires et des familles brisées. Ces mamans, unies par une même douleur, sont les véritables héroïnes de cette lutte et elles ne cesseront jamais tant que la justice ne sera pas rendue.