Actualités, MIGRATIONS

Au point zéro Expulsé·e·s d’Algérie au Niger

Depuis le début de l’année, le nombre de ressortissant·e·s d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale expulsé∙e∙s depuis l’Algérie et laissé∙e∙s-pour-compte dans le désert nigérien est en augmentation. Médecins du Monde dénonce une situation humanitaire alarmante qui est en partie liée aux politiques d’externalisation des frontières de l’UE en matière migratoire.

Crédit Photo: Photo: Souleymane Galadima/OIM 2023 ( Niger PBN Photo) 

Entretien : Dr. Toupou Lancinet, Coordinateur Général de Médecins du Monde au Niger

Par Pauline Fischer
Est-ce que tu peux décrire la situation actuelle dans le Nord de la région d’Agadez et plus précisément à Assamaka ?

Médecins du monde intervient depuis 2014 dans la région d’Agadez au Niger et plus précisément dans la commune d’Agadez. Nous suivons de près ce qui se passe à Assamaka, village qui se trouve dans la région frontalière entre le Niger et l’Algérie, où les personnes arrivent après avoir été expulsées d’Algérie. Depuis janvier 2023, de plus en plus de personnes migrantes arrivent dans la zone, et les organisations actives sur place sont complètement dépassées. Aujourd’hui, l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), Médecins du Monde, Médecins Sans Frontières (MSF), la coopération italienne (COOPI) et d’autres organisations n’arrivent plus à faire face à cette situation. Le manque de personnel qualifié et de ressources (nourriture, eau potable, vêtements, structures sanitaires, etc.) est de plus en plus criant et la situation des populations migrantes est extrêmement vulnérable.

Qui sont ces personnes qui arrivent à Assamaka ?

Pour arriver à Assamaka, elles doivent marcher au moins 15 kilomètres.

On rencontre des hommes, des femmes seules ou avec enfants, des mineur∙e∙s non accompagné∙e∙s, qui ont parfois moins de cinq ans. En général ces personnes sont déplacées par les autorités algériennes dans le désert, au milieu de nulle part. Pour arriver à Assamaka, elles doivent marcher au moins 15 kilomètres.

Ce périple se fait dans des conditions extrêmement pénibles : les températures dépassent souvent les 40 °C.

Ce périple se fait dans des conditions extrêmement pénibles : les températures dépassent souvent les 40 °C. Elles n’ont ni équipement, ni protection.  Sur le trajet, il n’existe pas de panneaux d’indication leur permettant de s’orienter. Elles s’égarent donc parfois dans le désert, ce qui a parfois des conséquences néfastes. Une fois à Assamaka, elles s’ajoutent aux groupes de migrants déjà sur place, qui cherchent eux-aussi un logement. Et les organisations humanitaires sont complètement dépassées.

Quels sont les besoins les plus urgents ? Et comment tentez-vous d’y répondre ?

Nous menons une intervention d’urgence afin de répondre aux besoins les plus urgents, comme favoriser l’accès à la nourriture, ou à l’eau potable. Ces personnes migrantes ont aussi besoin de soins de santé. Elles arrivent fatiguées, assoiffées et épuisées. Elles n’ont pas bénéficié de soins médicaux depuis des semaines. Nous menons des consultations et apportons un soutien psychologique, en collaboration avec les autorités sanitaires de la ville.

Les personnes que nous rencontrons sont marquées : regard vide, situation de détresse extrême. Certaines d’entre elles ne comprennent rien. Notamment les enfants. Ces gens ont tout perdu. Ils ont quitté leurs proches. Ils n’ont plus de téléphone. Ils n’ont plus de contact avec leurs parents, leur famille. Nous leur apportons un soutien psychologique. Deux psychologues de Médecins du Monde identifient, en coordination avec les autres collègues, les besoins de ces personnes en détresse. Deux personnes, qui doivent prendre en charge la souffrance de milliers de personnes migrantes. Le temps dédié à chaque personne et le suivi sont donc extrêmement limités. Nous avons du personnel compétent et professionnel, mais nous n’avons pas assez de ressources. 

On constate enfin d’autres problèmes de santé, liés au fait de ne pas manger, de ne pas boire, au manque d’hygiène, au stress : céphalées, problèmes gastriques, problèmes dermatologiques, etc.

Quand avez-vous réalisé que la situation est aggravante et dépasse même ce que l’on a pu observer ces dernières années ?

Les dynamiques d’arrestations et d’expulsion ne sont pas récentes. Par contre, ce qui est récent, c’est ce pic d’arrivées qui fait que nous n’arrivons plus à répondre aux besoins des communautés hôtes et des populations migrantes. Par exemple, la capacité du centre de transit d’Assamaka de l’OIM est d’environ 1400 places.Aujourd’hui, ce centre est complètement dépassé et surpeuplé : 5000 personnes cherchent à y être hébergées. La plupart sont donc en attente. Habituellement, les personnes expulsées d’Algériearrivent d’abord à Assamaka, sont ensuite acheminées à Arlit puis déposées à Agadez. Mais aujourd’hui, très peu d’entre ellesarrivent jusqu’à la ville d’Agadez, faute de moyens de transport et d’hébergement disponibles. La plupart doivent rester à Assamaka ce qui contribue également au surpeuplement du centre de l’OIM.

Ces capacités d’acheminement et de retour sont mis à disposition par les ONG qui opèrent sur place ?

Les ONG répondent à deux cas de figure. Les ressortissant.e.snigérien.n.e.s sont directement acheminées jusqu’à Agadez. Les mineurs non-accompagnés sont renvoyés par les autorités dans leur zone d’origine au Niger. Les adultes sont livrés à eux-mêmeset restent à Agadez. Cette situation mène à une vraie crise humanitaire, les ONG ne pouvant pas répondre aux besoins et à la détresse de ces personnes qui restent à Agadez. Les personnes non-nigériennes (‘personnes migrantes internationales’) souhaitant faire une demande de retour volontaire dans leur pays, sont prises en charge dans les centres de transit de l’OIM, en fonction de la capacité d’accueil, les centres étant régulièrement surchargés. Dans ce cas, elles sont acheminées vers leur pays d’origine. Cependant, depuis l’épidémie Covid-19, le temps de séjour dans ces centres de l’OIM s’est considérablement prolongé un mois à trois mois.

En parlant de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qu’en est-il du respect du droit à la libre circulation d’un bon nombre de ressortissants de pays d’Afrique de l’Ouest… ?

Les politiques migratoires viennent complexifier et parfois menacer certaines traditions et lois de libre circulation au Sahel.

Les politiques migratoires appliquées par différents acteurs dans la région et promues par l’UE, dont fait partie la gestion des frontières notamment au Niger, viennent complexifier et parfois menacer certaines traditions et lois de libre circulation des populations locales au Sahel, qui sont pourtant garantis par le protocole sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement de la CEDEAO. Dans le contexte nigérien, de nombreuses personnes vivent depuis des décennies de ces mobilités transfrontalières. Elles ne souhaitent pas forcément migrer vers l’Europe mais plutôt aller travailler en Algérie ou en Libye, au Tchad, en Côte d’Ivoire ou encore au Mali, en fonction des saisons. Toutes ces mobilités sont déséquilibrées par le gestion actuelle des frontières. Cela entrave l’une des bases vitales des communautés du Sahel. Dans ce contexte, l’externalisation des frontières de l’Union européenne (UE) joue un rôle décisif. Ces politiques de l’UE ont un lien direct avec ce qui se passe aujourd’hui entre l’Algérie et le Niger : elles créent un déséquilibre au niveau du déplacement des personnes ets’opposent au droit à la libre circulation au sein des pays membres de la CEDEAO. De plus, ces politiques n’assurent pas la protection et la dignité de ces personnes migrantes vulnérables.

Comment la population locale sur place est-elle impactée par ces dynamiques-là ?

C’est justement ce qui nous inquiète. Les communautés locales ont développé des mécanismes de résilience face à la situation. Et elles sont habituées à voir de nombreux migrants arriver dans leur région. Mais face au nombre croissant de migrants expulsés d’Algérie qui arrivent ces mois-ci, nous craignons de réelles tensions entre ces deux communautés. 

Prenons l’exemple d’Assamaka, où le nombre d’habitants actuels a doublé ou même triplé. Les personnes migrantes sont hébergées dans le seul centre de santé du village. Du coup, aujourd’hui, il n’est plus suffisamment accessible aux communautés locales. Elles ne peuvent plus faire vacciner leurs enfants, ou se faire soigner. De plus, suite au manque d’abri, les personnes migrantes occupent l’espace public. Ce qui crée engendre un risque au niveau de la cohésion sociale, mais aussi au niveau de la santé. Le manque d’accès aux infrastructures sanitaires, à l’eau potable, etc., pourrait favoriser l’apparition d’épidémies. Enfin, ces personnes vivant en rue sont aussi particulièrement exposées aux risques de violences et d’exploitation.

À qui s’adresse donc votre communiqué de presse ?

Nous nous adressons à l’UE afin qu’elle puisse revoir ses politiques migratoires, qui ont un impact sur ces populations vulnérables. 

D’une part, nous souhaitons informer le grand public au sujet des conditions de vie inhumaines dans lesquelles vivent ces personnesà Assamaka.

D’autre part, nous nous adressons à l’Union européenne afin qu’elle puisse revoir ses politiques migratoires, qui ont un impact sur ces populations vulnérables. Nous l’appelons à assurer la protection des personnes exilées, conformément aux droits humains, au droit international et aux principes humanitaires. 

Enfin, nous nous adressons aux pays membres de la CEDEAO. Nous leur demandons de respecter leur droit à la libre circulation et de garantir la sécurité et la protection des personnes d’origine subsaharienne bloquées au Niger.

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