Sur les traces des ancêtres
Par Fatiha AAROUR
« Faites comme l’arbre, changez vos feuilles et gardez vos racines. Changez vos idées et gardez vos principes. »
Proverbe Tibétain
Épisode 1 Le pays des Aït Hkem : approche panoramique
Ce travail, qui sera publié en épisodes, est le fruit d’une recherche empirique menée sur une confédération de tribus berbères nommée Ait Hkem-Tiddas et située au pied du Moyen Atlas. Il porte sur la période allant de l’époque de la dissidence dite “Siba” (1894-1912) jusqu’à 2018, et constitue une approche monographique explorant l’évolution de ce groupe ethnique dans différents aspects : économique, politique et social.
L’anthropologie n’est pas seulement l’étude de l’autre, elle est aussi une exploration de soi.
Un miroir qui reflète l’image de notre véritable “être”, façonné depuis des siècles par un ensemble d’habitus et de schèmes de pensées. Cet “être” que nous prétendons connaître, le reflet de l’anthropologie nous révèle une facette jusqu’alors méconnue. Ainsi, nous découvrons une autre figure dissimulée au-delà des évidences et des axiomes. Toutes les connaissances du passé deviennent superficielles face à une réalité nuancée qui tantôt nous enchante, tantôt nous déçoit.
Faire de l’anthropologie “chez soi” est une entreprise difficile à accomplir. Cela requiert un effort considérable d’observer et analyser les phénomènes et les rapports sociaux étudiés tout en essayant de maintenir sa neutralité. Pour un anthropologue autochtone, la connaissance parfaite du terrain et la maîtrise de la langue ne sont souvent pas suffisantes.
Le défi principal consiste à se débarrasser des postulats et des préjugés qui pourraient entraver notre capacité à explorer les choses différemment.
À remettre en question et à interpréter les phénomènes de manière critique. C’est un travail qui nécessite une concentration intense et une douloureuse dissociation de notre propre identité.
Travailler sur son propre groupe ethnique, c’est être à la fois chercheur et phénomène étudié, et pouvoir distinguer les deux rôles. C’est la conviction que j’ai acquise en menant cette recherche sur le groupement tribal berbère Aït Hkem Tiddas, auquel j’appartiens. Situé à 100 km à l’est de Rabat, cette population résiste encore aux changements imposés par le pouvoir central et s’attache péniblement à son identité, à son territoire et à sa culture enracinée depuis des siècles.
Tout d’abord, il est important de souligner que les Berbères sont la population autochtone de l’Afrique du Nord, notamment du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie, de la Libye et de la Mauritanie, ainsi que des régions du nord du Mali, du nord du Niger, de l’oasis de Siwa en Égypte, d’une partie du Burkina Faso, ainsi que des villes de Melilla, Ceuta et des îles Canaries. Le terme “berbère” dérive du grec “barbaroi” qui est devenu “barbarus” chez les Romains, avant d’être emprunté par les Arabes et de se transformer en “barbar”. Les Français, quant à eux, ont conservé ce terme en le modifiant pour devenir “berbère”
Une autre hypothèse avance que le terme “berbère” désignait en réalité “les gens dont on ne comprend pas la langue”. L’historien Ibn Khaldoun (1332-1406), qui a consacré une partie importante de son œuvre aux Berbères, souligne que le terme “barbar” aurait été attribué aux autochtones lors de l’arrivée d’un certain Afrikch Ibn Çayfi en Afrique du Nord. Ce roi originaire du Yémen, surpris par cette langue inconnue, aurait prononcé un mot qui aurait signifié la cacophonie, et depuis lors, ce terme aurait remplacé le terme autochtone “amazigh” : “ma aktara barbaratakom” signifiant “quel mélange discordant de voix ! “. Les Berbères, quant à eux, préfèrent s’attribuer l’appellation “imazighen” (singulier : amazigh), qui signifie “Homme libre”.
Le pays berbère a connu, au fil des siècles, un processus de transformation qui a profondément affecté l’identité berbère sur les plans culturel, linguistique, religieux et territorial. Avant la conquête islamique (639-709), la diversité religieuse prévalait en Afrique du Nord, et une grande partie des Berbères pratiquaient des religions païennes ainsi que les confessions chrétienne et juive. Le passé religieux de la région se manifeste dans des pratiques telles que le tatouage et le tissage de tapis, où l’on retrouve des symboles tels que la croix et l’étoile de David, qui étaient même gravés sur d’anciennes pièces de monnaie et présents dans les nattes tissées en palmier nain.
Certains habitus et pratiques culturelles peuvent trouver leurs origines dans les religions ancestrales païennes.
De plus, certains habitus et pratiques culturelles peuvent trouver leurs origines dans les religions ancestrales païennes, comme le rite du sacrifice, la sacralisation du sang et la création de liens fraternels artificiels qui était monnaie courante chez le groupe Zemmour Aït Hkem. Bien que certaines communautés chrétiennes aient résisté à la conversion à l’islam jusqu’au XIIe siècle, la majorité de la population berbère est aujourd’hui musulmane.
Les Berbères du Maroc ont réussi à préserver leur spécificité ethnique malgré le long processus d’islamisation et d’arabisation accentué au fils des années. Leur culture, qui repose essentiellement sur la transmission orale (dans les régions du Rif, du Moyen Atlas, du Haut Atlas, du Souss, etc.), les distingue des autres composantes de la population marocaine. Cette particularité a suscité l’intérêt de nombreuses missions d’expédition qui ont étudié leur société et leurs coutumes bien avant l’époque du protectorat français.
Il convient de noter que l’ancien militaire français Charles de Foucauld, se faisant passer pour un rabbin, a parcouru le Maroc entre 1883 et 1884 et a pu recueillir des informations précieuses sans éveiller de soupçons. Cette expérience a été publiée en 1888 dans un ouvrage intitulé “Reconnaissance au Maroc”. De Foucauld décrit en détail les pays qu’il a visités tout au long de son voyage d’exploration et fournit un texte de référence pour ceux qui s’intéressent à l’histoire, à la sociologie et à l’anthropologie du Maroc, notamment des sociétés berbères.
La recherche académique sur la société berbère au Maroc demeure d’une importance primordiale. Les changements constants qui affectent de manière évidente la culture autochtone nécessitent un intérêt particulier afin de comprendre les mécanismes de ces transformations. Le groupement Zemmour et Aït Hkem suscite de plus en plus l’intérêt de chercheurs qui mènent des travaux académiques sur la région. Historiens, sociologues et anthropologues se sont penchés ces dernières années sur l’étude et l’analyse de leur société d’origine.
En effet, les travaux anthropologiques consacrés au groupement Aït Hkem restent encore insuffisants. Les rares textes disponibles remontent à l’époque coloniale et précoloniale. Il s’agit principalement d’enquêtes menées par des agents de l’administration française, qui ont produit des récits ethnographiques basés sur des informations recueillies auprès d’informateurs, souvent arabophones. Ces données peuvent parfois être déformées ou incomplètes, et leur analyse n’a pas pu échapper aux préjugés et aux enjeux coloniaux de l’époque.
En tant que native moi-même d’une tribu nommée Aït Boumeksa, l’une des dix tribus constituant la confédération tribale Aït Hkem, je me suis engagée dans cette entreprise de recherche. Mon choix et mon engagement sont principalement motivés par ma bonne connaissance du terrain. J’ai grandi ici et vécu jusqu’à l’âge de 16 ans, moment où j’ai dû quitter ma tribu afin de poursuivre mes études secondaires et universitaires.
Ainsi, mon travail s’inscrit dans une démarche monographique visant à explorer tous les aspects de la société Aït Hkem Tiddas, située au pied du Moyen Atlas. Ce massif montagneux, placé entre le Haut Atlas et le Rif, s’étend sur une superficie d’environ 350 km, du sud-ouest au nord-est du Maroc. Le groupement connu sous le nom de “Beni Hakem-Tedders” à l’époque du protectorat français, fait partie de la région de Rabat-Salé-Kénitra, qui est l’une des douze régions du Maroc.
Bien que le groupement Aït Hkem fasse partie du grand groupement berbère Zemmour, les Hkmaouites se considèrent souvent comme une entité indépendante par rapport à leurs voisins, en particulier les Zaïane et les Zemmour. D’ailleurs, certaines sources historiques mentionnent Zemmour et Aït Hkem séparément. Le rapport de la mission scientifique du Maroc sur ses villes et ses tribus du Maroc (1915-1926) fait référence à un événement ayant lieu en 1784 (H.1198), « où Sidi Mohammed Ben Abdellah a dirigé une expédition contre les Zemmour et les Beni Hâkem. Ces derniers se sont réfugiés dans les défilés de Tafoudeït. Le Sultan a levé le camp et est parti pour Marrakech, laissant l’ordre aux Aït Idrasen et au Guerouan de les attaquer à leur descente dans la plaine. Trompés par son départ, les Zemmour et les Beni Hâkem sont sortis de leurs défilés et ont été immédiatement encerclés, leur tribu ayant été pillée. »
Les structures sociales des Hakmaouites ont connu un processus constant de dissociation et de recomposition. Des lignages se sont développés pour devenir de petites tribus, tandis que d’autres petits groupes ont disparu ou fusionné avec d’autres. Il s’agit d’un processus généalogique qui commence par la création d’une lignée et s’étend avec le temps, tout en conservant ses caractéristiques socio-ethniques. Par exemple, certaines sources historiques mentionnent qu’Aït Hkem et Houderran étaient autrefois appelés “Aït Zequouat”, bien que cette appellation ne soit plus utilisée et que peu de gens le sachent. Aït Zequouat pourrait être la tribu mère à partir de laquelle les groupements susmentionnés ont émergé avant de disparaître.
Je n’ai jamais envisagé de mener un travail d’une telle envergure avec un tel engagement, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, cela requiert une expertise spécifique qui nécessite l’utilisation d’outils théoriques et conceptuels afin de préserver le travail des jugements de valeur et des analyses superficielles ou subjectifs. De plus, je faisais face à un manque de motivation et une absence de réelle prise de conscience de ma part.
Il a fallu un déclic pour que cette curiosité surgisse soudainement et devienne de plus en plus persistante.
(À suivre)
Ça commence bien. TARIK BOUBIYA est mon nom et je suis un descendant des Ait Boubia. Je travaille sur le même sujet et serai intéressé de prendre contact avec Mlle Fatiha…
Merci si Tarik,
Désolée je viens de voir votre commentaire, c’est avec plaisir !