L’AMDH : « L’Etat réprime les opinions sur l’espace digital »
L’Association marocaine des droits humains (AMDH) a publié le 3 août son rapport sur la situation des droits humains au Maroc en 2022. Fait marquant : La montée de la répression des opinions critiques sur l’espace numérique.
Le Maroc compte « 175 prisonniers politiques et d’opinion dont les cas ont été suivis par l’association en 2022 », indique l’AMDH dans son rapport pour l’exercice de suivi de la situation des droits humains en 2022. L’essentiel de ces détenus sont poursuivis, arrêtés et condamnés pour avoir exprimé des opinions politiques critiques ou sur la gestion des affaires publiques au niveau national ou local. « Des dizaines de cas de détenus arrêtés et jugés sur la base de leurs opinions politiques ou investigations et articles de presse exprimés et publiés sur les réseaux sociaux », peut-on lire dans ce document.
« L’Etat s’attaque de manière méthodique à l’espace virtuel en muselant les opinions sur les réseaux sociaux ».
Pour Aziz Rhali, président de l’AMDH, dans une déclaration à ENASS : « Après avoir fermé l’espace réel avec la répression des manifestations, sit-in et marches, l’Etat s’attaque de manière méthodique à l’espace virtuel en muselant l’expression des opinions des citoyens sur les réseaux sociaux », observe ce défenseur des droits humains au Maroc.
« Statu quo » et « violations fréquentes »
Dans l’ensemble, l’AMDH fait le constat d’un « statu quo » sur la scène des droits humains au cours de l’année 2022. « L’année s’est déroulée sans aucun changement ou développement positif significatif à signaler. Ce fut marqué par des violations fréquentes et des atteintes répétées aux droits et libertés », poursuit le document associatif. Une description valable en matière de l’ensemble des droits objets de cette observation et ce suivi annuel. Le rapport traite des droits suivants : droits civils et politiques, en matière des droits économiques sociaux et culturels, en matière des droits culturels et linguistiques. Le rapport consacre des chapitres spécifiques à des catégories de la population : droits des femmes ; droits des enfants ; droits des personnes handicapées ; droits des immigrés et réfugiés et demandeurs d’asile.
L’AMDH critique les tentatives de l’Etat « pour dissimuler cette situation, l’État a chargé certaines institutions qui portent la voix du gouvernement dans le domaine des droits humains, telles que la “Délégation interministérielle aux droits de l’Homme” et la “Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion ». Pour l’AMDH ces institutions « portent des accusations gratuites et irresponsables contre les mouvements de défense des droits humains nationaux et internationaux ».
« Une situation fruit d’un choix politique »
Dans l’introduction de ce rapport, l’AMDH ne mâche pas ses mots et adresse des critiques politiques à ces choix de « régression ».
« Fruit d’un choix politique basé sur l’exacerbation de l’obsession sécuritaire et autoritaire ».
« L’État ne tolère aucune critique et essaie d’éliminer tout discours contradictoire. Cela confirme que la mauvaise situation des droits humains dans notre pays n’est pas le résultat de circonstances temporaires, mais plutôt le fruit d’un choix politique basé sur l’exacerbation de l’obsession sécuritaire et autoritaire, cherchant à nier le rôle protecteur des institutions et organisations œuvrant dans le domaine des droits humains, dont la place n’est plus tolérée par les autorités étatiques pour exercer leur travail ».
Ce rapport revient sur l’année de la sortie du Covid-19 et le déconfinement total du pays :
« Bien que certaines des violations constatées au cours des deux dernières années, en 2020 et 2021, puissent être attribuées à l’état d’urgence sanitaire et à l’adoption d’une approche sécuritaire pour les gérer, les violations enregistrées au cours de l’année 2022 ne peuvent être expliquées et liées qu’au choix clair et continu de l’État d’attaquer l’exercice des libertés publiques essentielles ».
Pour l’AMDH ces reculs remontent à l’année 2014 et l’existence d’une économie de prédation : « Cette tendance, qui remonte au moins à l’année 2014, vise à réprimer tout ce que notre pays a accumulé grâce aux luttes et aux sacrifices coûteux du peuple, notamment dans les domaines des droits économiques, sociaux et culturels.
Tout cela est au profit d’une approche libérale sauvage entremêlée avec une économie de prédation et liée à la corruption et au pillage incontrôlés des richesses et des ressources nationales ».
Ce nouveau rapport critique, décrivant des reculs généralisés touchant les droits humains, fera certainement grincer des dents. L’AMDH, consciente de ces critiques éventuelles, a tenu à préciser en introduction de ce rapport les visées de ce document de bilan : « Nous n’avons nullement l’intention ou le but de semer la déception ou la frustration. Nous présentons ce rapport en assumant notre responsabilité dans la défense des droits humains dans notre pays ; dans le but d’alerter les pouvoirs publics sur les mauvaises politiques qu’ils mettent en œuvre et sur les violations et les infractions qu’elles génèrent. Puissent-ils retrousser les manches pour protéger et fortifier les droits et les libertés, au lieu de s’inventer des ennemis imaginaires », espère l’AMDH. A bon entendeur…