Tunisie, Changement climatique et résistance contre l’extractivisme
Par Hamza Hamouchene
Les îles de Kerkennah se situent au large de la côte est de la Tunisie, dans le golfe de Gabès. Compte tenu de l’aridité des îles, la pêche y est l’une des principales activités économiques. Mais Kerkennah est également connue pour les activités des multinationales du pétrole et du gaz comme Petro fac qui y opèrent.
L’archipel de Kerkennah est doublement déshérité et doublement menacé, d’une part par les effets perturbateurs du réchauffement climatique, d’autre part, par les activités extractives des compagnies pétrolières et gazières, qui cherchent à réaliser des profits maximaux au détriment du développement et de l’écosystème de l’archipel. En mars 2016, un conflit socio-écologique a éclaté entre les pêcheurs et la compagnie pétrolière Thyna Petroleum Services (TPS).
« Ce n’est pas la première fois que cela se produit. Les compagnies pétrolières ont pollué notre mer à plusieurs reprises ».
Hassan, un pêcheur.
Les pêcheurs protestaient contre un énorme déversement de pétrole et attribuaient la fuite à un pipeline sous-marin. Les pêcheurs étaient furieux non seulement parce que cette catastrophe a décimé les populations de poissons, menaçant à la fois la biodiversité marine et leurs moyens de subsistance, mais aussi parce que TPS tentait de sous-estimer l’impact du déversement et même de le couvrir.
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Hassan, un pêcheur, déclarait :« Ce n’est pas la première fois que cela se produit. Les compagnies pétrolières ont pollué notre mer à plusieurs reprises ».
Chafik, un autre pêcheur en colère, ajoutait : « TPS doit prendre ses responsabilités pour le déversement et les dommages environnementaux qu’elle a causés. Nos autorités doivent l’obliger à rendre des comptes ».
Le Ministre tunisien de l’environnement fut dépêché sur l’île pour rassurer la population et annoncer qu’une enquête serait menée et que des mesures seraient prises pour nettoyer le déversement. Cependant, sa visite semblait moins axée sur le règlement des griefs des pêcheurs que sur la protection des intérêts de l’industrie pétrolière en aidant à prévenir l’escalade et la radicalisation des protestations, d’autant qu’une autre société pétrolière et gazière commençait à être la cible de critiques acerbes.
«Ces emplois inappropriés ainsi que des centaines d’autres ont été rendus possibles grâce au fonds de
Soumaya, l’une des diplômées au chômage présentes sur le site en mars 2016
développement auquel Petrofac contribuait».
Dix ans après son acquisition de la concession gazière Chergui à Kerkennah par le biais d’un accord corrompu, et cinq ans après la révolution tunisienne, la compagnie pétrolière et gazière britannique Petro fac a été confrontée à un mécontentement croissant sur l’île en 2016. Au cours des deux premières semaines d’avril, Kerkennah a connu une violente répression des manifestations par la police.45
Les protestations et la répression qui les a suivies sont venues après que la police a violemment démantelé un sit-in pacifique de deux mois organisé par les diplômés chômeurs de Kerkennah, représentés par l’Union des diplômés chômeurs (UDC) devant l’usine à gaz de Petrofac, interrompant temporairement sa production;
Soumaya, l’une des diplômées au chômage présentes sur le site en mars 2016 déclarait : « Je suis hautement qualifiée mais j’ai été obligée de travailler comme secrétaire dans une administration publique. Ces emplois inappropriés ainsi que des centaines d’autres ont été rendus possibles grâce au fonds de développement auquel Petrofac contribuait. Maintenant qu’elle a décidé d’arrêter les paiements, je suis sans emploi, comme tant d’autres. C’est vraiment inacceptable et humiliant ».
Il faut comprendre le ressentiment et la colère en les situant dans un contexte d’intense mécontentement
face aux offensives néolibérales et néocoloniales contre la souveraineté du pays, et de désespoir face aux
promesses non tenues de la révolution tunisienne. Cela est particulièrement palpable dans les régions de l’arrière pays tunisien, marquées par le sous-développement.
A suivre…
*H. Hamouchene est un chercheur-activiste algérien basé à Londres, commentateur et membre fondateur de l’Algérie Solidarity Campaign (ASC) et Environmental Justice North Africa (EJNA).
*Le Transnational Institute (TNI) est un institut de recherche et de plaidoyer international engagé pour la construction d’une planète juste, démocratique et durable. Depuis plus de 40 ans, TNI est un espace de connexion entre mouvements sociaux, universitaires engagés et décideurs politiques. Pour en savoir plus: www.Tni.org * Ce texte est extrait de la publication « Extractivisme et Résistance en Afrique du Nord » publiée par Transnational Institute (TNI) en octobre 2019 et signée par Hamza Hamouchen.Pour lire la version originale, c’est ici. https://www.tni.org/files/publication-downloads/web_maghreb_fr_21-11-19.pdf Pour lire les autres publications de H. Hamouchene, voir ici: https://www.tni.org/en/profile/hamza-hamouchene
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