À Meknès, les 500 ouvrières de SICOMEC en lutte
En 2018, les ouvrières de l’usine SICOMEC Meknès ont été licenciées abusivement par leur patron étranger. Pendant deux longues années, ces cinq cent ouvrières militent devant l’usine afin de revendiquer leurs droits. Reportage.
Par Bouchra Ouaddou à Meknès, en collaboration avec Imane Bellamine.
Il est midi, au quartier Volubilis, sur la place Hamrya à la ville de Meknès, nous sommes à la fin du mois de juillet, un soleil de plomb frappe la capitale ismailiya. Une protestation portée par des femmes se prépare. Les ouvrières de l’usine SICOMEC ont été licenciées en 2018 par leur patron étranger, plongeant leurs vies dans la précarité et l’absence de perspective. Depuis des mois, elles passent leurs nuits à camper devant l’usine, déterminées à faire entendre leur voix et à se battre pour leurs droits bafoués.
« Solidaires face à l’injustice »
Fouzia fait partie des ouvrières licenciées. Elle porte en elle une histoire qui déborde de tristesse et d’amertume. Elle évoque avec émotion le passé glorieux de cette entreprise qui fut autrefois l’une des grandes sociétés de textile au Maroc, rassemblant près de 12 000 ouvriers et ouvrières. Mais aujourd’hui, le présent est bien différent, ne laissant derrière lui que l’ombre de ce qu’elle a connu.
« Aujourd’hui nous ne sommes que 500 ouvrières, toutes licenciées par un patron étranger. On nous a mis à la porte ».
Fouzia
« Aujourd’hui nous ne sommes que 500 ouvrières, toutes licenciées par un patron étranger, on nous a menti en disant que l’article 19 du Code du travail va nous protéger. On nous a mis à la porte », regrette Fouzia. En 2017, tout a basculé lorsque l’entreprise fut affiliée à une autre société au nom de SICOM, fruit d’une fusion avec l’ancien employeur,SICOMEC. On leur assura que l’article 19 du Code du travail les protégerait, mais au lieu de leur assurer une protection, cet article s’est révélé être un piège qui les a jetées à la rue, les privant de leur gagne-pain, de leur dignité et de leur sécuritédu travail.
Cela fait désormais deux longues années que ces 500 femmes se sont retrouvées brutalement licenciées, abandonnées à leur sort. Les conséquences sont lourdes à porter, car non seulement elles souffrent elles-mêmes, mais leurs familles, notamment les enfants, qui partagent leur fardeau. La précarité qui s’est abattue sur elles a touché leurs familles de plein fouet.
« Nos enfants souffrent aussi de cette situation, vu qu’ils étaient inscrits dans des écoles privées, et face à cette situation nous étions contraints de les retirer de l’école payante, puisqu’on a plus les moyens de subvenir à leurs frais de scolarité », raconte Fouzia.
Et d’ajouter : « Au sein de ce groupe d’ouvrières, certaines ont été frappées de plein fouet par une double peine. Ayant souscrit à des crédits pour améliorer leur vie ou soutenir leur famille, elles ont vu leur destin basculer lorsqu’elles ont été brutalement licenciées. Incapables de faire face aux remboursements à la suite de leur perte d’emploi, elles se sont retrouvées dans une spirale de dettes. Sans ressources financières, elles ont été contraintes d’errer dans les rues, privées de tout abri et de tout espoir ».
Vol de leurs cotisations
L’entreprise a commencé à effectuer des retenus sur leurs salaires mais sans être déclarées à la CNSS
Elle nous raconte ainsi qu’en 2018, elles ont repris le travail après l’arrêt de 2017. Toutefois, cette lueur d’espoir s’est rapidement réduite à néant lorsque l’entreprise a commencé à effectuer des retraits sur leurs salaires au nom de la protection sociale, mais sans véritablement transférer ces fonds à la CNSS va. La promesse d’une sécurité sociale retrouvée s’est ainsi révélée être une douloureuse illusion, laissant ces travailleuses dans un état de vulnérabilité encore plus profond.
« Pouvez-vous imaginer que ces femmes, épuisées et brisées par l’injustice, sacrifient leurs familles pour camper ici, chaque nuit ? ».
Fouzia
« Ça fait deux longues années que nous souffrons, dans le silence étourdissant. De l’indifférence, sans qu’aucune main tendue vers nous. Aucune solution ne s’est profilée à l’horizon et nos appels restent sans réponse. Pouvez-vous imaginer que ces femmes, épuisées et brisées par l’injustice, sacrifient leur sommeil, leurs familles pour camper ici, nuit et jour, afin de dénoncer cette injustice ? », s’interroge-t-elle, sans vraiment attendre de réponse.
« Nous refusons de baisser les bras. Nous ne laisserons pas se défaire l’effort de trente années et plus de labeur acharné ».
Fouzia
Puis elle poursuit avec une force nouvelle dans son regard : « Nous refusons de baisser les bras. Nous ne laisserons pas se défaire l’effort de trente années et plus de labeur acharné.
« Nos voix résonnerons jusqu’à ce que notre dignité soit restaurée et que nos droits soient respectés.»
Fouzia
Renoncer, c’est inconcevable pour nous. Nous sommes unies, solidaires, et nous continuerons à lutter pour ce qui est juste et équitable. Nos voix résonnent jusqu’à ce que notre dignité soit restaurée et que nos droits soient respectés. »
Dans leur désarroi, Fouzia et ses compagnes d’infortune restent soudées, se soutenant mutuellement pour affronter l’adversité. Leurs cœurs sont lourds, mais leur détermination ne fléchit pas. Chaque jour, elles se retrouvent côte à côte, formant un cercle de solidarité, refusant de se laisser broyer par l’oubli et l’indifférence. Récemment, les ouvrières recevaient un coup de massue : La CDT au niveau régional décide de congédier leur bureau syndical ! « Une trahison », estiment les ouvrières. Ces dernières sont restées attaché à leur représentant légitime, le bureau syndical de la CDT
SICOMEC. Un nouveau front de lutte s’est ouvert.
Ces femmes, autrefois fières et actives, ont dû plier sous le poids de l’injustice, mais leur force intérieure reste toujours vive. Fouzia et ses consœurs, avec leurs enfants à leurs côtés, portent en elles l’espoir qu’un jour la justice finira par triompher.