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Migration : Alerte sur l’ADN sécuritaire de l’ICMPD

Le 10 novembre 2022 signature de l’accord de siège entre le DG de l’ICMPD, Michael Spindelegger et le DG des relations bilatérales au ministère des Affaires étrangères, de la coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger,  Fouad Yazourh. 
Par Abdelkrim Belguendouz

Abdelkrim Belguendouz, chercheur en migration, lance dans cette réflexion une alerte sur les risques de l’installation d’un opérateur européen en migration au Maroc nommé l’ICMPD. Partie 1.

Abdelkrim Belguendouz, chercheur en migration, propose dans cette étude-réflexion une alerte citoyenne. Arguments à l’appui, elle attire de manière pressante l’attention sur les conséquences négatives possibles de la prochaine implantation à Rabat d’un siège du Centre international pour le développement des politiques migratoires ( ICMPD en anglais ). Pour l’universitaire, il existe de « gros risques, voire dangers encourus », par le Maroc et ses politiques migratoires multidimensionnelles ». L’alerte, qui est ouverte au débat et à la discussion, fournit aussi des pistes alternatives d’action qu’il s’agit de prendre en compte. Elle sera publiée en cinq parties par Enass.

Le projet d’accord de siège à Rabat du Centre international pour le développement des politiques migratoires (CIDPM ou en anglais  ICMPD, appelé également ici le Centre),  avait été paraphé le 10 novembre 2022  entre le directeur général de l’ICMPD, Michael Spindelegger et le directeur général des relations bilatérales au ministère des Affaires étrangères, de la coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger,  Fouad Yazourh, en marge de la tenue à Rabat de la 3e Conférence pair-à-pair du programme Euromed Migration V. 

Le Conseil de gouvernement du 5 janvier 2023, avait « pris connaissance»  de l’accord conclu entre le gouvernement et l’ICMPD relatif à l’établissement d’une représentation permanente du Centre au Maroc, ainsi que du projet de loi 59-22 portant approbation dudit accord. 

À l’heure où certains “ ICéMPédistes” patentés se réjouissent de la “ bonne nouvelle “ pour leurs intérêts financiers , posons-nous les questions suivantes : Quelle est la nature du Centre ,son ADN, la démarche prépondérante qui le caractérise ?

 En fonction de cette approche et au-delà des intérêts égoïstes, peut-on objectivement s’en réjouir, ou bien craindre des aspects négatifs pour le Maroc et ses politiques migratoires multidimensionnelles ? Face à ces enjeux centraux, quels place et rôle accorder à la recherche nationale en migration pour traiter la question migratoire au Maroc, d’abord en fonction des besoins du pays et ne pas être tributaire d’une certaine forme de dépendance ? Ce sont les trois axes constitutifs de la présente réflexion pour l’action, élaborée en tant qu’alerte pressante. 

La présente tribune se compose de cinq parties. La première partie est relative à l’ADN sécuritaire de l’ICMPD. La deuxième partie est consacrée aux gros risques encourus par le Maroc et ses politiques migratoires (MRE et immigrés au Maroc). La troisième partie est consacré à la dépendance du Maroc à l’égard de telles institutions. La quatrième partie de l’étude est consacrée aux risques sur la recherche en migration. La cinquième partie décline quatorze propositions d’actions.

À lire aussi : Aux frontières : Mensonges à Madrid, complicités de Rabat

Le tout sécuritaire d’un « centre de recherche »

Créé en 1993 et basé à Vienne en Autriche, l’ICMPD (enanglais) ou le CIDPM qui est une organisation intergouvernementale qui compte une vingtaine d’Etats membres d’Europe plus la Turquie, joue un rôle prépondérant dans la politique migratoire européenne. 

L’ICMPD est un think-tank néolibéral, prestataire de services de recherche ainsi que des opérations sur le terrain pour l’UE concernant la migration.

C’est un think-tank néolibéral, prestataire de services de recherche et de conseil ainsi que des opérations sur le terrain pour l’Union européenne concernant le très vaste champ migratoire. 

Il est chargé de mettre en œuvre les projets de l’UE en ce domaine, principalement dans celui de la « gestion des migrations ».

Il est chargé de mettre en œuvre les projets de l’UE en ce domaine, principalement dans celui de la « gestion des migrations », ainsi qu’en matière d’externalisation du régime frontalier européen vers les pays d’origine et de transit des migrants. Il est impliqué dans un large éventail de projets financés par l’UE , visant en effet à fortifier les frontières terrestres, maritimes , voire aériennes de ces ces pays.

Pas de neutralité

Sa démarche est en fait, fondamentalement sécuritaire, avec des domaines d’expertise tels la gestion des frontières et sécurité, la migration clandestine, réadmission, retour et réintégration.

Si selon son site et divers documents officiels, le Centre international de développement des politiques migratoires (ICMPD ou Centre) «aspire à être un partenaire neutre et impartial»sa démarche est en fait, fondamentalement sécuritaire, avec des domaines d’expertise tels la gestion des frontières et sécurité, la migration clandestine, réadmission, retour et réintégration, « adoptant une approche régionale en vue de construire des partenariats et des coopérations efficaces tout au long des routes migratoires», celles empruntées essentiellement par les migrations dites irrégulières, clandestines ou «illégales » dont ne veut nullement l’Europe et auxquelles cette dernière cherche à faire une véritable guerre, pour que les sudistes en particulier restent en Afrique. Les régions prioritaires sont : Pan Afrique, Afrique de l’Ouest, Europe de l’Est et Asie centrale, Méditerranée, Route de la soie, Balkans occidentaux et Turquie. 

Toujours selon les mêmes sources officielles, un autre but du Centre consiste à « contribuer au renforcement de la coopération internationale en matière de migrations afin de faciliter le développement de concepts et de systèmes régionaux-européens et globaux dans le but de maîtriser les migrations ». Ainsi l’objectif du Département des services de consultation du Centre est de contribuer à une bonne gouvernance en matière de migrations, de visas, de contrôle des frontières, de réadmission. Dans ce but, des mesures d’ensemble en termes de consolidation des institutions et des capacités, sont mises en place afin de renforcer les capacités nationales et régionales pour régler ces questions. Dans cette perspective, le Centre fournit des mesures de consolidation des institutions et des capacités d’assistance technique.

Instrumentalisation par l’UE

Certaines organisations internationales sont manipulées et instrumentalisées – quand elles ne le font pas en connaissance de cause – comme l’ICMPD, dans une optique sécuritaire pour faire passer, par le biais multilatéral ou régional, ce qui n’est pas accepté ou difficilement réalisable politiquement à l’échelon bilatéral.

À titre d’exemple, l’Union européenne ne le cache pas. Déjà dans  sa communication au Conseil et au Parlement  européen, en date du 15 novembre 2001 concernant une politique commune en matière d’immigration clandestine, la Commission européenne proposait de s’appuyer sur les organisations internationales et de les instrumentaliser en particulier dans les «dialogues » pour convaincre  et faire adhérer les pays d’origine et de transit à certaines mesures de contrôle et de lutte contre l’immigration clandestine et d’y mener des actions de soutien, en intensifiant la coopération administrative pour les contrôles frontaliers : 

« L’Union européenne et les Etats membres devraient continuer à jouer un rôle actif dans d’autres enceintes Internationales et à conclure des accords multilatéraux sur la question. Un renforcement de la coopération internationale pourrait aussi faciliter et favoriser la coopération des pays tiers et d’autres actions visant à combattre l’immigration clandestine. Plus particulièrement, lorsque des mesures relatives à l’immigration clandestine sont prises dans des pays tiers, l’expertise d’organisations internationales, comme le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCNUR) ou l’Organisation internationale des migrations ( OIM), pourrait s’avérer très utile à bien des égards. Tout d’abord, ces organisations pourraient confirmer que les mesures en question sont pleinement respectueuses des besoins de protection justifiées. Ensuite, le fait d’utiliser des infrastructures existantes plutôt que d’en créer de nouvelles, permettrait une certaine synergie. Enfin, une telle participation entraînerait une meilleure compréhension mutuelle entre les différents acteurs » ( COM (2001) 672 final). 

Or là, il se trouve que l’ICMPD est de plus en plus présent sur le terrain et tendrait à se substituer à des organisations comme l’OIM. De cette manière, les partisans de cette démarche ne préfèrent pas traiter la migration comme un sujet politique, mais la ramènent à de la gestion des flux en la « gérant» comme un sujet purement technique pour dépolitiser la question migratoire et lui ôter la nécessité du choix politique et des alternatives en la matière. En d’autres termes, on présente la question migratoire en question purement technique pour éluder tout clivage politique.

Les intérêts de l’UE d’abord

Par ailleurs, le Centre tient annuellement une conférence à Vienne sur les migrations. Parmi les sujets qui reviennent le plus souvent, citons la dynamique le long des principales routes migratoires vers l’Europe et priorités d’action commune, la gestion des crises, «le pouvoir géopolitique de l’UE pour faire avancer ses intérêts migratoires dans un monde turbulent ». Le Centre est très actif dans les différents domaines touchant à la gestion des migrations «dans les pays où cette question est très sensible». Cela va de la politique en matière de visas et de contrôle des frontières en passant par les demandes d’asile et les rapatriements. Par ailleurs, l’ICMPD qui reçoit des financements essentiellement des États membres et surtout de la Commission européenne, joue déjà le rôle de mise en œuvre du secrétariat général du « Processus de Rabat », initiative lancée au Maroc dès 2006, instaurant un dialogue euro-africain sur la migration et le développement, le secrétariat du Processus étant financé par l’UE. 

En somme, l’activité du Centre repose sur trois axes : la recherche, les dialogues sur la migration, et le renforcement des capacités. Ceci ne l’empêche pas de s’intéresser à des sujets plus «light», «politiquement corrects», moins polémiques ( du moins en apparence ) en touchant pratiquement à tout, mais la tendance générale est une démarche foncièrement sécuritaire qu’il distille à travers ses activités.

Une double opportunité

La première est le vote sans discussion le mardi 18 juillet 2023 par la Commission des affaires étrangères, de la défense nationale, des affaires islamiques et des Marocains résidant à l’étranger relevant de la Chambre des représentants du projet de loi 59-22, qui est passé à l’unanimité comme une lettre à la poste, avec rien à signaler, «R.A.S», sans la moindre remarque des députés, situation qui a été pratiquement reproduite en session plénière législative le même jour. La seconde opportunité est l’attente du passage du texte à la Chambre des conseillers après la rentrée parlementaire. 

Ces deux opportunités imposent  une initiative en termes d’alerte pressante. Celle de montrer les risques et enjeux pour le Maroc de cette implantation du Centre et en termes d’alternatives, de formuler quelques suggestions et propositions par rapport à la recherche nationale en migration pour l’action au Maroc, les deux aspects étant intimement liés.

À suivre L’ICMPD et les risques pour migrations au Maroc – Partie 2

Disclaimer : Les avis exprimés dans la rubrique « Tribune » ne représentent pas nécessairement les opinions du média ENASS.ma

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