Migrations : L’ICMPD et ses amis…
C’est déjà la reprise. ENASS démarre une deuxième saison de son existence avec la même volonté de départ :
Mener des investigations sur les sujets et les acteurs invisibles et offrir une tribune de discussions sur des questions censurées. Dans les migrations. Sur la situation de la classe ouvrière. Sur l’état de l’environnement et de la nature dans le pays. Ce sont nos obsessions, au sens positif du terme.
Partant de cela, nous avons eu l’honneur de démarrer cette année par une contribution externe, une étude-réflexion de l’éminent Pr. Abdelkarim Belguendouz, chercheur INDEPENDANT sur les migrations au pluriel. Professeur universitaire, il est auteur de plusieurs ouvrages dont de nombreux sur les politiques migratoires (Marocains du monde, situation du CCME, SNIA, etc.). Le chercheur critique avait très tôt prévenu contre la transformation du Maroc en zone d’attente pour les personnes en migration. En 2003 (déjà), il signait un article dans ce sens pour la revue Plein Droit de l’association GISTI pour prévenir contre « la rationalité sécuritaire » de la loi 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Maroc, à l’émigration et l’immigration irrégulières.
Deux décennies plus tard, après son alerte sur la loi 02-03, Pr. Belguendouz revient à la charge avec un texte sur l’ICMPD.
En 2003 au lendemain de son adoption, Pr. Belguendouz écrivait : « Une analyse objective du projet de loi montre que l’administration marocaine gère ce dossier de manière très sécuritaire et peu respectueuse des droits humains. Si on peut lui reconnaître le droit de refuser l’entrée sur le territoire marocain à tout étranger se présentant aux frontières, celui-ci ne dispose par contre d’aucune possibilité de recours ». Après deux décennies de son application, le bilan est connu de tous, le Maroc est une zone d’attente pour les migrants et la loi 02-03 est un outil juridique pour criminaliser les migrants et la migration. Aujourd’hui, cette répression est devenue sophistiquée et bénéficie d’importants financements provenant de l’Union européenne (UE). Pour exécuter ses budgets, le bailleur emmène dans ses valises, les institutions qui ont la charge d’opérer sur le terrain. Le dernier arrivé sur le sol marocain est le Centre international pour le développement des politiques migratoires (ICMPD en anglais).
Deux décennies plus tard, après son alerte sur la loi 02-03, Pr. Belguendouz revient à la charge avec un texte important sur l’ICMPD. Pour l’universitaire, il existe de « gros risques, voire des dangers encourus par le Maroc et ses politiques migratoires » en raison de l’installation au Maroc de cette institution. Rappelons-le, l’ICMPD est basé à Vienne avec une foultitude d’activités couvrant la recherche appliquée, l’exécution de projets, la conduite d’appels d’offres, etc., tous en lien avec les migrations et l’agenda de l’UE dans ce domaine.
Comme l’écrit Belguedouz : « Qu’en matière d’externalisation du régime frontalier européen vers les pays d’origine et de transit des migrants. Il [ICMPD] est impliqué dans un large éventail de projets financés par l’UE, visant en effet à fortifier les frontières terrestres, maritimes, voire aériennes de ces pays ». L’exemple de l’appel d’offres de 2019 pour l’acquisition de matériels pour les forces de sécurité marocaines aux frontières est une parfaite illustration de ce « partenariat ».
Ce discours ne semble pas plaire aux ICMPDistes marocains. Les « amis » de cette institution au Maroc pensent plutôt sur le court terme en termes de dividendes sonnantes mais négligent que l’immixtion continue d’institutions de ce profil porte atteinte à la souveraineté nationale et aux objectifs officiels de la politique migratoire, répétés à plusieurs reprises par les discours royaux à ce propos.
Belguendouz prévient, à juste titre de dépendance du Maroc et son administration vis-à-vis de ces institutions « généreuses ».
Belguendouz prévient, à juste titre de dépendance du Maroc et son administration vis-à-vis de ces institutions « généreuses » de leurs conseils et expertises. Le risque selon Belguendouz est de produire « une pensée unique en termes de gestion des migrations au Maroc ».
Pour palier à ce risque, il appelle à l’arrêt de l’instrumentalisation de la recherche en migration au Maroc pour des fins sécuritaires et propose « d’instituer d’urgence un agenda national multidimensionnel de la recherche en migration, toutes disciplines confondues, financé prioritairement de manière interne pour favoriser une grille de lecture nationale avec une vision globale marocaine ».
Et que vivement le débat continue…