Tribunes

Recherche en migration au Maroc : 14 pistes d’action 

Par Abdelkrim Belguendouz

Abdelkrim Belguendouz, chercheur en migration lance dans cette réflexion une alerte sur les risques de l’arrivée d’un opérateur européen en migration au Maroc nommé l’ICMPD. Partie 5.

Abdelkrim Belguendouz, chercheur en migration, propose dans cette étude-réflexion une alerte citoyenne. Arguments à l’appui, elle attire de manière pressante l’attention sur les conséquences négatives possibles de la prochaine implantation à Rabat d’un siège du Centre international pour le développement des politiques migratoires ( ICMPD en anglais ). Pour l’universitaire, il existe de « gros risques, voire dangers encourus », par le Maroc et ses politiques migratoires multidimensionnelles ».
L’alerte, qui est ouverte au débat et à la discussion, fournit aussi des pistes alternatives d’action qu’il s’agit de prendre en compte. Elle sera publiée en cinq parties par Enass.

[…] On ne restera pas aux très nombreuses critiques et remarques précédentes relatives à la prochaine implantation à Rabat d’un siège de l’ICMPD basé à Vienne. Pour aller de l’avant dans un esprit constructif, nous formulerons quatorze pistes pour l’action, en espérant qu’elles soient prises en considération par les instances concernées. Voici les propositions : 

Instituer d’urgence un agenda national multidimensionnel de la recherche en migration financé prioritairement de manière interne.

  • Instituer d’urgence un agenda national multidimensionnel de la recherche en migration, toutes disciplines confondues, financé prioritairement de manière interne pour favoriser une grille de lecture nationale avec une vision globale marocaine. Il s’agit en effet de se soustraire aux agendas étrangers, si nombreux et actifs et par conséquent, de la dépendance intellectuelle et politique de l’étranger en ce domaine, permettre la conception et la mise en œuvre dans l’intérêt national, de politiques migratoires globales cohérentes, intégrées et fondées sur des faits et des données fiables, ainsi que les propres besoins du Maroc. On ne peut accepter qu’au Maroc, la recherche en migration pour l’action soit déléguée à un organisme qui met en avant un agenda extérieur et agit au détriment des intérêts nationaux.

Organiser sans exclusion quelconque, un partenariat scientifique entre chercheurs, décideurs et gestionnaires du dossier migratoire. 

  • Organiser sans sectarisme ou exclusion quelconque, un partenariat scientifique entre chercheurs, décideurs et gestionnaires du dossier migratoire (émigration et immigration), dans l’esprit de responsabilité, de patriotisme et de citoyenneté, avec le plein respect du pluralisme, de la diversité d’opinions et de points de vue, de l’autonomie et de l’indépendance intellectuelle et critique des chercheurs.

Mettre en place un Observatoire national des migrations qui soit autonome et efficient, consacré aux diverses formes de migrations internationales. 

  • Mettre en place un Observatoire national des migrations qui soit autonome et efficient, consacré aux diverses formes de migrations internationales pour le Maroc :   immigration et asile, émigration du Maroc vers l’étranger (des Marocains et des étrangers en transit), communauté marocaine établie à l’étrangler. Il doit y avoir un seul observatoire et non pas deux, un au ministère de l’Intérieur relatif à l’immigration étrangère au Maroc (mais qui n’est pas fonctionnel) et un projeté aux Affaires étrangères, relatif aux MRE. Nécessité de l’ouvrir aux syndicats présents sur le terrain, aux chercheurs sans exclusive et de manière interdisciplinaire, à la société civile MRE et interne (ONG de migrants et de droits de l’Homme) 

Être très vigilant par rapport au devenir et à la démarche de l’Observatoire africain des migrations.

  • Être très vigilant par rapport au devenir et à la démarche de l’Observatoire africain des migrations qui doit, entre temps, devenir fonctionnel à la suite de tous les efforts entrepris par le Maroc, la dynamisation devant être assurée par la Commission africaine. 
  • L’organisation par la Commission africaine d’un sommet de l’Union africaine, consacré spécifiquement à la migration et à l’asile, serait selon nous, la bienvenue. Le Maroc pourrait y jouer tout son rôle. De même, en amont, les chercheurs. 
  • La commission interministérielle, présidée par le Chef du gouvernement, chargée des MRE et des Affaires de la migration, devrait être ouverte au niveau de son comité technique, notamment aux chercheurs en migration, toutes disciplines confondues, aussi bien de l’intérieur du Maroc que parmi la communauté MRE, compte tenu du caractère multidimensionnel du large champ migratoire. 
  • Associer les chercheurs marocains en migration, aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur, à la prochaine mouture du CCME et du comité directeur de la Fondation Hassan II pour les Marocains résidant à l’étranger.  
  • Mettre en place un Haut Conseil à l’insertion des immigrés au Maroc. La politique d’insertion harmonieuse des immigrés est encore à ses débuts. Malgré les efforts soutenus entrepris, les deux campagnes de régularisation n’ont pas encore modifié substantiellement et significativement le vécu concret des migrants (et des réfugiés) en termes d’accès à leurs droits fondamentaux. C’est un travail de longue haleine, un projet sociétal progressiste qui nécessite l’appui de tous, des interventions multisectorielles, l’apport également des divers acteurs extra-gouvernementaux et un processus participatif continu, en particulier des milieux directement concernés. Ce qui n’apparaît pas actuellement avec la disparition du département ministériel (Affaires de la Migration). Voilà pourquoi, l’action publique étant au mode participatif et à l’approche plurielle, sans tomber dans l’inflation institutionnelle ou bien la tentation tentaculaire de l’administration, et dans la mesure où, constitutionnellement (article 163), le CCME (Conseil de la communauté marocaine à l’étranger ) est dédié spécifiquement aux citoyens marocains établis  à l’étranger, la mise en place d’un Haut Conseil à l’intégration (ou plutôt à l’insertion ) des immigrés (et des réfugiés ) au Maroc, serait la bienvenue. Ce Haut Conseil devrait être ouvert notamment à la société civile immigrée au Maroc et aux syndicats actifs concrètement dans le domaine comme l’ODT-I,  en plus bien entendu de tous les départements et institutions nationales concernées, de la société civile marocaine, sans oublier bien entendu les universitaires et les chercheurs en migration. Ce Conseil pourrait fournir des avis éclairés et des propositions réalistes et faisables aux décideurs, être un cadre de dialogue, de consultation et de concertation pour tout ce qui touche ce dossier de l’insertion des immigrés et des réfugiés au Maroc, et comme espace de médiation, jouant le rôle d’interface pour les aspects problématiques qui nécessitent une solution ou une évolution.
  • Hâter l’élaboration par le gouvernement, avec l’implication des milieux de la Jaliya directement concernés et des chercheurs d’une feuille de route, plan d’action ou programme exécutif concernant le sujet stratégique MRE d’intérêt national, à la hauteur de l’interpellation solennelle par le discours royal du 20 août 2022. 
  • Mettre en place au niveau de chacune des deux chambres du Parlement, d’une commission thématique relative aux citoyens MRE et aux immigrés au Maroc.
  • Instituer au niveau du Parlement dans son ensemble une cellule commune d’étude et de recherche pour l’action composée de chercheurs en migration, tenant compte des différentes attributions et prérogatives du Parlement (légiférer, contrôle du gouvernement, évaluation des politiques publiques, diplomatie parallèle).
  • Organisé par le Parlement, les deux chambres réunies, d’un colloque national sur la question migratoire au Maroc dans son ensemble, avec l’objectif de tirer un certain nombre d’enseignements pratiques d’une analyse du statut, de la place, du rôle et  de la fonction des deux volets migratoires pour le Maroc. Les chercheurs devraient être parmi les participants. 
  • Prévoir une session spéciale au niveau de chacune deux chambres du Parlement pour adopter toutes les lois concernant le dossier migratoire dans son ensemble. Cette initiative suppose la mise en place préalable d’un plan législatif spécial entre le gouvernement et le bureau de chacune des deux chambres du Parlement, en impliquant les chercheurs, la société civile MRE, la société civile locale, les ONG de Migrants au Maroc
  • Mener un débat de fond à la Chambre des conseillers à Rabat pour tirer les enseignements politiques nécessaires sur le projet de loi numéro 59-22 portant approbation de l’accord permettant la mise en place d’une représentation permanente de l’ICMPD à Rabat, lorsqu’il sera inscrit à l’ordre du jour pour adoption. Il est vrai que le 18 juillet 2023 à la Chambre des représentants, l’attention des députés était accaparée fondamentalement par la nécessité du blocage de deux projets de loi approuvant deux conventions OCDE relatives à l’échange de déclarations et de données financières portant atteinte, en l’état, aux intérêts des citoyens marocains établis à l’étranger en demandant au gouvernement de les revoir…Mais était-ce une raison pour faire adopter à l’unanimité, sans pratiquement aucune observation, tous les autres textes, en particulier celui relatif à l’ICMPD que nous avons largement discuté dans la présente tribune !? 

 En guise de conclusion

Au total, voilà quelques-unes des propositions concrètes que nous voudrions soumettre au débat public pour l’action pour que la recherche nationale au Maroc au plan migratoire, prenne toute sa place, qu’elle soit encouragée et institutionnalisée pour être au service des politiques migratoires nationales, qui doivent être ouvertes sur le développement, le respect des droits de l’Homme et des dispositions du droit international relatif aux migrants et aux réfugiés. 

Ce ne serait que logique et cohérent avec l’intervention pertinente récente à Rome de Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères, de la coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, axée sur la nécessité d’une démarche non foncièrement sécuritaire de la question migratoire. 

Sur ce plan, on ne peut qu’apprécier fortement le dynamisme et la justesse des positions de la diplomatie migratoire du Maroc à l’échelle internationale comme question globale, en particulier au niveau du système des Nations Unies et de l’Union africaine et rappelé parfois au niveau méditerranéen en particulier. Cette diplomatie gagnerait encore mieux si elle est traduite également à l’échelle interne des politiques migratoires du Maroc, dans le cadre d’une cohérence d’ensemble. Voilà pourquoi, on souhaiterait vivement que le futur de la coopération avec l’ICMPD tienne compte des remarques -critiques que nous avons formulées avec également des suggestions faisables, et qu’il y ait une véritable politique nationale de la recherche en migration, avec financement prioritairement interne.

A notre sens, ceci devrait figurer également dans la feuille de route, plan d’action gouvernementale ou « programme exécutif » qui se fait encore attendre plus d’un an après l’interpellation de l’Exécutif par le Souverain, dénotant un manque de visibilité et de lisibilité et l’absence d’une capacité réformatrice du gouvernement, alors que celui-ci est tenu de mener cette réforme structurelle et l’élaboration d’une stratégie sectorielle en la matière. Le discours royal du 20 août 2022, dans sa partie relative à la place et au rôle des citoyens marocains résidant à l’étranger, ne doit pas être considéré comme un discours pour rien, alors qu’il a posé des questions de fond, notamment la question de principe suivante : Qu’avons-nous fait pour renforcer le sentiment patriotique de nos émigrés ? 

 Il n’est nullement sérieux de la part du gouvernement de camper dans ce conservatisme. Il devrait bien réfléchir au sens du récent discours du Trône 2023, bâti sous le signe du sérieux, comme devise de l’époque présente, notion qui a été utilisée quatorze fois. En particulier dans les passages suivants, qui nous laissent interrogatifs par rapport au gouvernement actuel : «Il nous appartient de faire preuve de ce sérieux reconnu pour franchir de nouveaux seuils sur la voie du progrès et pour échafauder des réformes, des projets de plus grande envergure, dignes des Marocains ». Et de synthétiser : « En définitive, le sérieux est la clé de voûte d’une approche intégrée qui subordonne l’exercice de la responsabilité à l’exigence de reddition des comptes et fait prévaloir des règles de bonne gouvernance, la valeur travail, le mérite et l’égalité des chances ». 

Pourquoi face à ces principes, le gouvernement regarde-t-il ailleurs ? Pourquoi l’égalité des chances ne s’applique-t-elle pas aux citoyens MRE, aux immigrés et aux demandeurs d’asile au Maroc ? 

Un point très important pour terminer. Quel que soit le nombre de mesures concernant les citoyens MRE qui vont, nous l’espérons, être prises par toutes les instances concernées, en premier lieu le gouvernement, elles n’auront un sens que si elles sont intégrées dans une vision globale. Or, si nous avons depuis fin 2014 une Stratégie nationale d’immigration et d’asile qu’il s’agit de dynamiser, de renforcer et surtout de ne pas abandonner, par contre, nous manquons toujours cruellement d’une stratégie nationale globale, cohérente et intégrée en matière de citoyens MRE. Ceci en dépit de l’appel du discours royal du 6 novembre 2007 et du rappel solennel pressant lors du discours du Trône 2015. Sur tous ces aspects, la mise à jour gouvernementale est plus que nécessaire. 

FIN

Disclaimer : Les avis exprimés dans la rubrique « Tribune » ne représentent pas nécessairement les opinions du média ENASS.ma

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