Une nuit à Ighil, épicentre de la tragédie
L’équipe de ENASS a pu visiter dès le deuxième jour du drame, l’épicentre du séisme, Ighil. Notre équipe a passé une nuit blanche parmi les habitants. Récit sur une des zones les plus dévastées d’Al-Haouz.
Réalisé par Imane Bellamine et Anass Laghnadi
Au cœur des décombres, une frêle âme attendait. Les yeux d’innocence scrutaient l’obscurité, cherchant des lueurs d’espoir dans les ombres qui l’enveloppaient. Autour, le silence pesait, chargé de la douleur des âmes en lutte pour la vie. Elle avait perdu toute sa famille, son destin brisé par la violence d’un séisme implacable, attendant peut-être d’être retrouvée. Comment cet enfant allait-il assimiler cette cruelle réalité qui venait de s’abattre sur lui ? Quel courage lui faudrait-il pour accepter l’inacceptable, pour se relever dans un monde dévasté et trouver la lueur d’espoir au milieu des ruines ?
Les oubliés d’Ighil
Comment se relever dans un monde dévasté ?
Dans ces villages du Maroc profond, en Haut-Atlas, le temps semble s’étirer bien plus lentement qu’à Marrakech. Dimanche, deux jours après le violent séisme de magnitude 7 sur l’échelle de Richter qui a secoué la région le 8 septembre, les équipes de secours progressent péniblement sur des routes jonchées de débris, cherchant à atteindre ces communes reculées d’Al-Haouz. Épicentre de la catastrophe, la province déplore plus de la moitié des victimes enregistrées dans le pays.
Dans le crépuscule lugubre de ce dimanche, nous atteignons enfin Ifourirne, une première halte avant de poursuivre vers Ighil. La route reste obstinément bloquée, figée dans les séquelles d’un séisme dévastateur survenu il y a maintenant plus de 48 heures. « Il est impossible de continuer en voiture, vous n’avez qu’à traverser le lac et après vous montez à partir du premier pont et vous continuez en montagne jusqu’à ce que vous arriviez à la commune de Ighil », nous explique un habitant. La seule option qui nous reste est d’avancer à pied. Cette dernière étape est une marche, parcourant au moins 10 kilomètres pour atteindre le premier village de la commune d’Ighil.
« Dites-leur de venir aider les gens. Faites entendre notre voix ».
On commence nos premiers pas vers le lac lorsqu’on observe un petit groupe de villageois qui descendent vers Ifourirne. Un jeune homme, le visage empreint de douleur, nous interpelle : « Vous êtes une association ? Vous êtes journalistes ? alors je vous en prie, allez voir les gens. Nous n’avons plus de maisons, plus de familles. Personne n’est venu nous rendre visite. Mes mains portent encore la terre de mon proche que nous venons d’enterrer », crie-t-il sa rage. Ses larmes entravent son discours. Il nous salue avant de nous rappeler : « Notre douar a été dévasté. Dites-leur que nous avons enterré tous les nôtres. Dites-leur de venir aider les gens. Faites entendre nos voix », insiste-t-il. Il nous salue à nouveau et part, tenant la main d’une dame âgée, avant de disparaître.
Comment trouver la lueur d’espoir au milieu des ruines?
Notre avancée se poursuit, nous observons les dégâts sévères, des maisons réduites en ruines, du bétail gisant sans vie. Une odeur insoutenable de la mort imprègne les lieux. Le village n’est plus que l’ombre de ce qu’il était.
On rencontre Lahcen en moto, un homme dans la cinquantaine et nous lui demandons s’il peut nous rapprocher du premier douar. Il accepte de faire l’aller-retour pour nous conduire. En route, il nous fait part de son vécu durant ces moments, évoquant avec amertume leur grande perte. Dans les douars, ils se considèrent comme une seule famille. Il nous explique ainsi que personne n’est encore arrivé à les voir et que nous sommes les premiers à les visiter.
À Imerzegane, seuls face aux désastres
« Ce que vous vous apprêtez à voir ici est terrible»
Nous atteignons le premier douar, Imerzegane. L’un d’entre eux nous confie avec un regard empreint de confiance : « Ce que vous vous apprêtez à voir ici est terrible, mais j’ai foi en votre capacité à faire entendre notre voix ». Il ajoute avec émotion : « Je travaille à Marrakech. Quand on m’a appelé, on m’a annoncé que notre maison s’était effondrée. Aucune information sur ma mère. Je n’ai pensé à rien d’autre qu’à venir la chercher, la sauver. Elle venait d’être opérée. Nous avons réussi à la sauver, heureusement ».
« C’est ici l’épicentre, pourtant jusqu’à ce dimanche soir personne n’est venu », déplore-t-il avec des yeux empreints de colère.
Des jeunes du village, confrontés à l’absence de secours, refusaient de se résigner.
Pendant que l’attente semblait interminable, les habitants nous racontent comment l’héroïsme à sauver des vies.
Hassane, Houcine, Abdelah et bien d’autres…Des jeunes du village, confrontés à l’absence de secours refusaient de se résigner. Il puisait en eux une force insoupçonnée pour sauver les leurs. Ils se jetaient au cœur de l’adversité, extrayant avec une détermination inébranlable leurs proches des griffes de la tragédie.
Dix-huit vies perdues, treize blessés graves, tel est le premier bilan de ce petit douar. Pour atteindre les blessés, il fallait traverser des maisons détruites. Le douar ressemble à une zone de guerre, un endroit déserté par la population. Nous marchons jusqu’à rencontrer les survivants.
« Nous n’acceptons pas d’être abandonnés ».
Hassane, un des habitants du douar Amerzgane
Hassan, âgé de 45 ans, se tient devant nous pour témoigner de la tragédie qu’il a vécue. Dans ses yeux empreints de douleur, on peut lire la perte irréparable qu’il a subie. Il a perdu ses deux enfants, Salma, 12 ans, et Hassan, 15 ans. Sa femme, bien que gravement blessée, a survécu, tout comme leurs deux autres enfants. Leurs visages portent les marques de l’angoisse endurée pendant les longues heures d’attente avant d’être retrouvés.
Hassan s’approche de nous, sa voix empreinte d’un mélange de tristesse et de colère envers tous les responsables de la région. « J’ai dû enterrer mes deux enfants, ma femme est gravement blessée, mais j’ai réussi à sauver nos deux autres enfants », déclare-t-il d’une voix chargée d’émotion. « Nous acceptons notre destin tel que Dieu l’a décidé, mais ce que nous n’acceptons pas, c’est d’être abandonnés ainsi, c’est l’Hogra », précise-t-il.
« Cessez de me parler du Qaïd ou d’autres responsables locaux, je ne veux parler à personne. Je veux adresser mon message directement au Roi ».
Hassan, un des habitants du douar Amerzgane
Il enchaîne : « Nos maisons ne sont plus que ruines, vous imaginez que pour retrouver nos défunts, nous suivons la sinistre piste de l’odeur de leur dépouille ? ». Avant de continuer : « Nous devons les inhumer, leurs corps souvent gonflés d’avoir été découverts trop tard, portant les marques de terribles blessures ».
« Cessez de me parler du Qaïd ou d’autres responsables locaux, je ne veux parler à personne. Je veux adresser mon message directement au Roi, lui parler et lui dire que nous sommes isolés, oubliés ».
Enfin…le village est désenclavé
Juste à presque deux mètres autour de lui on observe les blessés, tous entassés au sol, tous là, attendant que quelqu’un vienne à leur secours. Mina, sa colonne vertébrale brisée, gît, incapable de bouger. À ses côtés, une femme âgée de plus de 80 ans, la jambe cassée, et d’autres, blessés de différentes manières, partagent le même sort.
Nous progressons plus loin, atteignant Taourirt, un autre douar composé d’une trentaine d’habitations. La scène ici est malheureusement similaire, mais encore plus terrifiante. Non loin de là, le petit Souleimane avec son crâne béant, un visage blanc et une larme à l’œil face à face avec son père. Ce jeune enfant n’a pas eu l’occasion de dire un dernier adieu à sa maman. Les quelques secondes de séisme ont été suffisantes pour déchirer cette famille à jamais. Seule sa sœur Mariam a pu être sauvée.
Alors que la nuit commence à tomber, on distingue Sfia, la mâchoire cassée, Hassan avec le pied brisé, Aicha et son mari gravement blessé au dos et aux pieds… Tous attendent avec impatience l’arrivée des secouristes pour enfin soulager leur douleur.
Lundi 11 septembre, dès les premières heures, un acharnement s’est manifesté pour déblayer la route, rendant ainsi possible l’accès à Ighil. Vers 11 heures du matin, les Forces armées royales ont investi le village, tandis que l’équipe de la Protection civile entamait également la fourniture des premiers soins dans ce campement. Parallèlement, les préparatifs ont commencé en vue des opérations d’évacuation prévues dans les douars d’Ighil.
Quelle catastrophe terrible pour toutes ces familles. Mais quel courage aussi!
Je suis de tout coeur avec eux et j’espère que la reconstruction des villages et des personnes aura lieu aussi vite que possible. Courage à vous!