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L’Honneur Hkmaouite : Valeurs et prestige social

* Par Fatiha AAROUR

La singularité de la société hkmaouite ne réside pas seulement dans son passé marqué par la force et la résilience, mais également dans son code de l’honneur. À travers les époques, cette communauté a développé un ensemble cohérent de valeurs et de normes qui orientent ses relations sociales.

Akham (la tente traditionnelle)

Une exploration du code de l’honneur de ce groupe nous permettra de mieux comprendre les dynamiques socioculturelles qui le caractérisent, et la façon dont ses membres édifient leur identité en fonction des attentes de la société. De ce fait, plusieurs aspects méritent d’être examinés en détail, tels que les normes régissant le prestige social, où akham (la tente traditionnelle) occupe une place centrale et significative.

En outre, il faudrait tenir compte d’autres facteurs comme le nombre d’armes appartenant à chaque famille, le respect des engagements verbaux, la solidarité, le soin des personnes les plus vulnérables, la protection des demandeurs d’asile, la générosité, l’hospitalité, les festins somptueux, et plus encore.

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Les ancêtres des Hkmaouites résidaient dans des tentes noires authentiques, appelées “akham”, soigneusement disposées en cercle qui réunissait tout le clan (assoun). Néanmoins, la qualité des matériaux utilisés pour confectionner ces tentes était un reflet du statut social de chaque famille. Les tentes prestigieuses étaient tissées méticuleusement de poils de chèvre mélangés avec des tiges d’asphodèle, qui étaient habituellement réservées aux familles les plus prospères. En revanche, celles faites de laine de mouton et de palmiers nains étaient destinées aux familles les moins aisées.

L’architecture de ces tentes comprenait plusieurs pièces assemblées, nommées “iflidjen” (sing. aflidj), qui étaient soigneusement cousues ensemble. Au sein de ces tentes, une perche plate rectangulaire en bois tordu, appelée “ahmmar”, était insérée au centre. Elle était soutenue par deux poteaux cylindriques, également en bois, élevant ainsi l’intérieur du chapiteau. Ce dernier est fixé au sol à l’aide de piquets attachés aux bords.

L’intérieur d’akham (tente traditionnelle)

Les tentes des notables étaient encore caractérisées par leur composition de plusieurs iflidjen, ainsi que par une profusion de tapis rouges décorés de motifs complexes, appelés “ahnbel”, qui ornaient les bords extérieurs et se répandaient aussi au sol. À l’intérieur, la tente était divisée par une longue armoire en bois, qui servait de support pour ranger les tapis et les couvertures pliées, ainsi que pour stocker les provisions, notamment la farine, le thé, le sucre, le beurre, etc. Une partie de l’espace était consacrée à la cuisine, dite “amddiss” qui abritait aussi les femmes tandis que l’autre partie était réservée aux hommes. 

La partie dédiée à la cuisine contenait toute une variété d’objets, tels qu’une couscoussière en poterie, de grandes jattes et des louches en bois de genévrier, un moulin en pierre, une théière, des verres à thé et autres ustensiles nécessaires pour préparer les repas.

Avec l’avènement de la sédentarisation, les Hkmaouites ont laissé la vie sous les tentes pour vivre dans des maisons en maçonnerie. L’architecture de ces nouvelles habitations reflète également le statut social de chaque famille : les maisons en pierre de taille ou en briques alvéolées sont construites par les chefs de famille aisées, tandis que les maisons en terre accueillent les moins fortunées. La tente n’a cependant pas perdu son prestige et sa valeur symbolique, elle perpétue l’histoire d’une culture profondément ancrée dans la solidarité et l’entraide. Plusieurs familles disposent encore de ces chapiteaux qu’elles érigent lors d’occasions spéciales, comme les mariages, les circoncisions ou les retours du pèlerinage. 

«C’était une époque où des liens familiaux solides apportaient une protection inestimable».

Zahra, 56 ans, hkmaouite

Zahra, 56 ans, hkmaouite, vit et travaille à Salé. Bien qu’elle réside dans une grande maison, elle a toujours le désir constant d’acquérir une tente et de l’installer près de la maison de ses parents à Tiddas. Son témoignage révèle une profonde nostalgie pour le passé, qui semble maintenant si éloigné. 

Zahra considère que le sens de la tente n’est pas une question de dépaysement, elle incarne plutôt l’histoire d’un passé où la famille restait unie quoi qu’il arrive et prêtait main forte à ses membres : ” C’était une époque où des liens familiaux solides apportaient une protection inestimable. Autrefois, la pauvreté n’entraînait aucun mépris ; la djmaâte (le conseil tribal) soutenait les moins chanceux dans toutes les situations. Même ceux et celles qui aspiraient au mariage avaient droit à une collecte pour payer la dot et préparer le trousseau de la mariée. Qu’est-il advenu de tout cela face à l’émergence préoccupante de l’individualisme ?”, se demande-t-elle.

La tente, bien qu’elle ne puisse faire revivre le passé que Zahra estime glorieux, éveille néanmoins en elle son sens d’identité et cimente son engagement envers les valeurs de solidarité auxquelles elle tient tant.

«Lorsque nous avons bâti une maison moderne, défaire le chapiteau fut un crève-cœur pour ma mère».

Fadma, une native d’Aït Alla.

Quand je suis revenue à Paris après un mois sur le terrain, j’ai revu Fadma, une native d’Aït Alla, établie à Villejuif. Lors de notre discussion dans un café du 5e arrondissement, il était évident qu’elle gardait des souvenirs précis et vivants de la tente familiale qui avait jalonné son enfance :  “Je garde en tête l’attachement de ma mère à notre tente, vaste et élégante. Lorsque nous avons bâti une maison moderne, défaire le chapiteau fut un crève-cœur pour elle. Elle le repliait avec soin, renouvelant ses iflidjen chaque année. Pour elle, notre tente était un trésor, choyé comme un enfant.”

Aujourd’hui, le chapiteau hkmaouite est principalement en usage chez les “âzzaben”, bergers semi-nomades des montagnes. Néanmoins, il reste un emblème de prestige social, particulièrement lorsqu’il est ample et agrémenté de superbes “ihanbliwen” (sing. ahnbal).

Dans la tradition hkmaouite, posséder une tente prestigieuse était un signe d’honneur pour tout foyer aisé. Le chapiteau devenait ainsi un enjeu de rivalité entre les chefs de clan. Les plus fortunés n’hésitaient pas à investir dans de majestueuses tentes pour y loger leurs wachoun (membres de la famille). Lorsque la famille était nombreuse, des tentes de taille intermédiaire étaient adjointes à la tente principale.

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Indubitablement précieux, l’akham détient une importance capitale au sein de la communauté des Aït Hkem. Bien plus qu’une simple demeure mobile associée au mode de vie semi-nomade, nécessitant mobilité et adaptabilité face à un environnement souvent exigeant, la tente reflète les valeurs et les hiérarchies sociales. Elle tisse également un lien étroit avec l’histoire de cette communauté, évoquant ses origines et sa culture. 

D’un point de vue culturel, le chapiteau hkmaouite représente le miroir de la communauté, de la famille et des liens de solidarité qui unissent ses membres. Même si la sédentarisation a apporté des changements importants, la tente persiste comme un symbole indélébile, rappelant la singularité de cette communauté.

Outre l’importance évidente de la tente dans le code de l’honneur hkmaouite, d’autres aspects saillants méritent une attention particulière. Parmi les valeurs essentielles de cette société, ressort l’obligation d’offrir un traitement respectueux aux individus étrangers vivant sous l’autorité du chef du foyer. 

Le wachoun, désignant les membres de la famille vivant sous la tutelle du chef du foyer, pouvait également compter des personnes défavorisées travaillant au sein du groupe agnatique pour leur subsistance. Des “amharssen” (sing. amharss), employés souvent étrangers à la tribu, étaient recrutés et vivaient au sein de la famille en échange d’une rémunération.  Par ailleurs, les esclaves jouaient un rôle fondamental au sein de cette organisation. Une fois affranchis, nombreux étaient ceux qui s’intégraient dans leur la communauté d’accueil, créant de nouvelles lignées au fil du temps.

Le code de l’honneur de ce groupe prohibait toute forme de maltraitance envers les employés et les esclaves placés sous la protection des foyers hkmaouites. Le Capitaine Querleux a d’ailleurs témoigné de cette pratique dans ses notes publiées dans les Archives Berbères (1915-1916) : ” ce serait d’ailleurs une erreur de croire que ces derniers ont une vie pénible, sans cesse en butte aux vexations et châtiments corporels ; Ils sont, au contraire, généralement bien traités et font partie de la famille. Très souvent même une esclave sera la concubine du maître et admise à partager sa couche ; si elle devient enceinte, l’enfant sera considéré au même titre que les autres. » 

Il convient de souligner que le code d’honneur de cette communauté prône également la bienveillance envers d’autres personnes vulnérables : orphelins, veuves, demandeurs d’asile. Chez les Hkmaouites, une affection particulière était réservée aux enfants. Avant d’atteindre la puberté, ils étaient vus comme des “malayka” (anges) et toute forme de châtiment ou de réprimande à leur encontre était rigoureusement évitée.

Pendant l’ère coloniale plusieurs familles invoquaient divers prétextes pour éviter d’envoyer leurs enfants dans les écoles françaises.

Pendant l’ère coloniale, de nombreuses familles hkmaouites refusèrent d’envoyer leurs enfants à l’école. Cette réticence ne provenait pas uniquement de la méfiance envers le colonisateur, qui pourrait éventuellement chercher à “transformer” leurs enfants en les éloignant de leur culture et de leurs traditions, mais également de la crainte des mauvais traitements qu’ils pourraient subir.

Lorsque les délégués du contrôleur français faisaient pression sur les parents afin qu’ils inscrivent leurs fils à l’école, de nombreux Hkmaouites employaient toutes sortes de tactiques pour empêcher leurs enfants de fréquenter l’école d’Iroumine (les étrangers). Plusieurs d’entre eux invoquaient divers prétextes pour éviter d’envoyer leurs enfants dans cet établissement. Certains anciens se souviennent encore de la manière dont leurs familles enduisaient la tête des enfants d’huile de cade et les enveloppaient dans des foulards, dans le but de convaincre les autorités françaises que leurs fils étaient affligés de gale et qu’ils risquaient de contaminer leurs camarades de classe.

Mon père relate l’anecdote suivante : ” L’ancien ministre, Feu Hassan Zemmouri, a eu la chance de bénéficier d’une opportunité exceptionnelle. Il était le fils d’un fqih originaire de Souss, qui exerçait au sein de la tribu d’Aït Bouguemale. Après le décès de son père, il a été pris en charge par khlifa Hammadi, adjoint du caïd local à l’époque. Lorsque les autorités françaises sont venues en quête d’enfants à inscrire à l’école, khlifa Hammadi a pris la décision de l’envoyer. Étant lui-même un agoujile (orphelin), Zemmouri a été remis aux autorités françaises. De manière paradoxale, khlifa Hammadi a refusé de suivre la même démarche pour ses propres enfants. Fort d’une intelligence exceptionnelle, l’homme a brillamment réussi ses études, ce qui l’a conduit à devenir ministre après l’indépendance.

L’ancien ministre, Feu Hassan Zemmouri

Certains Hkmaouites se souviennent aussi d’une autre histoire très marquante sans pouvoir en préciser la date exacte. Des aînés d’Aït Mahfoud ont témoigné que le sultan Mohammed Ben Youssef (Mohammed V) avait effectué un séjour de chasse à Aït Boumeksa en compagnie de ses enfants, bien que les détails soient flous.

Selon les récits de quelques membres de sa famille, Mohammed n’Fadma, l’un des anciens d’Aït Mahfoud, témoigne que pendant ce séjour, Moulay El Hassan (qui deviendrait plus tard roi du Maroc), âgé de six ou sept ans à l’époque, passait ses journées à jouer avec l’un des enfants nommé Benâssou. Très rapidement, une amitié s’était développée entre eux. Lorsque la famille royale avait conclu son court séjour et s’apprêtait à retourner à Rabat, le prince s’était mis à pleurer et avait exprimé le souhait que son nouvel ami l’accompagne. Le sultan avait alors convoqué les parents de Benâssou et leur avait proposé de l’emmener avec lui, afin qu’il devienne le compagnon du prince. Les deux parents, submergés par l’émotion, avaient baissé la tête pour dissimuler leurs larmes. La tristesse palpable avait ému le sultan, qui avait montré sa compréhension. Mohammed n’Fadma se demande à ce propos : ” On peut s’interroger quel aurait été le destin de Benâssou si ses parents avaient accepté. Il aurait sans doute mené une existence différente de celle où il se contentait de s’occuper de ses moutons, en se déplaçant entre la plaine et la montagne de Tighza jusqu’à son décès ?

La visite mémorable de Mohammed V a été honorée par la mise en place d’un modeste sanctuaire nommé « Tahouchit n’Ughellid », signifiant littéralement « le sanctuaire du roi », qui prend place au sein des reliefs de la montagne de Douilya. Ce lieu particulier est soigneusement entouré de pierres, évoquant sans doute une tentative de le revêtir d’une aura sacrée. 

Route vers la montagne de Douilya

Cet attachement envers les enfants peut également être interprété comme une forme de résistance face à la déconstruction systématique du lien parental, éléments qui forment le socle de cette communauté. Les enfants, bien plus qu’un simple prolongement de la lignée, représentent la clé de voûte assurant la continuité du groupe, préservant ainsi son mode de pensée et une culture qui tente laborieusement de résister aux bouleversements imposés au fil des siècles.

Selon la tradition, “un Hakmaouite doit être prêt à combattre et à sacrifier sa vie pour trois raisons : sa terre, sa femme et ses enfants“, c’est une question d’honneur. 

Pour explorer d’autres aspects du code de l’honneur au sein de la communauté hkmaouite, il est également pertinent d’examiner l’importance accordée à la possession d’un cheval (ayess) habilement soigné. Équipé d’une selle confectionnée en cuir de qualité et ornée de fils de soie, ce cheval était un puissant symbole de gloire, ravivant ainsi les notions de noblesse, de prestige, de fierté, de bravoure et d’esprit guerrier qui étaient chères à ce groupement. Se doter d’un tel cheval ne représentait pas uniquement un statut social, mais aussi un moyen de revivre et de célébrer les valeurs fondamentales qui nourrissaient le système de valeurs de ce groupe.

Un autre élément capital de ce code consistait à mesurer la force d’un groupe en fonction du nombre de ses membres disposés à prendre les armes pour la défense collective. Les jeunes audacieux étaient particulièrement admirés et se voyaient attribuer le titre de “aârrim” traduisible par “courageux”. De plus, une famille possédant plusieurs fusils suscitait un grand respect et même une certaine appréhension au sein de la communauté. 

Les douloureux souvenirs des conflits intertribaux les plus meurtriers, survenus quelques années avant l’établissement du protectorat français avec les grandes tribus voisines Zaïane et Zaër, se sont gravés dans la mémoire, se transmettant de génération en génération. Les désaccords autour des terres de pâture ont évolué en affrontements cruels, et ceux qui choisissaient de fuir le champ de bataille pour retrouver leur tribu faisaient l’objet de moqueries.

À l’entrée du village, les femmes attendaient avec leurs bols de henné les hommes jugés pusillanimes pour avoir fui la bataille. Initialement, elles teignaient leurs burnous, puis appliquaient le henné sur leurs paumes. Cet acte laissait entendre que leurs mains n’étaient pas faites pour tenir des armes, mais plutôt pour être ornées de henné, et que le burnous coloré soulignait leur fragilité, exposant ainsi cette caractéristique à l’ensemble du groupe. Ces hommes étaient alors regardés avec mépris, car esquiver la guerre lorsqu’une menace planait sur leur communauté était considéré comme un comportement déshonorant. 

Un proverbe ancré dans la mémoire collective met en évidence l’importance du fusil au sein de cette société et dans son code de l’honneur : La valeur d’un homme se juge à celle de son fusil. Marcel Lesne en fait écho dans son travail Les Zemmour. Essai d’histoire tribale (1967) : « Un fusil ne pèse jamais lourd pour venger un crime, punir l’adultère, châtier une trahison ; aussi les crimes ne sont-ils pas toujours aussi nombreux qu’on pourrait le penser ; mais le caractère collectif de la responsabilité et le jeu des alliances rendent meurtrières les représailles et les actions de force. »

L’expertise indiscutable des Hkmaouite dans la manipulation précise du fusil pour ne pas manquer leur cible est mise en évidence à travers une diversité de chants qui persistent lors des danses d’ahidous. Prenons l’exemple de ce chant :

A hawa bou jouija lak itrjouji üffous 

Ô fusilier, prenez garde, le fusil n’est pas sûr entre vos mains,

 A hawa hak tihmmamine nnag ouârouch 

Observez les pigeons perchés sur la branche

La deuxième strophe du poème a une signification métaphorique qui pourrait être interprétée d’une autre manière : 

Ô fusilier, montrez votre adresse, que les ennemis observent

Chez les Hkmaouites, les chants vont bien au-delà de leur rôle de simple expression des talents guerriers. Ils sont intimement liés aux émotions, aux vécus historiques et aux valeurs de la communauté. Ces mélodies ne se limitent pas à une démonstration de compétence ; elles véhiculent des sentiments intenses et bien d’autres nuances.

Dans ce contexte, où l’esprit guerrier avait une importance prédominante et constituait même le fondement de l’ancien mode de vie semi-nomade, il est intéressant d’observer comment la générosité et l’hospitalité jouent également un rôle crucial dans le système de valeurs des Aït Hkem. En effet, l’hospitalité ne concerne pas uniquement les individus aisés, elle s’étend à l’ensemble de la communauté, incitant chaque membre, y compris les moins aisés, à manifester générosité et accueil. Cette valeur prend tellement d’importance qu’elle suscite fréquemment une compétition entre les membres du groupement pour démontrer leur convivialité.

L’hospitalité demeure présente à travers diverses manifestations, notamment par le biais de la pratique de tamghroust, un festin fastueux qui implique le sacrifice d’un ou plusieurs moutons.

Jusqu’à nos jours, l’hospitalité demeure présente à travers diverses manifestations, notamment par le biais de la pratique de tamghroust, un festin fastueux qui implique le sacrifice d’un ou plusieurs moutons. Ce rituel est souvent orchestré en l’honneur des convives importants, visant à mettre en avant à la fois le prestige et la prospérité.

La tamghroust est également employée pour consolider des accords, faciliter des réconciliations ou acquitter un nsaf (pénalité) décrétée par l’assemblée tribale en cas d’infraction aux règles coutumières. Elle est aussi utilisée pour exprimer la gratitude envers la divinité suite à un événement favorable, ou encore pour marquer la reconnaissance d’avoir été préservé d’un malheur, entre autres usages. 

Le terme “tamghroust”, signifiant sacrifice, englobe un rituel empreint de symbolisme. Il se profile comme un événement capital, empreint de joie et de liesse.

Dès l’arrivée des convives, le bab ukham (chef du foyer) émet l’ordre d’égorger un ou plusieurs moutons, tandis que Les femmes s’occupent en cuisine à préparer le thé, les galettes (meloui) ainsi que les crêpes aux mille trous, nappées de miel et de beurre, qui seront servies aux invités. Les hommes, souvent employés sous la supervision du maître de maison et ses fils, prennent en charge la bête en la préparant pour le méchoui (akanif en berbère local), ainsi que les brochettes d’abats appelés touthla. La préparation du méchoui se distingue comme une activité intrinsèquement masculine.

Dans le passé, les foyers de certaines familles hkmaouites aisées abritaient des fours à méchoui traditionnels, conçus de manière cylindrique et dressés vers le ciel, fabriqués à partir d’un mélange de terre et de paille. 

Le rituel de tamghroust suscite une forme de rivalité entre les membres du groupe. Il arrive que les gens parlent d’un festin pendant plusieurs mois, voire des années. Cet événement est agrémenté de mythes et de contes fantastiques. On raconte par exemple que la quantité de méchouis servie était si prodigieuse que même les résidents des hameaux voisins, qu’il s’agisse des plus démunis, des enfants, des jeunes filles ou spécifiquement des femmes enceintes, pouvaient tous obtenir une portion.

Il est à souligner que cette population entretient la croyance que ce genre d’occasions pourrait avoir des conséquences néfastes si les personnes présentes sur le lieu du sacrifice ne prennent pas certaines précautions, en particulier les enfants et les femmes. Il est impératif d’éviter de marcher sur les flaques de sang de mouton répandues au sol, sous peine d’être exposé aux laryah (mauvais esprits).

Par ailleurs, les gens semblent fermement convaincus que l’odeur des touthla (brochettes) et le méchoui attire les esprits maléfiques, et que ceux et celles qui désirent en manger sans y avoir accès risquent d’être possédés. Cependant, ce geste de partage ne trouve pas uniquement son origine dans la volonté de protéger les membres de la communauté des mauvais esprits. Mais il puise également sa source dans le code de l’honneur qui le valorise et réprouve toute forme de dédain envers les plus démunis.

L’assistance aux plus vulnérables en les nourrissant tout en préservant leur dignité est considérée comme un devoir. Toute action contraire à cette norme va à l’encontre des principes fondamentaux du système de valeurs considéré comme loi suprême.

Ainsi, le lien avec tamghroust semble revêtir un caractère solennel et être méticuleusement orchestré au travers de rituels festifs spécifiques, qui sont à la fois imités au sein de la même communauté et parfois même empruntés à d’autres. Cette pratique, transmise de génération en génération, prend racine dans les coutumes solidement établies par les foyers les plus aisés, qui possèdent un savoir-faire précieux en la matière.

Cette pratique ainsi que la concurrence autour de l’hospitalité trouvent une résonance dans la théorie du désir mimétique développée par René Girard dans son œuvre “La Violence et le Sacré” (1972). Girard considère que nos désirs ne sont pas intrinsèques, mais qu’ils émergent à travers l’imitation des désirs d’autrui. Il présente le désir comme un processus triangulaire, où l’imitation s’opère à travers la médiation d’un modèle, créant ainsi une relation interdépendante. 

La théorie mimétique prend ici une signification particulière en illustrant le rôle fondamental de la mimésis sans nécessairement conduire à la violence. Plus précisément, elle nous permet de comprendre comment l’imitation des comportements de générosité et d’hospitalité renforce les liens sociaux et favorise le respect des normes au sein de cette communauté. En imitant les actions et les conduites d’autrui, les membres de la communauté consolident leur sentiment d’appartenance et renforcent leur cohésion.

L’organisation de tamghroust avec ses rituels suscite une réflexion profonde sur ses origines et ses fonctions fondamentales. Que ce soit lorsqu’elle est orchestrée pour conjurer un mal ou pour exprimer la reconnaissance envers la divinité pour avoir épargné un être cher d’un péril, cette cérémonie complexe soulève des questions pertinentes. L’emploi du terme “sadaka”, issu de l’arabe et signifiant aumône, dans certains contextes liés à tamghroust, suggère que cette pratique pourrait avoir une dimension spirituelle ou symbolique. Les sacrifices effectués lors de ces événements pourraient ainsi revêtir une importance particulière, établissant une connexion avec une divinité.

Dans cette perspective, les réflexions d’ Henri Hubert et Marcel Mauss dans “Essai sur la nature et la fonction du sacrifice” (1899) sont particulièrement éclairantes. Elles suggèrent que le sacrifice peut servir simultanément plusieurs objectifs sociaux. Il établit un pont entre le sacré et le profane, en se servant d’une victime lors du rite, qui est, dans le cas des Aït Hkem et de plusieurs autres communautés, souvent un animal. Il est évident que le sacrifice occupe une place centrale dans le tissu social, où des rituels de purification opèrent pour renouveler constamment l’âme collective, incarnée par ses entités divines.

Dans un regard global, l’analyse de tamghroust à la lumière des travaux d’Hubert et Mauss révèle le rôle à la fois complexe et multifonctionnel du sacrifice en tant que pratique culturelle et rituelle. Cette célébration dépasse la simple interaction avec le divin ; elle occupe une place essentielle dans la cohésion sociale, la communication symbolique et la construction de l’identité collective.

L’importance du sacrifice est aussi ancrée dans une autre pratique essentielle dans cette communauté : l’établissement de liens de fraternité supposés. Lorsqu’un individu ou un groupe d’individus aspiraient à rejoindre un clan ou un lignage, et à passer de l’état d’étrangers à celui de frères présumés suite à l’approbation du conseil tribal (djmaâte), il était exigé que les nouveaux arrivants sacrifient un mouton. Cela se déroulait au cours d’une cérémonie solennelle où les arrivants exprimaient publiquement leur demande et où la djmaâte l’acceptait officiellement et de manière irrévocable.

Cette pratique était largement répandue durant l’époque de siba. Les nouveaux venus quittaient leurs régions d’origine pour diverses raisons et cherchaient un refuge loin de chez eux. Après avoir demandé la protection, exprimée par le terme berbère “amûr”, qui se réfère au territoire de sécurité, auprès du chef de la lignée la plus puissante en prononçant : “llikh g umûrnnak ou t’rakh amûrnnak” (je me mets sous votre protection ou je demande votre protection), l’individu étranger devenait membre du groupe. Cependant, il n’acquérait pas immédiatement le statut complet de membre, à moins que le rituel du tamghroust ne soit accompli.

En effet, les liens de parenté supposée pouvaient être établis dès les premiers mois d’installation au sein du groupe grâce à la cérémonie du sacrifice. Le sang de l’animal présenté, conjugué au partage du couscous lors du repas, illustrait la genèse d’une fraternité construite. Dès lors, personne n’osait porter préjudice aux nouveaux arrivants, sous peine que cet acte soit considéré comme une grave atteinte à l’honneur de celui qui offrait sa protection. Il est important de souligner que le refus d’accorder une demande d’asile est perçu comme un acte déshonorant.

En résumé, le rite de tamghroust jouait un rôle essentiel dans l’établissement de liens sociaux solides au sein du groupe, en instaurant une fraternité symbolique et en établissant des normes de protection et de respect mutuel.

Un certain nombre d’étrangers, qu’ils soient d’ascendance arabe ou berbère, ont choisi de s’établir parmi les Aït Hkem en recherchant la protection des chefs des lignages les plus influents. D’autres membres de leurs familles les ont rejoints ultérieurement. Ils ont également contracté des mariages avec certaines familles et ont réussi à acquérir des terres. Un notable d’Aït Mahfoud raconte l’histoire de la lignée d’Aït Baâmrane venue d’Oued Zem (région située au centre du Maroc dans l’axe Casablanca-Beni Mellal), il y a plus d’un siècle.

Au début du XXe siècle, deux frères d’Aït Baâmrane sont arrivés en quête de la protection d’Aït Aissa. À cette époque, ce lignage était renommé pour sa force et le courage de ses hommes. Le chef de ce groupe s’est engagé à protéger ces réfugiés, car il était impensable de refuser une demande d’asile. Ainsi, les Aït Baâmrane ont scellé leur nouvelle fraternité en offrant un mouton en sacrifice chez les Aït Aissa. Cet acte représentait leur engagement, une obligation qu’ils devaient aussi préserver et honorer.

Toutefois, ces normes d’hospitalité peuvent occasionnellement conduire à des conflits internes au sein des groupes, engendrant des situations complexes à gérer. Bien que le code de l’honneur affirme que les individus ayant intégré le groupe grâce à la fraternité supposée doivent bénéficier des mêmes droits et obligations que les membres natifs, cela peut néanmoins susciter des tensions. Un témoignage recueilli lors d’une interview vient confirmer cette réalité :

 “Le dilemme réside dans le fait que ces individus, qui ont été protégés dans le passé, agissent désormais comme s’ils étaient des membres à part entière du groupe et réclament les mêmes droits. Récemment, les autorités ont demandé aux tribus de céder leurs terres collectives pour un projet d’utilité publique, à savoir la construction du barrage de Tiddas. Évidemment, les natifs des tribus doivent être indemnisés pour cette opération. Cependant, lors de l’élaboration de la liste des bénéficiaires, de nombreuses personnes, ainsi que leurs enfants et petits-enfants, veulent aussi être inscrits. Ces étrangers cherchent maintenant à être traités sur un pied d’égalité, ce qui suscite des interrogations quant à la légitimité de leur demande.

La situation décrite met en lumière une complexité intrigante. Les individus ayant rejoint le groupe il y a plusieurs années revendiquent maintenant des droits égaux, sans discrimination, tandis que certains de leurs apparentés fictifs les considèrent encore comme des étrangers, remettant en question leur droit à jouir des mêmes avantages. Cette situation inédite va à l’encontre des valeurs et des règles coutumières de ce groupe, qui n’avaient pas anticipé une telle circonstance. Il s’agit d’une évolution qui pose un défi sans précédent aux coutumes tribales.

Hormis la voie d’intégration complète, d’autres individus avaient la possibilité de se joindre au groupe en bénéficiant de la demande d’asile, sans pour autant obtenir le statut de membre à part entière. Ils maintenaient ainsi leur position d’étranger au sein du groupe. Cependant, ces résidents avaient la possibilité de progresser dans leur statut à travers le “partage du sang” (achchour n’idammen). Pour ce faire, ils établissaient des alliances matrimoniales en épousant des femmes issues d’un lignage ou en donnant leurs propres filles en mariage. La création de cette alliance se concrétise avec l’arrivée de nouvelles naissances au sein du groupe d’accueil. Les enfants portent en eux un mélange du sang des autochtones et des étrangers, créant ainsi un lien d’appartenance indirectement formé.

Le code de l’honneur chez les Hkmaouites se fonde également sur un principe fondamental : la capacité à respecter ses engagements et à rester fidèle à sa parole. Cette valeur, profondément enracinée dans leur culture, sert de critère pour évaluer l’intégrité d’un individu en fonction de son aptitude à tenir les promesses qu’il fait. Elle joue un rôle crucial dans la consolidation de la confiance, de la réputation et du statut de l’individu au sein de sa communauté. L’importance de cet aspect est également mise en évidence dans les observations du récit de Marcel Lesne, où il exprime à ce propos : « Le non-respect de la parole est-il un crime, et la fidélité aux engagements une vertu honorée (…). Ainsi, liberté individuelle, respect de la parole, contrainte collective s’unissent en période de siba pour équilibrer les diverses exigences de la vie sociale et le désir d’indépendance. »

Un seul groupe, deux systèmes de pensée

Les valeurs ancestrales sont de plus en plus ébranlées, particulièrement le code de l’honneur.

Les évolutions culturelles et intergénérationnelles incessantes au sein du groupe Aït Hkem ont engendré deux schèmas de pensée distincts : un paradigme traditionnel qui peine à s’adapter aux changements constants, et un autre modèle plus contemporain qui gagne en influence, mettant en péril les valeurs et croyances des ancêtres. Cette dualité peut causer des discordances tout en motivant des tentatives d’ajustement et de coexistence.

Les valeurs ancestrales sont de plus en plus ébranlées, particulièrement le code de l’honneur. Cette situation résulte de divers facteurs interconnectés qui influencent les dynamiques socioculturelles internes. Cette métamorphose reflète un profond changement dans les valeurs et les priorités des individus au sein de la communauté hkmaouite, ainsi que dans leur perception de l’identité.

Sans conteste, l’évolution des valeurs conduit à une identification croissante des natifs avec des idéologies et des orientations politiques et culturelles plus larges, qui peuvent différer parfois des principes traditionnels du code de l’honneur. Cette transformation de l’identité individuelle risque de diminuer l’importance de certaines valeurs anciennes au profit de convictions plus contemporaines. 

Par ailleurs, les stratégies gouvernementales, visant à démanteler les structures tribales, ont eu des conséquences remarquables au fil des années. Les mesures mises en place par les autorités ont affaibli le rôle traditionnellement prédominant de la tribu en tant qu’entité sociale et culturelle. L’importance de cette structure a considérablement diminué. Auparavant, la tribu constituait un pilier central de l’identité et des interactions sociales. Les individus sont désormais exposés à un éventail plus vaste d’influences; ce qui a fragilisé la force des normes établies par les ancêtres.

L’émergence de l’individualisme constitue également un autre facteur déterminant dans cette évolution. Les jeunes de la communauté accordent désormais une importance croissante à leurs choix personnels et à leur épanouissement, souvent au détriment des valeurs collectives. Le code de l’honneur, étroitement lié aux attentes et aux obligations envers la communauté, peut sembler moins pertinent dans ce contexte où les priorités individuelles sont mises en avant.

L’avènement des médias et des réseaux sociaux a considérablement accéléré ce processus en jouant un rôle essentiel dans la mutation des perspectives et des priorités

D’un autre côté, l’avènement des médias et des réseaux sociaux a considérablement accéléré ce processus en jouant un rôle essentiel dans la mutation des perspectives et des priorités. Qu’ils proviennent du niveau local ou international, les médias exposent les individus à une variété de pensées, de valeurs et de normes. Ces nouvelles influences ont le potentiel de remettre en question les croyances ancestrales et de contribuer à un changement d’attitude à leur égard.

D’un autre point de vue, le modèle de la famille étendue continue de perdre de sa prépondérance face au désir croissant d’indépendance vis-à-vis du contrôle parental. Les fils mariés s’éloignent de plus en plus de leurs parents après le mariage afin d’établir leurs propres foyers, même si certains optent encore pour la vie sous l’égide de leurs géniteurs. Ce processus de fragmentation a pris naissance lors de la sédentarisation et de la transition vers des activités économiques distinctes de l’élevage et de l’agriculture.

Les pratiques en accord avec les règles coutumières ancestrales sont quasiment révolues, remplacées par la suprématie du cadre juridique instauré par l’État. De plus, l’éducation des enfants au sein des établissements d’enseignement publics joue également un rôle crucial dans le bouleversement du système familial et des interactions sociales.

Bien que le chef de la famille étendue ne détient plus le même niveau d’autorité qu’autrefois, il demeure hautement respecté. Ses enfants prennent soin de lui en assurant ses besoins alimentaires et son suivi médical lorsqu’il atteint un âge avancé. Aujourd’hui, cette responsabilité pèse davantage sur les filles, en particulier celles vivant et travaillant en milieu urbain. Ces femmes font face à un fardeau social de plus en plus lourd, car elles doivent équilibrer leur carrière, leurs responsabilités parentales, la gestion de leur foyer, ainsi que le soutien à leurs parents.

À mesure que la politique étatique continue de démanteler graduellement le système tribal fondé sur la solidarité, aucune solution sociale de substitution ne voit le jour. Les enfants continuent d’assumer un rôle de soutien envers leurs parents, palliant ainsi le manque qu’engendre l’absence quasiment totale de l’État dans ce domaine.

La plupart des parents âgés vivent aujourd’hui seules, attendant les visites de leurs enfants et petits-enfants lors des fins de semaine et des fêtes religieuses

L’entraide au sein du groupe familial demeure solide, illustrée par l’existence d’une forme d’ascenseur social interne. Lorsqu’un membre de la famille réussit professionnellement, il apporte son soutien à son frère ou sa sœur en prenant en charge leurs études et leurs besoins jusqu’à l’obtention de leur diplôme. Cette démarche solidaire offre souvent aux plus jeunes des conditions d’études et d’épanouissement améliorées.

La plupart des parents âgés vivent aujourd’hui seules, attendant les visites de leurs enfants et petits-enfants lors des fins de semaine et des fêtes religieuses. Parmi ces occasions, la fête du sacrifice demeure l’événement le plus significatif, rassemblant presque tous les membres de la famille. Les fils mariés ont souvent l’habitude d’amener leurs moutons pour les sacrifier à la résidence familiale principale. Cela offre également l’opportunité de retrouver leurs frères et sœurs, fréquemment venus de loin. Quant aux filles mariées, elles sont tenues de passer le premier jour de l’Aïd-el-Kébir chez leurs beaux-parents, avant de rendre visite à leur propre famille.

Il est important de noter que malgré ces transformations substantielles au niveau des normes et des valeurs, des pratiques traditionnelles perdurent encore. Par exemple, lorsque certaines jeunes femmes qui vivent à l’étranger retournent dans leur pays d’origine avec leurs conjoints pour les vacances, il est souvent attendu qu’elles rendent d’abord visite à leurs belles-familles. En cas de réticence, certaines mères interviennent pour les rappeler à leurs devoirs. 

Saïda, âgée de 47 ans et vit à l’étranger depuis de nombreuses années, partage son témoignage qui permet un éclairage sur cette réalité : ” Ayant vécu à l’étranger pendant plusieurs années, lors de mes retours dans mon pays pendant l’été, ma mère insiste fortement sur le fait que je doive impérativement rendre visite en priorité à ma belle-famille à Aït Yadine(Khémisset). À ses yeux, omettre cette étape pour me rendre directement chez mes parents serait perçu comme un comportement déshonorant, qualifié de « hchouma ». Elle est d’avis que cela pourrait donner l’impression que sa fille ne respecte pas la noblesse de ses origines, son « açele ». Selon sa perspective, la femme idéale est celle qui agit en honorant son mari et sa belle-famille.

Il est évident que ces jeunes femmes qui se conforment aux demandes de leurs mères à cet égard le font souvent principalement pour éviter de les contrarier, sans que cela traduise véritablement une adhésion aux traditions. Néanmoins, il est crucial de décrypter l’attitude de ces mères pour comprendre la raison sous-jacente. 

Le comportement de ces femmes peut être comprise en examinant une dynamique sociale profondément enracinée dans le schéma cognitif de cette société. Conformément aux coutumes et au code de l’honneur hkmaouite, lorsqu’une femme se marie, elle intègre inévitablement le groupe de son conjoint. En conséquence, ses visites chez ses parents nécessitent désormais l’approbation préalable de son mari ou de ses beaux-parents. 

Aujourd’hui, malgré les transformations majeures du contexte social, les femmes plus âgées continuent de préserver leur mode de pensée. Elles s’efforcent de maintenir le respect des codes sociaux d’un système qui peine à résister aux nouvelles normes et aux paradigmes imposés par les mutations sociales.

En ce qui concerne les mariages, ils ont de plus en plus tendance à se conclure en dehors du cercle familial et tribal, une évolution qui aurait semblé extrêmement rare il y a près d’un siècle. Il est pertinent de noter à cet égard que les aînés de cette communauté continuent de percevoir les mariages contractés en dehors de leur propre groupe comme un sujet préoccupant, et ils éprouvent des difficultés à accepter les alliances exogames, en particulier celles imposées par leurs filles. S’unir à un individu étranger au groupe, même s’il appartient à une autre branche berbère, est perçu comme une mise en péril de la préservation de la terre et du patrimoine familial, qui sont censés rester au sein du même lignage ou de la même tribu. Le nouveau gendre étranger est vu comme une menace, car il acquiert des droits au sein de la communauté et pourrait éventuellement avoir accès à des parts du patrimoine grâce à l’héritage de son épouse.

Cela nous conduit à conclure que les familles hkmaouites demeurent vigilantes par rapport au renforcement de certaines normes ancestrales, même si ces codes semblent en perte de vitesse. Les individus plus âgés se trouvent souvent pris entre leur système de pensée traditionnel et une modernité qui peut parfois s’imposer de manière abrupte. Les bases de la stabilité du système, telles que le mariage endogame et la reproduction du groupe, ne sont plus les principes prédominants.

La nouvelle génération féminine exerce des pressions sur les familles pour que des unions avec des étrangers se concrétisent.

Bien que les mariages du même groupe soient devenus moins courants, un nombre considérable de jeunes Hkmaouites préfèrent encore les unions au sein de leur propre ethnie. Lorsqu’ils envisagent une alliance exogame, les conjoints partagent souvent des liens culturels similaires, qu’ils viennent du Moyen Atlas, du Haut-Atlas, du Rif, du Souss, voire même de la Kabylie. Cependant, cette tendance n’empêche pas l’émergence de mariages avec des partenaires d’origines arabes, européennes ou canadiennes, et ce sont généralement les jeunes femmes instruites qui favorisent ce changement de préférences et de pratiques sociales. De plus en plus, la nouvelle génération féminine exerce des pressions sur les familles pour que ces unions se concrétisent.

La transformation sociale au sein de ce groupe trouve également son origine dans l’immigration d’une jeunesse en quête d’émancipation. Ces dernières années, de nombreux jeunes ont opté pour quitter leur terre d’origine afin de s’établir dans les métropoles du pays ou à l’étranger, particulièrement en Europe, au Canada et aux États-Unis. Cette décision a été motivée soit par le désir de poursuivre leurs études, soit par le souhait d’améliorer leurs conditions de vie. 

Ainsi, l’une des causes de la fragmentation de ce groupe découle de la transformation du processus de socialisation et du mode de vie au sein de sa nouvelle génération. Les natifs résidant en dehors de la communauté exercent de plus en plus une influence importante sur leur groupe d’origine en introduisant des valeurs et des schèmes de pensée différents, parfois même en contradiction avec les pratiques et les valeurs des ancêtres.

Toutefois, il est clairement observable que l’exposition à d’autres cultures a eu un effet paradoxal en renforçant les liens avec les racines et la communauté d’origine. La jeune génération aspire de plus en plus à renouer avec les traditions tout en les adaptant à la réalité contemporaine. De surcroît, il est important de noter que certaines valeurs et pratiques ancestrales de la culture hkmaouite se révèlent être significativement plus progressistes que celles que l’on constate au sein d’autres communautés marocaines ou étrangères.

À travers ce regain d’intérêt, les jeunes cherchent à comprendre davantage leur identité, leur culture et à préserver l’héritage de leur communauté. Ce mouvement vers la protection et la revitalisation des valeurs ancestrales témoigne d’une volonté de perpétuer le patrimoine culturel tout en l’adaptant aux réalités contemporaines, marquant ainsi un pont entre le passé et l’avenir de la communauté.

A suivre…

Disclaimer : Les avis exprimés dans la rubrique « Idées  » ne représentent pas nécessairement les opinions du média ENASS.ma

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