Après le séisme, la solidarité des enfants du pays
Dans les villages de la région de Seksawa, près de Chichaoua, la solidarité entre les habitants et les migrants en ville permet subvenir aux besoins de cette zone sinistrée. Reportage.
Une caravane se prépare près de la localité de Mejjat. Des jeunes issus des villages sinistrés chargent les vivres et couverture en direction de la commune Lalla Aziza. Sur une des routes de l’impossibles, ces jeunes s’accrochent pour emmener les premières aides pour les villages isolées. Nous ne pourrons pas suivre leur chemin, « votre voiture est inadaptée à la piste. C’est 80 km encore, jusqu’à la frontière avec Taroudant »,nous prévient un de ces villages. Ici les premières aides sont fournies d’abord par les habitants et leurs familles venues en secours. La solidarité est mécanique.
Nous poursuivons notre chemin, plutôt sur une route goudronnée et des villages accessibles. Nous sommes sur les terres des tribus des Seksawa, précisément au hameau de Taddart, commune rurale de Douirane, province de Chichaoua. Ce village est sinistré mais toujours debout. La Jma’a est à l’œuvre. Parmi les 120 familles, aucune victime n’a été enregistrée. Les dégâts sont surtout matériels. Les équipements collectifs sont détruits complètement ou partiellement (école, mosquée, routes) et de nombreuses maisons ont également subi les effets du tremblement de terre.
À notre arrivée, nous sommes accueillis par un représentant des habitants et l’imam de la mosquée qui nous emmènent visiter le lieu de culte détruit. Dans ce village, la mosquée et le mausolée de Sidi Ahmed Belhassen occupent une place centrale. Comme l’avait observé Jacques Berque, « chez des Seksawa, les villages et les hameaux connaissent une solidarité dont le signe le plus complet est celui de l’existence d’une timezguida (mosquée) : lieu de culte […] mais aussi cercle municipal. L’unité timezguida est celle qui, à quelques anomalies près, pourra, le mieux, renseigner sur la quotité moyenne des agglomérations dans les cantons », écrit Berque cité par Hassan Rachik dans son livre « Socio-anthropologie rurale ». Les villageois rencontrés se disent attristés en premier lieu par la perte de « leur mosquée », avant d’aborder les pertes causées à leurs habitations. Face à une aide publique qui tardait à venir, la solidarité mécanique est déjà en marche.
Comme le qualifie le sociologue Hassan Rachik, il s’agit d’une « solidarité impérative ». « Nous avons acheté des tentes et nous les avons équipées en plastique », nous informe un des hommes du village. Pour la distribution des denrées alimentaires et les dons, le tout se fait sur la route principale. Des jeunes s’occupent de placer les produits reçus. « Nous attendons de rassembler 120 packs correspondants aux nombres de Takkat pour démarrer les distributions », précise un autre homme.
Dans ce village disposant de ressources d’eau, de champs d’oliviers et d’équipements hydrauliques en bon état, la catastrophe aura un effet certain mais la solidarité et l’organisation des habitants prennent le dessus.
Les jeunes originaires du village et travaillant en ville sont déjà de retour pour prêter main forte aux habitants.
Les jeunes originaires du village et travaillant en ville sont déjà de retour pour prêter main forte aux habitants. La solidarité mécanique se conjugue aussi en termes de temps passé avec les siens en ces moments difficiles. « Même si j’ai du travail à Casablanca, je ne peux pas quitter mon village. Je dois rester sur place », nous explique Youssef, jeune électricien. Même meurtri, le village tient grâce à la solidarité des siens.
Fait notable, un ensemble de maisons se trouvant à l’entrée du village dans une situation, nettement plus précaire en raison de la chute de pierres. Ce groupement isolé composé d’un même lignage (4 foyers) n’a pas été évoqué dans le discours des villageois rencontrés. Il semble qu’ils sont en conflit avec le reste du village. Comme le rappelle H. Rachik, la vie d’un douar n’est pas marquée que par la solidarité : « Il ne sert à rien de magnifier et d’idéaliser la solidarité communautaire. À côté des valeurs de solidarité, de travail bénévole, de charité et autres valeurs similaires, ces communautés connaissent le calcul, l’intérêt individuel et l’égoïsme »
Solidarité mécanique et carnet d’adresses
« Comment faire face au froid, nous sommes plus de 100 familles dans ce village ? »
À 5 km plus loin, la même scène se produit. Au village d’Addouz, les villageois s’organisent par leurs propres moyens. Le village compte deux victimes. « Le caïd nous a remis 5 tentes. Comment faire face au froid, nous sommes plus de 100 familles dans ce village ? », s’interroge un habitant. À défaut d’aides publiques, les habitants comptent sur la solidarité mécanique et un réseau de contacts en ville. Le moment de notre visite coïncide avec la distribution d’aide apportée par la Fondation Yusr, venue de Fès.
« J’étais présent à Marrakech le jour du séisme. Je suis venu prêter main forte à mon village ».
La distribution se fait sous la supervision du moukkadem (agent de l’autorité locale). Hassan est un travailleur immigré en Arabie Saoudite, il est à l’origine de cette opération de distribution. « J’étais présent à Marrakech le jour du séisme. Je suis venu prêter main forte à mon village. J’ai aussi appelé cette fondation caritative que je connaissais auparavant », explique-t-il. Le responsable de cette fondation : « Nous sommes à la 20ème opération de ce type dans les villages des environnements, nous comptons sur la collaboration de l’autorité locale. Nous leur demandons de nous préparer le nombre et la liste nominative des familles et sur cette base nous préparons notre convoi », explique doctement ce responsable associatif. A la solidarité mécanique s’ajoute un semblant de solidarité organique illustrée par la présence de ces professionnels de l’aide caritative qui sillonnent les villages. Il demeure que cette aide n’atteint les villages que grâce à des liens que peuvent avoir des habitants et leurs familles avec ces fondations se trouvant dans les grands centres urbains.
D’ailleurs lors de notre passage, nous observons des habitants d’un hameau qui ne se trouve pas sur la route principale et isolé du monde, qui ont dû se déplacer vers la zone de passage des véhicules transportant des aides pour recevoir/demander leurs parts d’aides apportées par des personnes privées ou par les aides publiques.
Dans ces configurations décrites plus haut, la solidarité mécanique prend le dessus, ainsi que la capacité des habitants à mobiliser les ressources (contacts, personnes se trouvant hors de la zone du séisme). Mais jusqu’à quand ?
PS : Reportage réalisé le 13 septembre