L’Organisation administrative chez les Aït Hkem
* Par Fatiha AAROUR
La confédération d’Aït Hkem, comme d’autres sociétés berbères, dispose d’un système administratif et social qui prend racine dans les coutumes, les exigences et les valeurs de la communauté. Ce système est principalement constitué de règles coutumières étroitement associées à la terre, adaptées au mode de vie semi-nomade de la population.
La tribu joue un rôle central dans la structuration de la vie des Hkmaouites, influençant considérablement les sphères sociales, économiques, politiques et spirituelles. L’assemblée tribale, connue sous le nom de “djmaâte”, ainsi que son chef (akswat), sont véritablement la clef de voûte dans la gestion des affaires de la communauté, aussi bien au niveau interne qu’externe. Cette entité, à la fois administrative, juridique et judiciaire, veille à la mise en œuvre des règles coutumières et gère plusieurs aspects de la vie de la tribu. D’autres sous-structures la composent, telles que la famille étendue (akham), le lignage (ighes) et le clan (assoun), qui sont des entités parallèles s’occupant des affaires de chaque groupe sous l’égide de son chef et de la structure mère.
Au sein de chaque assemblée tribale, seuls les chefs de familles étendues ont le privilège de participer aux délibérations, excluant systématiquement les femmes. L’autonomie individuelle est restreinte face à cette structure prédominante. Chaque membre est contraint de se conformer aux règles de la communauté, à son code de l’honneur et à ses principes fondamentaux. Tout manquement à ces directives entraîne des sanctions calibrées selon la gravité de la transgression.
Il convient de souligner dans ce contexte que le terme “tribu”, tel que défini par l’anthropologie coloniale, désigne un groupe social unifié vivant sous l’autorité d’un chef, partageant des coutumes, des traditions et souvent une origine commune. Typiquement, ces groupes sont liés par la parenté et occupent un territoire défini.
Cependant, ce concept a été l’objet de critiques acerbes, en grande partie à cause de ses connotations héritées du colonialisme. Historiquement, la notion de “tribu” était souvent utilisée par les Européens pour décrire des groupes ethniques non occidentaux, leur attribuant implicitement des caractéristiques telles que la “primitivité” ou une “infériorité” présumée. Cette terminologie servait alors à justifier une hiérarchie culturelle, renforçant ainsi la domination coloniale.
De nombreux anthropologues, conscients de cette problématique, ont plaidé en faveur d’une terminologie plus précise, voire pour un abandon complet du terme lorsqu’il s’agit de se référer à des groupes ethniques ou sociaux. Des figures emblématiques comme Marshall Sahlins et Eric Wolf en sont des exemples. Sahlins, pour ses recherches sur les sociétés du Pacifique, suggère que le terme “tribu” est trop simpliste. De son côté, Wolf, dans “Europe and the People Without History” (1982), conteste la représentation des sociétés non occidentales dans la littérature anthropologique.
Maurice Godelier, l’éminent anthropologue français, a également soulevé des préoccupations à cet égard. Bien qu’il n’aie pas directement critiqué le terme “tribu”, Godelier a suggéré que ce concept traverse une crise. Il remarque que le terme est parfois utilisé de manière interchangeable pour décrire différents types de sociétés, tels que les “bandes” ou les “États”. Dans “Le Concept de tribu. Crise d’un concept ou crise des fondements empiriques de l’anthropologie ?”, publié en 1973, il souligne que les critères utilisés pour ces classifications sont souvent flous, suscitant des débats parmi les chercheurs.
L’assemblée tribale : de l’autonomie à la domestication
L’assemblée tribale chez la communauté hkmaouite incarne le paradigme d’une institution profondément patriarcale. Selon les coutumes ancestrales de ce groupe, l’univers de l’assemblée est réservé exclusivement aux hommes. Cette tradition repose sur une perception ancrée selon laquelle les affaires politiques et décisionnelles sont du ressort masculin, considérées inadaptées ou inaccessibles aux femmes. En outre, même parmi les hommes, seuls les chefs des lignages, porteurs de l’autorité et du respect ancestral, ont le privilège et l’honneur de siéger au sein de cette assemblée. Ces chefs jouent un rôle crucial dans la prise de décisions, influençant ainsi directement le cours des affaires tribales en interne comme en externe.
La “djmaâte” est une institution structurée présente à différents échelons de la hiérarchie tribale, opérant spécifiquement aux niveaux du clan (assoun), de la tribu (taqbilt) et de la confédération (taqbilt ouaflla). Cette entité régulatrice est intrinsèquement liée au groupe auquel elle appartient. Bien que l’institution soit de nature patriarcale, elle incarne des traits d’une démocratie participative dans son mode de fonctionnement et de prise de décision. Chaque chef de famille, indépendamment de sa richesse ou de sa position sociale, est compétent à y participer, garantissant une égalité de représentation. La crédibilité et la force de l’assemblée résident dans le fait qu’elle englobe et représente tous les degrés de la hiérarchie sociale.
Ainsi, chaque “assoun” est doté de sa propre “djmaâte”, supervisée par un “akswat” (chef). Les chefs, ou “ikswaten d’issoun” (sing ; akswat), constituent collectivement l’assemblée de la tribu mère. Bien que les délibérations de cette assemblée suivent souvent un programme prédéterminé, elle peut être convoquée de manière impromptue en réponse à des événements extraordinaires ou urgents.
La “djmaâte” a pour mission d’assurer la cohésion sociale en se conformant aux règles coutumières locales, et veille scrupuleusement sur l’administration des biens communs et des affaires sociales. La prise de décision est un processus inclusif où chaque membre a une voix, et la quête du consensus est au cœur de cette démarche, mettant en lumière son rôle crucial dans la dynamique de l’assemblée.
Autrefois, l’assemblée tribale élaborait les règles du droit coutumier, inspirées du contexte, et veillait sur son application. Elle représentait aussi une institution juridique délibérante en vue d’arbitrage et de résolution des litiges. Le chef de l’assemblée était choisi parmi les notables du groupe par consensus. Avant d’être élu, l’akswat devait répondre à certains critères : richesse, courage, sagesse, intégrité, savoir-faire et agir, capacité à gérer les conflits et à manier une arme afin de défendre son groupe.
Le leadership jouait un rôle central dans l’unité et le bien-être de la communauté. Les responsabilités du chef s’étendaient au-delà de la simple gestion et représentation de son groupe.
Lorsqu’un chef de tribu cherchait des pâturages et des sources d’eau, son objectif dépassait la simple quête d’un lieu de subsistance pour le bétail et sa tribu. Il visait surtout un havre sûr et prospère, un endroit où sa communauté pouvait vivre en sécurité, à l’abri des dangers naturels et des confrontations avec d’autres groupes. Sélectionner un emplacement adéquat exigeait une connaissance approfondie du terrain, une anticipation des besoins futurs et des risques potentiels. Une fois ce lieu idéal identifié, le chef était chargé de préparer l’arrivée de sa communauté.
Face à des disputes entre tribus, l’akswat prenait la responsabilité de chef de guerre, démontrant l’importance vitale de son rôle dans la protection des intérêts et des ressources de la communauté. Cette dimension du leadership requérait audace, planification et la faculté de mobiliser la tribu contre une menace.
Les responsabilités du chef allaient au-delà de la gestion des conflits et de la quête de ressources. Il était également le garant de la paix et de l’équité au sein de la communauté, assurant un équilibre et un bien-être collectif. En tant que pilier du groupe, l’akswat s’assurait du traitement juste de chaque individu et de la résolution équitable des désaccords internes. Il démontrait sa capacité à guider sa fraternité tout en la protégeant. En résumé, le leadership tribal était un mélange de vision, bravoure, ingéniosité et engagement envers le bien commun.
Durant les réunions de l’assemblée, le chef joue invariablement un rôle central en tant que médiateur. Il s’assure que les débats soient inclusifs, harmonieux et respectueux, s’efforçant de concilier les points de vue divergents pour parvenir à un consensus. Il est attentif à ce que chaque participant soit entendu et pris en compte. Cependant, son influence ne se limite pas aux discussions internes. Lorsqu’il est confronté à l’autorité centrale ou à d’autres groupes, il représente la voix de sa tribu, assurant les fonctions d’ambassadeur ou de messager.
Le leadership du chef d’assemblée, bien qu’indispensable, n’est en aucun cas despotique. Au cœur de cette structure, la démocratie et l’imputabilité demeurent incontournables. Ainsi, si un chef emprunte une voie autoritaire ou excède ses droits, la “djmaâte” dispose du pouvoir de le révoquer. Ce système de vérification assure que le chef tribal demeure aligné sur les principes originels de la communauté, tout en renforçant le sentiment de devoir et de transparence.
À l’échelle supérieure de la confédération, l’absence d’une figure de chef stable pourrait traduire une essence démocratique et équitable. La “djmaâte” s’approprie les rênes du leadership, sauf en période conflictuelle, où un chef est nommé pour conduire la coalition.
Actuellement, même s’il n’a été recensé aucun cas de destitution d’un akswat, il est manifeste que la société n’adhérerait point à un commandement autocratique. Les récits des individus interrogés confirment cet attachement indéfectible aux fondements du consensus et de la considération réciproque.
L’organisation tribale hkmaouite offre une structure complexe qui peut être éclairée par les travaux de l’anthropologue Ali Amahan concernant les Ghoujdama. Son travail, intitulé ” Mutations sociales dans le Haut Atlas : les Ghoujdama (1998) “, détaille avec précision les transformations sociales qui ont affecté ce groupe et présente une structure organisée en trois niveaux distincts au-dessus de la cellule familiale : la localité, la fraction, et enfin la tribu. Chacun de ces niveaux possède deux institutions caractéristiques : au niveau local, on retrouve la djmaâte et le lignage, spécifiquement des Aït Rbâyn ; à la fraction, on a l’ighes ; et à l’échelle tribale, le conseil de la tribu et le leff.
Ce qui ressort aussi des travaux d’Amahan, c’est la capacité de cette assemblée à gérer des domaines qui dépassent les simples affaires internes. En effet, contrairement à l’idée avancée par d’autres anthropologues comme Gellner, l’assemblée tribale des Goujdama n’est pas limitée à la gestion des questions relatives à la terre et à l’eau. Elle traite également des questions plus complexes, comme celles des frontières et des pâturages, et elle interagit avec d’autres assemblées de différentes tribus.
Lorsque nous observons les institutions des Aït Hkem, nous pouvons noter des différences, mais aussi des similitudes. Les Aït Hkem, tout comme les Goujdama, possèdent des assemblées et des structures qui ont pour but la gestion des affaires communautaires. Cependant, chaque tribu, en fonction de son histoire, de son environnement, et de ses interactions avec d’autres groupes, développe des spécificités dans sa gestion.
Là où l’assemblée des Goujdama peut se concentrer fortement sur la gestion des infrastructures, par exemple, celle des Aït Hkem pourrait avoir une emphase plus marquée sur d’autres aspects, comme les relations intertribales, la médiation ou même la gestion des ressources naturelles.
C’est cette diversité dans la démarche et la mise en œuvre des responsabilités qui rend la comparaison entre l’assemblée tribale des Goujdama et les institutions d’Aït Hkem si intéressante. En dépit des similitudes apparentes, chaque groupe a su adapter ses structures pour répondre au mieux à ses besoins et défis spécifiques. Ce faisant, ils offrent une riche multitude d’approches et de solutions face aux enjeux communs des sociétés tribales.
En somme, ce modèle d’organisation sociale est le témoin d’une combinaison captivante de coutumes ancestrales et une forme de démocratie participative. Dans ce système, le leadership est simultanément vénéré et soumis à responsabilité, tandis que la voix unifiée de la collectivité revêt une importance prépondérante.
Dans les relations avec l’administration du makhzen, bien que le territoire hkmaouite ait été fréquemment reconnu comme une zone dissidente, il avait été contraint, lors de moments de faiblesse, d’accepter l’organisation administrative établie par celui-ci, tout en conservant ses propres structures tribales. Pour faciliter la perception des impôts, l’administration du Sultan avait mis en place une structure distincte, subdivisant le territoire des Zemmour et Aït Hkem.
Dans cette organisation, les territoires d’Aït Hkem et de Zemmour étaient divisés en “rbaâ” (quarts) et “khoms” (cinquièmes). Cette division n’était pas nécessairement le reflet des liens ou affinités familiales, mais plutôt, elle regroupait différentes factions sous l’autorité des caïds. Bien que souvent choisis parmi les élites de la communauté, les caïds opéraient sous la tutelle du makhzen. Ce système avait pour but d’attribuer les responsabilités à des personnes ayant une compréhension profonde des groupes qu’elles représentaient. Ainsi, deux modèles se distinguaient : le modèle administratif tribal et celui imposé par l’administration du Sultan.
La période précoloniale, documentée par le capitaine Querleux dans les Archives berbères (1915-1916), révèle la manière dont l’administration du Sultan avait organisé administrativement la région des Zemmour. Querleux indique que les territoires Zemmouris et Hkmaouite avaient été segmentés en cinq divisions, ou “khoms”. Chaque “khoms” était davantage décomposé en sous-unités appelées “rbaâ”. D’après Querleux, cette division n’était pas tant guidée par des impératifs de gestion que par une volonté d’optimiser la collecte fiscale. Ainsi, chaque “khoms” devait contribuer à hauteur d’un cinquième de l’impôt total, une somme ensuite divisée entre les différents “rbaâ”.
La volonté de contrôler, voire domestiquer la communauté hkmaouite, remonte à l’époque précoloniale. Une des méthodes employées pour atteindre cet objectif était la nomination de caïds issus de la communauté concernée. Ces caïds revêtaient une importance capitale pour la projection de l’influence du pouvoir central au sein des tribus. En plus d’agir comme relais d’information vis-à-vis des autorités, ces représentants se voyaient attribuer un ensemble de privilèges : un cheval, un fusil et une part des impôts qu’ils percevaient.
Le mandat des caïds allait au-delà de la simple collecte d’impôts. Ils étaient souvent sollicités pour intercéder auprès du makhzen, notamment dans des situations tendues comme lors de l’emprisonnement de membres de la tribu ou face à d’autres sanctions. En réussissant à obtenir des faveurs comme la libération des prisonniers ou la réduction de pénalités financières, les caïds solidifiaient leur position et renforçaient leur influence au sein de leur communauté.
Cependant, malgré la présence d’un caïd et son apparente autorité, la tribu conservait une grande part d’autonomie. Les aspects sociaux et administratifs étaient en grande partie régis par l’assemblée tribale, sans ingérence de l’administration ou de son caïd. En effet, au sein de la communauté, c’était principalement la loi coutumière et le code de l’honneur qui prévalaient, garantissant une certaine indépendance.
La complexité des rapports entre les caïds et le makhzen est marquante. Les caïds, tout en collaborant avec l’administration du Sultan, pouvaient tout aussi bien lui tourner le dos et mobiliser leurs groupes contre lui. Cette dynamique est parfaitement illustrée par la figure d’Ahmed Ben-El-Ghazi.
Dans le volume 9 de son ouvrage Kitab al-istiqsa li duwwal al-maghrib al-aqsa, l’historien marocain Ahmad ibn Khalid al-Nasiri décrit Ben-El-Ghazi comme un caïd marquant de son temps. Ce leader se démarquait non seulement par son influence considérable, mais également par une réputation qui franchissait les frontières de ses propres territoires. Mais cette puissance et cette influence qui lui permettait de mobiliser les groupements sous son égide, a finalement attiré l’attention des autorités de l’époque. Le percevant comme une menace potentielle à ses intérêts et à sa stabilité, l’administration du Sultan a pris la décision drastique de le mettre en détention. Ben-El-Ghazi a alors connu le destin tragique d’un leader emprisonné, finissant ses jours à Essaouira, loin de ses terres et de son influence.
Ce chapitre de l’histoire a amené le pouvoir à une réflexion stratégique. Reconnaissant peut-être la menace que représentait un caïd puissant et influent, le makhzen a ajusté sa politique. Plutôt que de confier le pouvoir à un caïd unique et prédominant, il a opté pour une distribution des responsabilités, illustrant la tactique de “diviser pour mieux régner”. Le territoire des Zemmours a ainsi vu l’émergence de plusieurs caïds, répartissant l’influence et minimisant la menace potentielle d’une insurrection coordonnée.
A l’instar de leurs frères Zemmours et d’autres groupements du voisinage, les Aït Hkem ont été aussi concernés par la nouvelle stratégie politique. Au lieu d’un caïd unique, plusieurs caïds ont été nommés parmi les notables de ce groupement. De 1883 à 1885, trois caïds ont particulièrement marqué Aït Hkem : Mohammed Ben El-Querchi El-Hkmaoui, Mohammed Ben Kassou El-Bouhakkaoui et Ben Abbas El-Hkmaoui. Ces nominations ont permis d’instaurer une présence plus disséminée tout en assurant une collaboration avec les élites locales.
Protection du territoire : le rôle des R’ma et des zettat
L’importance de la structure de défense au sein des tribus Hkmaouites est indéniable. Véritable pilier pour la sauvegarde du territoire et la préservation de l’autonomie face aux agressions, chaque tribu établissait sa propre force combattante : Les R’ma, dont le nom est dérivé du mot “romate” en arabe classique et désigne “tirailleurs” en français. Sous l’égide d’un mqddam (chef des combattants), ces guerriers étaient experts en tactiques de défense, en particulier contre les assauts intertribaux et les troupes makhzeniennes, notamment lors des tumultes de la période de siba, et plus tard, face aux forces coloniales françaises.
Cependant, les R’ma ne se définissaient pas uniquement par leur compétence guerrière. Ils étaient vénérés au sein de leur communauté, reconnus pour leur maîtrise martiale tout autant que pour leur profonde spiritualité. Cette dimension mystique engendrait d’innombrables légendes, témoignant de leur lien étroit avec le divin. Lors de crises, qu’il s’agisse de maladies ou d’autres adversités, les membres du groupement cherchaient leur intercession, espérant bénéficier de leur communion avec les puissances célestes.
Leur aura sacrée, profondément ancrée dans la conscience collective, a conduit de nombreuses générations à attribuer un pouvoir exceptionnel à leurs prières, surtout celles prononcées par le mqddam. Il est courant de comparer un karma, ou la conséquence d’un acte, à la précision d’une balle de fusil d’un rami. L’expression berbère locale “t’ffagh dix am errami” traduit cette idée, signifiant qu’une personne a immédiatement subi les conséquences de ses actions, tout comme la précision d’une balle de rami.
Avec le temps, ces légendes et croyances ont renforcé la stature des R’ma au sein de la communauté. Plus que de simples guerriers, ils symbolisent le pont entre le monde terrestre et le sacré, s’établissant ainsi comme des icônes incontournables pour l’unité de la communauté. Avant d’engager le combat, les R’ma pratiquaient des rituels, intégrant prières et chants, pour solliciter la protection divine. Des récits de leurs prouesses héroïques ont été parfois enjolivés, insérant des éléments surnaturels. Ainsi, un rami, n’ayant pas été touché pendant un combat, pourrait être considéré comme protégé par une force divine ou guidé par une vision prophétique.
Dans le passé, ces guerriers, formés et rigoureux, étaient impliqués aussi bien dans les combats directs que dans la surveillance et la défense des territoires. Leur compétence martiale et leur renommée ajoutaient un élément de dissuasion remarquable. Pour de nombreux d’individus, s’aventurer sur un territoire gardé par les R’ma sans la protection nécessaire était considéré comme un acte dangereux.
Charles De Foucauld a laissé de précieux témoignages sur ses voyages au Maroc, notamment sur la complexité de traverser certains territoires comme ceux des Gerouan et de Zemmour. En s’aventurant dans la région de Zemmour et Aït Hkem, ses inquiétudes allaient au-delà des défis posés par la topographie ardue de la région de Zemmour et Aït Hkem. L’exigence de solliciter l’aide des personnes chargées d’assurer la sécurité des voyageurs à travers ces terrains hostiles (zettat) était une préoccupation majeure.
Durant la période de siba, les territoires d’Aït Hkem et Zemmour étaient reconnus comme des bastions de résistance. Ces régions, avec leur géographie rugueuse, constituaient une barrière naturelle contre les intrus. La protection de ces zones reposait sur des systèmes structurés tels que le mezrag : une sorte de taxe ou de droit de passage qui était payé aux zettat.
De Foucauld était parfaitement conscient des enjeux et des dangers de ces territoires. Dans ses écrits, il insiste sur l’importance de se faire accompagner et protéger par un zettat lors de la traversée. Cela montre l’importance décisive de ces intermédiaires locaux, qui servaient non seulement de guides, mais aussi de gardiens assurant un passage pacifique.
La démarche de De Foucauld illustre à la fois sa prise de conscience des risques inhérents à la traversée de ces territoires et sa connaissance des coutumes et des pratiques locales. Le fait de faire appel à un zettat n’était pas une simple mesure de précaution, mais une étape cruciale pour garantir sa sécurité et établir un rapport de confiance avec les communautés de ces territoires.
Marcel Lesne, à travers ses récits, mentionne un Sultan qui, malgré sa puissance stature, préférait éviter ces régions plutôt que de courir le risque d’un conflit ou de s’abstenir de payer le mezrag requis. Les tribus des Zemmours et Aït Hkem avaient fait plus que de rendre la forêt de la Maâmora inaccessible. Elles avaient transformé ces territoires en des bastions naturels imprenables, défiant quiconque qui osait s’y aventurer sans l’autorisation nécessaire.
L’organisation tribale à l’époque coloniale et postcoloniale
À l’aube du 20e siècle, avec l’installation du protectorat au Maroc, de profondes transformations ont bouleversé le fonctionnement des structures tribales d’Aït Hkem. Parmi ces changements figure la nomination des membres de la grande assemblée tribale, désormais appelée “Jemmâa”, opérée conformément au dahir du 16 novembre 1916. Cette refonte institutionnelle imposée n’était pas qu’une simple formalité administrative ; elle avait des conséquences significatives sur l’autonomie et le pouvoir des assemblées tribales.
Sous l’emprise du pouvoir colonial, les tribus, qui avaient auparavant un rôle central dans la gestion des affaires communautaires et la préservation de la culture ancestrale, se sont progressivement transformées en figures subalternes. Elles ont été reléguées au rôle de simples consultants ou conseillers auprès des caïds. Ce changement a non seulement diminué leur autonomie décisionnelle, mais a également érodé leur influence et leur estime au sein de la communauté.
Cette évolution est clairement mise en lumière par El Mahfoud Asmahri dans son ouvrage publié en 2017, “Les institutions communales dans les domaines amazighs au Maroc”. Selon lui, cette subordination a affaibli l’autorité des chefs des assemblées tout en entravant leur capacité à servir efficacement leurs communautés.
La domination des tribus n’est pas passée inaperçue pour les acteurs politiques au Maroc de l’époque. En mai 1952, le Parti communiste, dans une démarche audacieuse, a publié une lettre ouverte adressée aux autres formations politiques nationales, notamment le Parti Istiqlal et le Parti de Choura et Istiqlal. Dans cette communication, le parti a critiqué ouvertement les autorités françaises pour leur rôle dans la déstructuration de l’assemblée tribale. Accusant ces dernières de démantèlement et de dilution de ces structures, ce parti a souligné la nécessité de préserver l’identité et les organisations coutumières.
Après l’indépendance, les réformes mises en œuvre se sont largement inspirées de la politique en vigueur. Alors que les institutions tribales jouissaient auparavant d’une certaine autonomie et de responsabilité au sein de leurs communautés, les tentatives de transformation de l’administration ont considérablement réduit leur importance. L’assemblée tribale, qui représentait autrefois le fondement de la structure sociopolitique des tribus, s’est retrouvée dépossédée de ses principales prérogatives et de la valeur juridique de ses décisions.
La publication du dahir n° 1-59-315 en juin 1960, qui visait à organiser la structure communale, a marqué un tournant décisif. Bien qu’il ait été présenté comme le commencement d’une décentralisation administrative, en réalité, il a considérablement limité les pouvoirs habituels de l’assemblée tribale. Les communes nouvellement créées, sous la tutelle du ministère de l’Intérieur et sous la supervision des caïds, ont récupéré les principales responsabilités autrefois attribuées à cette entité.
Les réformes entreprises ne se sont pas uniquement traduites par une restructuration administrative, elles ont également engendré des impacts significatifs sur le tissu social. Un exemple frappant, est celui des Aït Boubker et des Aït Mahfoud. Ces deux clans, historiquement étroitement liés, ont vu leur alliance rompue suite aux changements postcoloniaux. Aujourd’hui, malgré leur séparation administrative, les deux groupes partagent encore un lien fort d’appartenance et de fraternité, mais gardent en mémoire la douloureuse rupture orchestrée par les nouvelles politiques étatiques.
Dans les années 1960, la tribu Aït Boumeksa, composée de plusieurs clans, a été confrontée à une situation délicate lorsqu’un caïd du nom de Hachemi a demandé la désignation d’un cheikh pour servir d’intermédiaire entre lui et la tribu. Bien que cela puisse paraître simple en apparence, la demande a déclenché une série d’événements qui ont profondément marqué la mémoire collective de cette communauté.
Au cœur de ce processus, deux protagonistes importants ont surgi. D’une part, Si Belyazid, ardemment soutenu par les clans Aït Mahfoud et Aït Elânzi. Il était très respecté pour son intégrité, son courage et sa lutte reconnue face aux autorités coloniales. De plus, cet homme d’Aït Elânzi avait des liens familiaux étroits avec les Aït Mahfoud en raison de son ascendance maternelle. Par ailleurs, les Aït Boubker étaient favorables à Mohammed Ou Lehssan, une personnalité dont la réputation était entachée par des allégations de collaboration avec les forces françaises, ce qui lui avait valu le surnom d'”achakkam”, signifiant informateur.
Un ancien d’Aït Mahfoud se rappelle avec une clarté frappante le jour décisif où le débat pour la nomination du cheikh a eu lieu. Les trois clans avaient organisé une grande assemblée, où des festivités étaient organisées dans l’espoir d’atteindre un consensus. Malgré les tentatives incessantes des Aït Boubker pour rallier les membres de ces deux fractions à la candidature de Mohammed Ou Lehssan, la majorité a choisi Si Belyazid comme cheikh.
Toutefois, cette victoire fut éphémère. Peu de temps après sa désignation, Belyazid fut destitué par le caïd Hachemi, sans justification apparente. Il fut remplacé par Mohammed Ou Lehssan, la personne que les clans Aït Mahfoud et Aït Elânzi avaient catégoriquement rejetée. Ce changement abrupt a suscité un ressentiment profond, d’autant plus que beaucoup étaient convaincus que l’objectif initial des autorités était d’installer Mohammed Ou Lehssan.
Les interactions entre les autorités centrales et les tribus, en particulier les Zemmours et les Aït Hkem, s’inscrivent dans un contexte historique et politique d’une grande complexité. Dans les époques antérieures, face à ces entités tribales, le makhzen, avec une prévoyance notable, s’abstenait délibérément de parachuter des caïds étrangers à ces terres, même dans des conjonctures où ces mêmes tribus semblaient être en porte-à-faux. Il est plausible de postuler que cette approche a été soigneusement élaborée afin de maintenir l’équilibre, tout en respectant le socle de légitimité propre à ces territoires.
À l’ère moderne, on observe une forte tendance du pouvoir central à marginaliser les communautés tribales ainsi que leurs structures, réduisant drastiquement leurs prérogatives et leur autonomie. L’État semble avoir adopté une stratégie de domination accrue, cherchant à exercer un contrôle plus strict sur tous les niveaux de la vie sociale au sein des tribus. L’institution de la djmaâte, autrefois pilier central de la gouvernance tribale, est aujourd’hui fortement entravée dans son action.
Le ministère de l’Intérieur, qui joue un rôle fondamental dans la centralisation administrative, a manifesté au fil du temps une volonté croissante d’ingérence dans la gouvernance des affaires tribales. La mise en place du vote secret pour désigner les chefs des assemblées, rebaptisés désormais “nouab”, est éloquente à cet égard. À première vue, cette initiative pourrait être interprétée comme une tentative de modernisation des processus démocratiques. Cependant, à y regarder de plus près, cette décision s’inscrit en contradiction flagrante avec les mécanismes coutumiers de gouvernance tribale.
Historiquement, la nomination des chefs tribaux reposait sur un mécanisme de consensus. Cette approche, loin d’être un vestige archaïque, assurait une harmonie et une unité, consacrant ainsi la légitimité du leader au sein de sa communauté. Elle forgeait une dynamique collective, fondée sur le respect mutuel et la confiance, où la légitimité était intrinsèquement liée à l’assentiment général de la tribu. L’introduction du vote secret, en rompant avec cette pratique ancestrale, risque d’instaurer un climat de méfiance et de compétition, altérant la nature des relations au sein de la tribu et créant potentiellement des clivages.
L’adoption de ce mode de désignation s’inscrit clairement dans une stratégie plus vaste cherchant à intensifier son emprise sur les structures locales. Cette poussée de centralisation, bien qu’elle puisse découler d’une volonté d’uniformisation ou de modernisation, menace paradoxalement de diluer la richesse et la force des coutumes tribales qui ont établi et maintenu l’équilibre social de cette communauté. Ces pratiques sont ainsi progressivement reléguées au second plan, supplantées par une approche étatique qui, bien que visant une homogénéité, semble décalée par rapport à la réalité et aux spécificités locales.
L’exemple de la commune de Tiddas met en évidence cette dynamique de manière explicite. Par le passé, les assemblées avaient un rôle central dans la gouvernance, mais elles ont progressivement été supplantées par une entité créée et contrôlée par le pouvoir central, à savoir le conseil communal. Cette délégation de responsabilités a eu pour conséquence non seulement d’affaiblir les assemblées, mais également de provoquer des tensions parmi ceux qui étaient autrefois des leaders tribaux respectés.
En outre, les enjeux électoraux qui en découlent ont chamboulé l’organisation tribale. Lors d’une immersion au sein du Souk de Tiddas, espace central de rassemblement hebdomadaire pour la communauté d’Aït Hkem, j’ai eu l’opportunité de discuter avec Sidi Ahmed. Ce dernier, élu au conseil communal de Tiddas, est aussi acteur principal au sein de l’assemblée tribale d’Aït Atta.
Le témoignage de Sidi Ahmed est particulièrement significatif à cet égard. En tant que membre à la fois de l’assemblée tribale d’Aït Atta et du conseil communal de Tiddas, il incarne le conflit entre l’ancien et le nouveau paradigme. Sa position lui donne une perspective unique sur la façon dont les deux systèmes fonctionnent et souvent entrent en conflit. Pour lui, et sans doute pour beaucoup d’autres, la pression d’assumer des rôles dans ces deux modèles peut être source de stress et de confusion. Il est tiré entre son devoir envers sa communauté tribale et les exigences du pouvoir administratif.
De plus, le sentiment exprimé par Sidi Ahmed sur le déclin du rôle de la djmaâte en faveur du conseil communal montre que les anciennes structures ne sont pas simplement mises de côté, elles sont activement supprimées ou affaiblies. La conséquence est un affaiblissement des valeurs tribales, qui ont longtemps servi de pilier à la communauté.
Le danger ici est que, en cherchant à homogénéiser et à contrôler, le pouvoir central pourrait déstabiliser le tissu social de ces communautés. Les coutumes et les structures de gouvernance locales ne sont pas de simples reliques du passé. Elles sont le produit des siècles d’évolution sociale et culturelle, façonnées par des défis et des expériences spécifiques.
Sidi Ahmed, avec une pointe de nostalgie, déclare :
Auparavant, notre communauté était animée par un ensemble d’idées et de principes, nos dialogues reflétaient un profond respect mutuel et une véritable aspiration au consensus et à la compréhension commune. Face à des impasses, notre recours était l’akswat (le chef), dont la clairvoyance nous offrait une décision équilibrée que nous accueillions avec gratitude. Aujourd’hui, je peux dire que cette harmonie a été embrouillée. La confiance qui formait le pilier de notre entente, est devenue vacillante. Une méfiance croissante s’infiltre, érodant le lien fraternel qui nous soudait. L’éthique dominante est celle de l’individualisme : ür illy khas ikhfino (chacun pour soi), une évolution que je trouve déplorable.”
L’assemblée tribale, malgré une diminution progressive de son rôle au sein de la société hkmaouite, reste un socle inébranlable. Cette persistance se reflète dans certaines coutumes ancestrales qui perdurent. Bien que les réunions de la djmaâte aient perdu de leur prééminence antérieure, elles demeurent scrupuleusement maintenues. Les femmes continuent d’honorer l’art de la préparation des repas lors de ces assemblées plénières, leur donnant ainsi un caractère festif indéniable.
Les fonds financiers de l’assemblée proviennent essentiellement des loyers perçus pour la mise à disposition des terrains communs aux bergers semi-nomades (iâzzaben) et des contributions de ses membres même ceux vivant loin de leur communauté. Cette caisse commune revêt plusieurs fonctions. D’une part, elle a pour mission d’apporter un soutien financier aux familles lors d’événements heureux ou tragiques, et d’autre part, elle incarne un principe de réciprocité profondément ancré dans la culture de ce groupe.
Le sociolinguiste Saleh Ahnchi met en lumière l’importance de ce soutien, qu’il soit manifesté au sein de la tribu ou lors d’événements survenant dans un clan ou une tribu voisine. Ce geste, désigné dans le berbère local par le terme “abdoud”, peut être traduit en français par “appui”. Il symbolise l’entraide en période de détresse tout comme dans les moments de réjouissance. Pour différencier les contextes, deux expressions empruntées à l’arabe sont employées : “l’âzou” lors d’un décès et “h’diyte” pour des événements tels que les mariages, les circoncisions et d’autres célébrations similaires. La caractéristique prédominante de cette pratique réside dans l’esprit de solidarité, indépendamment de la nature de l’événement.
Ainsi, lorsqu’un décès survient, l’assemblée rend visite à la famille touchée, apportant à la fois un soutien moral et matériel, symbolisé par leur “abdoud” (ici appelé “âzou”). À l’inverse, pour célébrer un événement heureux, l’assemblée exprime son “abdoud” (désigné cette fois par “h’diyte”), en se rendant chez la famille concernée pour la féliciter et lui offrir un présent. Ce don est souvent perçu comme une “obligation” ou une “dette” (amrwass) à honorer, s’inscrivant dans une logique de réciprocité des appuis, est généralement constitué d’un grand sac bien rempli de sucre, d’un mouton et d’une somme d’argent. Ces dons, au-delà de leur valeur matérielle, mettent en lumière l’intensité des liens sociaux et les valeurs fondamentales qui guident cette communauté.
Par ailleurs, l’institution de la djmaâte joue encore un rôle prépondérant dans les affaires communautaires en assurant la médiation et la réconciliation, et en prenant en charge les frais d’enterrement. Elle couvre aussi les dépenses liées aux cérémonies religieuses qui se déroulent lors des trois jours suivant l’inhumation. L’administration des terres communes et la maintenance du cimetière, dernier lieu de repos des ancêtres, relèvent aussi de ses responsabilités.
L’assemblée demeure un pilier de soutien pour ses membres en situation précaire. Cependant, il est important de noter que même ces fonctions, apparemment secondaires, sont de plus en plus soumises à l’emprise croissante des autorités administratives et à l’influence d’autres facteurs externes.
En somme, au fil des années, l’institution de la djmaâte s’est affaiblie, perdant ainsi en pertinence et en vitalité. La loyauté, autrefois basée sur l’appartenance à un groupe et des liens de parenté, a cédé la place à des affiliations partisanes et à des intérêts individuels. La transformation que subit ce regroupement résulte d’une combinaison de faits historiques et politiques. Des éléments tels que la colonisation et l’accélération de l’arabisation y ont largement contribué. Cette évolution a débuté avec la conquête islamique et, des siècles plus tard, l’établissement du protectorat français a intensifié ces changements.
Avant 1912, la vie de ce groupement était marquée par une notable autonomie. Même durant les périodes de “domination “, il a su préserver son indépendance et les Hkmaouites n’ont jamais été complètement assujettis. Ils parvenaient à négocier leur autonomie avec les sultans par le biais des caïds, offrant en échange divers tributs tels que de l’argent, des moutons, du blé, du miel, de la laine, entre autres. Ils vivaient ainsi en suivant leurs coutumes et les principes constituant leur code de l’honneur.
La politique d’affaiblissement, s’appuyant sur la division pour régner, s’est perpétuée avec l’instauration du protectorat. La restructuration administrative imposée après l’indépendance a continué sur cette lancée. À titre d’exemple, le ministère de l’Intérieur a, durant des années, rattaché les groupes des Houderran et d’Aït Ikkou à Aït Hkem, avant de les séparer à nouveau. Derrière cette manœuvre, les motivations étaient purement politiques, visant à morceler et fragiliser la structure tribale. Comme le souligne l’historien M. Achak : « Il s’agit bien d’une continuité de la politique du Général Lyautey visant à fragmenter pour mieux maîtriser. Le ministre de l’Intérieur, Driss El Basri, a simplement repris là où Lyautey avait laissé ».
Il est indéniable que des facteurs extérieurs ont largement contribué à la mutation du groupe d’Aït Hkem. Toutefois, il est crucial de mettre en lumière les éléments internes, tels que les enjeux écologiques et les conflits intertribaux, qui ont également facilité cette influence. Les tensions tribales, en grande partie causées par la concurrence autour des zones de pâturage et des points d’eau, ont engendré une vulnérabilité au sein de la confédération, la rendant sujette à des divisions internes. Les tribus plus faibles cherchaient souvent la protection des entités plus puissantes, ce qui menait dans certains cas à la fusion de tribus ou à la disparition d’autres, en raison de leur taille réduite ou de leur incapacité à se défendre de manière autonome.
Mouloud Achak précise à ce propos : « Durant les 17e, 18e et 19e siècles, la fusion ou la disparition de certaines tribus découlaient essentiellement de causes écologiques. Des périodes de sécheresse et la rareté des pâturages ont contraint certaines tribus à s’associer à d’autres groupes plus importants ou mieux pourvus. »
Il convient de souligner que les évolutions de la structure tribale hkmaouite après l’indépendance rappellent les observations d’Ali Amahan concernant les Ghoujdama dans le Haut Atlas. Selon lui, bien que la djmaâte de ce groupe ait émergé « de la clandestinité » après l’indépendance, elle n’a pas retrouvé le niveau de liberté et d’autonomie dont elle jouissait avant la période coloniale. Naviguant entre une reconnaissance partielle et une inexistence légale, cette institution retrouve une forme de vitalité, à la croisée de l’officiel et du clandestin. Les autorités, tout en refusant de lui octroyer une reconnaissance légale, n’hésitent pas à faire appel à elle lorsqu’elles en voient la nécessité.
La djmaâte chez les Ghoujdama, malgré ce statut ambigu, continue de jouer un rôle central dans la gestion des affaires locales. Elle est au cœur des événements qui marquent la vie quotidienne de la communauté, agissant sans attendre l’approbation des autorités ou de l’administration locale. Elle organise des réunions dès qu’elle perçoit un besoin pressant, sans attendre les rendez-vous habituels qui coïncident avec des événements communautaires tels que les fêtes ou les mariages.
Ces observations montrent la résilience de structures ancestrales comme la djmaâte, qui, malgré les bouleversements politiques et sociaux, trouvent des moyens de perdurer et de s’adapter, affirmant ainsi leur importance fondamentale au sein des communautés qu’elles servent.
A suivre…
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